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Entretien : Jean-Claude Gallotta

Jean-Claude Gallotta signe la chorégraphie de l’opéra Armide de Lully. Entretien.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 22 février 2009

par Stéphanie NEGRE

On ne présente plus Jean-Claude Gallotta, directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble, qui crée depuis plus de trente avec sa compagnie, le groupe Emile Dubois, des œuvres originales et sources de réflexion. Toujours prêt à surprendre, il signe la chorégraphie de l’opéra Armide de Lully programmé au Théâtre des Champs-Elysées du 8 au 12 octobre 2008.

Qu’est-ce qui vous a amené à accepter de travailler sur un tel projet, vous qui menez depuis des années, en toute autonomie, un véritable travail d’auteur ?
Jean-Claude Gallotta : Tout d’abord, Armide est pour moi une belle rencontre avec William Christie et Robert Carsen qui sont des grands dans leur domaine, puis avec Lully qui était aussi bien danseur que musicien.
Armide est un opéra ballet qui donne une grande place à la danse, c’est l’époque de la naissance de ce qui sera la danse classique en France, notre origine, celle d’une danse réfléchie, posée comme un art à part entière inscrit dans le temps, comme la musique ou le théâtre. Ensuite le fait que je puisse travailler avec ma troupe et la salle, le Théâtre des Champs-Elysées, lieu culte où, pour moi, la danse moderne a commencé avec le Sacre du Printemps de Nijinski. Voilà les raisons pour lesquelles j’ai accepté de travailler sur ce projet.

Est-ce la première fois que vous vous confrontez à un opéra ?
Non. De temps en temps, en plus de mon pro-pre travail d’auteur, j’aime bien travailler avec des metteurs en scène comme George Lavaudant. J’ai travaillé sur un opéra, La Petite renarde rusée de Janacek, et dernièrement, sur Bach. Je m’étais donc déjà confronté aux œuvres lyriques.

Armide (Stéphanie d’Oustrac) – Renaud (Paul Agnew)
© Alvaro Yañez

Chorégraphier sur Lully, cela n’a pas dû être simple…
Certes, l’œuvre musicale est impressionnante et d’une grande complexité mais à chaque fois que j’ai l’occasion de travailler sur la musique d’un compositeur reconnue, je découvre chez l’auteur, au travers de sa création, une certaine simplicité humaine.

Comment le chorégraphe que vous êtes a-t-il trouvé sa place entre le metteur en scène et le chef d’orchestre ?
Avec le metteur en scène et le chef d’orchestre, c’est un peu la même problématique. Comment trouver ma place et comment trouver la leur dans la bonne tempérance, c’est tout cela qui m’intéresse. Où peut-on aller sans se renier ? Jusqu’où peut on accepter l’autre ? Robert Carsen a une vision complète de l’opéra. Alors que certains metteurs en scène laissent faire la danse, il veut que l’œuvre soit baignée des uns et des autres. Je fais aussi bien bouger les danseurs que les chœurs ou les décors. Tout devient chorégraphie. En même temps, il faut accepter son regard ; c’est plus contraignant mais tout devient cohérent.

Il y une grande part de fantastique dans Armide, comment l’avez-vous fait ressortir dans votre chorégraphie ?
J’ai essayé de traduire une part du monde fantastique en jouant sur les genres masculin / féminin. J’ai choisi de faire ce transgenre où tout le monde est en homme ou tout le monde est en femme, pour symboliser Armide aux pouvoirs et aux sortilèges terribles. Le premier acte, c’est l’univers des hommes. J’ai créé une danse, qui, de guerrière au départ, devient de séduction masculine. Les femmes y jouent des rôles d’hommes, non pas jusqu’à la caricature mais à la limite du symbole, et dansent avec eux. Au deuxième acte, c’est l’inverse, on est dans un univers féminin mais maléfique. Armide va envoûter Renaud. C’est le temps du sortilège, les hommes vont jouer les rôles féminins. Le troisième acte est l’acte de la haine à laquelle Armide fait appel pour rejeter Renaud. On est dans un espace de provocation où les hommes joueront comme précédemment des rôles féminins. C’est le miroir d’Armide, le miroir inversé : contre l’amour, on met la haine. Le quatrième acte est le moment du divertissement. Dans toutes les œuvres de l’époque, on retrouve ce moment où les amis font une pitrerie pour mettre en battu ce que vit le héros. Pour cet acte de l’illusion érotique, j’ai imaginé un travail sur deux danseuses. Au cinquième acte, Renaud reprend le pouvoir, il sort de son sortilège. Là, Lully a écrit une danse de dix minutes, une passacaille, un morceau de bravoure qui n’a pas d’explication. La scène est tournée vers le roi, avec tout un mouvement qui se passe avec le décor, Renaud, les danseurs et les chœurs, jusqu’au final.

Avec cette intrigue complexe, y a t-il un travail particulier que vous avez fait avec vos danseurs ?
Au début, comme tous les personnages sont des hommes dans une recherche de séduction, il a fallu apprendre aux filles à être sur des attitudes masculines sans être caricaturales. On a fait des ateliers ensemble à ce sujet. Pour travailler l’acte deux, j’ai inversé les duos, les filles ont porté les hommes et les hommes se sont laissés faire. Dans le monde du sortilège, je leur fais tirer la langue pour être un peu maléfique. Même les chœurs sont rentrés dans ce jeu là. L’acte quatre est plus sexuel, plus provocant, on est allé plus loin dans le touché, comment on provoque, comment on envoûte. Pour l’acte cinq on a fait un travail sur le sourire, d’où vient-il quand on danse, que signifie-t-il ?

« Armide », sur une chorégraphie de Jean-Claude Gallotta
© Alvaro Yañez

Armide est une histoire d’amour totale qui démarre sur une illusion et inverse les rôles traditionnels du héros et à l’héroïne…
Dans Armide, on se demande effectivement quels rôles jouent l’homme et la femme. On est face à des rôles inversés. Dans la mise en scène, Armide et Renaud restent ce qu’ils sont, mais autour d’eux, on a voulu créer un sacré mélange. Ce mélange, porté par la chorégraphie, c’est la passion, le tumulte intérieur des héros. C’est comme dans les rêves où tout se mélange, où les sentiments – amour, jalousie, haine – s’interpénètrent. Armide admire l’homme qui a décimé son armée mais elle veut sa mort. Puis elle se dit que cela serait mieux s’il tombait amoureux d’elle. Elle lui jette un sort mais c’est elle qui va finalement tomber éperdument amoureuse, sincèrement, alors que lui ne va l’aimer que par magie.

Comment la danse est-elle présente ?
Danseurs et chanteurs sont entremêlés mais les danseurs vont représenter le monde fantastique et l’inconscient des héros. A l’acte un, on retrouve une scène typique du ballet classique où les héros sont au salon et regardent des scènes de danse. C’est la scène de la danse de séduction qu’on voit sous le même angle qu’Armide qui tourne le dos à la salle. A l’acte deux, Renaud est endormi. Les danseurs expriment les nymphes, le monde merveilleux. Tout cela est en danse, avec les chœurs qui s’entremêlent. A l’acte trois, la haine arrive avec ses sujets, danseurs et chœurs mélangés, qui vont balader Armide de tous côtés. A l’acte quatre, les deux danseuses interviennent avec les deux chanteurs amis de Renaud. L’acte cinq est celui de la danse : j’ai essayé d’entremêler la danse avec les chœurs et le mobilier.

Propos recueillis par Stéphanie Nègