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Rencontre à Paris
Entretien : Karine Deshayes

Quelques questions à une mezzo-soprano qui “monte“...

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 19 juillet 2010

par François LESUEUR

Avec ses faux airs à la Catherine Frot, Karine Deshayes est une piquante et malicieuse mezzo-soprano dont le talent excelle aussi bien chez Rossini, que chez Mozart ou Bellini. Alors qu’elle vient de triompher une nouvelle fois dans la Rosina du Barbier de Séville imaginée par Coline Serreau, elle se prépare à aborder le rôle d’Elena dans La donna del lago, Rossini toujours, qui sera représentée au Palais Garnier en juin et juillet prochain. Rencontre.

Vous voici de nouveau sur la scène de l’Opéra Bastille pour interpréter le Barbier de Séville, dans la production de Coline Serreau. Rosina vous colle à la peau depuis bientôt dix ans. Peut-on parler de rôle fétiche ?
KD : Mon rôle fétiche est plutôt Cenerentola (rires) voilà, c’est dit. Même si j’adore les deux ouvrages, j’ai une préférence pour ce dernier car le personnage est plus touchant, plus émouvant, Rosina appartenant davantage à l’opéra “buffa“. Les deux partitions sont proches en terme d’écriture et possèdent deux airs de bravoure magnifiques, le rondo final d’Angelina m’ayant permis de remporter de nombreuses récompenses en concours et en audition.

Vous chantez cet opéra depuis près d’une décennie : qu’est-ce qui a évolué dans votre interprétation ?
J’espère qu’elle a évolué avec le temps, car je me sens plus à l’aise dans cet opéra ; une fois que les questions techniques ont été mises en place et qu’elles ne sont plus qu’un réflexe, on peut alors se jeter dans le jeu à corps perdu. Ma conception s’est transformée au contact des metteurs en scène et de leurs propositions. J’adore la version de Coline Serreau car Rosina a droit à une véritable évolution, peut se lâcher à la fin, se libérer du carcan qui l’étouffe en réagissant à l’autorité de Bartolo. Elle exprime ses sentiments, possède un côté pétillant que j’aime exploiter, surtout lorsque j’ai la chance de travailler avec une équipe comme celle qui était réunie sur la scène de la Bastille.

Eprouvez-vous à chaque production le même plaisir qu’à vos débuts ?
Forcément non, car au début nous devons veiller à tout contrôler en raison de notre manque de maturité et d’expérience théâtrale. Aujourd’hui je fais attention à la technique surtout dans certains passages où il faut respirer, prendre le temps, s’accorder une “pause“, surtout dans cette mise en scène où nous courrons énormément. Mais avec le temps tout devient plus facile.

Karine Deshayes en Rosina dans « Le Barbier de Séville »
Crédit : Opéra national de Paris/ C. Leiber

Le fameux passage dit de “la leçon de chant“ permet aux cantatrices d’interpréter, si elles le souhaitent, un air de leur choix en dehors du classique “Contro un cor“. Avez-vous pratiqué l’air alternatif et si oui lequel ?
Non, cela ne m’est jamais arrivé, on m’a toujours demandé de chanter ce qui était écrit, par respect pour Rossini et pour la tradition et cela tombe bien car cet air me plaît : il faut avouer qu’il est magnifiquement écrit. On a longtemps demandé aux sopranos de modifier cette page et aujourd’hui le retour à l’authentique prédomine.

Rosina est très vite apparue dans votre parcours artistique puisqu’une fois intégré la troupe de l’Opéra de Lyon, elle a succédé à Cherubino en 2001. Votre professeur au CNSM Mireille Alcantara, vous avait-elle préparée à ce répertoire et si oui de quelle manière : comment avez-vous acquis cette technique rossinienne ?
En fait, lorsque je l’ai rencontrée, j’avais des facilités à vocaliser, ce qui a facilité le travail : tout est allé plus vite. Cela m’a beaucoup aidé, car j’ai toujours éprouvé un grand plaisir à cette discipline. On a une mobilité du larynx, ou pas, à la naissance, et comme je possédais une voix agile et plus légère, cela m’a poussé naturellement vers ce répertorie. J’ai dû par la suite apprendre à homogénéiser mon instrument, à trouver une cohérence, à gommer les cassures et à lier les registres entre eux, ce qui me permet aujourd’hui de réaliser, par exemple, dans ce Barbier, un ut dièse dans une cadence, Rossini faisant appel à tout l’ambitus, soit presque trois octaves quand on calcule bien.

Vous avez également abordé Albina dans La donna del lago et chantez fréquemment Cenerentola. Quelles qualités, quelles exigences musicales demandent l’écriture rossinienne ?
Cenerentola n’est pas plus grave que Rosina, seuls les récitatifs le sont, mais l’air “Nacqui al’affanno“ monte aussi haut que “Una voce poco fa“ du Barbier. Les deux rôles sont vocalement similaires à de toutes petites exceptions près.

Mozart vous accompagne également depuis très longtemps : Cherubino, Dorabella, Zerlina et Sesto sont-ils faciles à alterner avec Rossini ?
Oui, ces partitions ne sont pas si éloignées et de toute façon je les aborde avec la même technique ; seuls les styles diffèrent. Beaucoup de chanteuses ont suivi le même cursus et sont passées de Rossini à Mozart, avant de se diriger vers Haendel, également très proche. Adalgisa dans Norma, ou Romeo des Capuleti e i Montecchi, possèdent une écriture plus large, même si la tessiture est identique. L’orchestre chez Bellini est plus puissant et l’écriture romantique propre au 19ème siècle est plus ample. Lorsque l’on a fréquenté le répertoire baroque, comme cela a été le cas pour moi, Mozart et Rossini sont proches.

Aimeriez-vous interpréter Rossini à Pesaro ?
J’ai auditionné en 2002 pour M. Zedda, mais cet été là l’Académie travaillait Il Viaggio à Reims dans lequel il n’y avait rien pour moi. Hélas il n’y a pas eu de suite.

A l’image de Berganza, Murray, Graham ou DiDonato, vous chantez la musique baroque et sur instruments anciens et avec les chefs les plus compétents. Qu’est-ce que cette discipline vous apporte ?
La musique baroque est un langage qui me touche et que j’adore interpréter, j’ai d’ailleurs commencé par ce répertoire au Conservatoire sous la houlette d’Emmanuelle Haïm qui animait un atelier et mes premiers engagements ont été réalisés avec Christophe Rousset et William Christie. Quand on revient régulièrement vers ce type de musique, cela demande une grande exigence, car chanter ce répertoire nécessite une belle technique. Il faut savoir contrôler le vibrato qui est pourtant naturel et émettre des sons droits qui requièrent un contrôle et une précision infaillibles. Les ornements aussi sont précis, comme ces fameux trilli alla Monteverdi, qui demandent une grande concentration et une écoute particulière des instrumentistes qui me rappelle l’approche de la musique de chambre.

Karine Deshayes
© Vincent Jacques

Une des particularités de votre chant est qu’il paraît extrêmement facile, qu’il dégage une forme de sérénité, de confiance par delà sa souplesse. Comment parvient-on à cet état ?
Hum hum, les gens qui me connaissent savent que j’ai beaucoup travaillé, car je n’avais pas du tout cette voix-là au départ. Justement le travail de la technique permet de donner l’illusion que tout est naturel. Je n’avais pas d’aigu et j’ai dû le construire note à note avec mon professeur. Il ne faut pas de tension, alors tout est étudié et réalisé pour qu’aucune trace ne subsiste et que l’auditeur ne se rende compte de rien. Le travail sur la souplesse est également indispensable. La technique est là pour pallier les moments où l’on est malade, fatigué, où nous devons enchaîner les spectacles. Depuis janvier je n’arrête pas et la voix n’aime pas cela, il faut dans l’absolu la reposer, dormir, récupérer par tous les moyens, mais quand cela est impossible, la technique est là pour compenser.

Cherubino, Sesto, deux rôles travestis qui ont précédé Romeo des Capuleti e i Montecchi de Bellini abordé à Avignon et Tours cette saison ? Parlez-nous de cette nouvelle étape dans votre carrière ?
J’ai eu un plaisir extraordinaire à interpréter ce personnage. J’aime passer des rôles féminins aux travestis, car je n’éprouve aucune difficulté à combattre à l’épée. Ces rôles possèdent un caractère guerrier, avec une écriture vaillante et des duos d’une sensualité magnifique. Certains tuilages permettent souvent de ne plus savoir qui chante quoi. C’est d’ailleurs fabuleux de la part de Bellini dans Les Capulets d’avoir su isoler ces deux voix de femmes pour montrer la différence clanique. J’ai très envie de poursuivre dans cette voie. On m’a également conseillé Le compositeur dans Ariadne auf Naxos pour m’ouvrir à Strauss, mais je réfléchis encore.

Si vous êtes fréquemment invitée dans l’hexagone, le Met vous attend en Isolier après Siebel ? Qu’est-ce que représente ce moment ? Comment vous préparez-vous ?
Le plateau est immense, mais pas aussi différent que celui de la Bastille. Le Met est aussi haut et profond que la Bastille, quoique plus large, mais je peux vous assurer qu’on a l’impression que le public est plus proche, malgré ses 4000 spectateurs. L’acoustique est très agréable. Les Chorégies d’Orange sont également impressionnantes, mais comme toujours il convient de se faire confiance et de croire en ces lieux là.

Y a-t-il des lieux où vous rêvez de chanter et pour quelles raisons ?
Dans l’absolu tous les plus beaux théâtres me font envie.... par exemple Vienne, le Covent Garden, la Scala oui, mais le public a un tel niveau d’exigence. J’irai bientôt au Liceu, ce qui me réjouit. Le Royal Albert Hall est aussi un lieu extraordinaire.

Vous avez la réputation d’être quelqu’un d’extrêmement travailleur et de disponible. D’où vous viennent ces qualités ?
D’où me vient cette réputation (rires) ! Travailleuse oui, car on a rien sans rien. Nous devons être exigeant, et même si nous savons que nous n’arriverons jamais à la perfection, nous devons tout faire pour nous en approcher. J’ai débuté le violon à l’âge de six ans et j’ai passé des heures à faire des gammes : cela laisse des traces. Je travaille à la table, suis très attentive aux langues étrangères. Disponible, je ne sais pas, mais je réalise les choses rapidement, car je suis solfégiste, ai fait de la musicologie, connais mes sept clés, mais n’ai pas l’oreille absolue, ce qui m’empêche de déchiffrer à vue. Mais tous ces acquis m’aident aujourd’hui dans mon travail quotidien, c’est sûr.

« La Donna del Lago » avec Javier Camarena (Giacomo V - Uberto di Snowdon) et Karine Deshayes (Elena)
Crédit : Opéra national de Paris/ Agathe Poupeney

En dehors de l’opéra vous portez une attention particulière à la mélodie et à la mélodie française notamment. Comment expliquez-vous cet intérêt et que vous procure cet art ?
J’ai eu la chance de rencontrer Ruben Lifschitz à Lyon qui m’a fait découvrir un univers inconnu : Fauré a été pour moi comme une révélation, sa musique, son harmonie me parlent. J’ai travaillé à ses côtés des cycles : des Brahms, des Poulenc, des Gounod, des Zarzuelas pendant quatre ans, ce qui m’a été très profitable. Le disque qui est sorti récemment (La chanson d’Eve et Le jardin clos chez Zig Zag Territoire) en est l’aboutissement et le prix Charles Cros m’a fait très plaisir. Les textes symbolistes sont très beaux et j’en ai une lecture très intime. J’aime cette écriture sensuelle qui demande une grande vocalité. Il faut vraiment chanter, c’est ce que j’aime on ne susurre pas.

Vous serez en fin de saison à l’affiche de La donna del lago à la Bastille où vous aborderez le rôle d’Elena créé par Isabella Colbran, dont la tessiture très large s’apparente davantage à un soprano qu’à une mezzo. Considérez-vous cet emploi comme un nouveau challenge ?
Oui, il est exact que cette œuvre est périlleuse, tous les personnages vocalisent énormément, font de multiple sauts d’octaves. C’est un challenge, Rosina à côté c’est Monteverdi. Rossini a tout écrit, même si nous pouvons toujours placer ici et là quelques variations de notre cru, et se montre d’une grande exigence. Il faut s’y préparer, se conditionner, tout en espérant avoir autant de plaisir qu’avec les autres rôles. Je vais pour cela beaucoup travailler comme toujours avec le chef de chant, le coach de langue pour ne rien laisser au hasard et bien sûr avec mon professeur Mireille Alcantara, qui est toujours présente à mes côtés.

Comment voyez-vous votre carrière évoluer d’ici cinq ans ?
Oh là là c’est très dur ? Je n’en sais rien, j’ai des projets à long terme, mais je fais confiance à mon professeur et à mon agent Thérèse Cédelle, qui m’ont toujours guidées, je ne tente jamais un rôle nouveau sans leur accord, pour éviter les bêtises. Je souhaite être toujours soutenue et de préserver cette sagesse.

Propos recueillis par François Lesueur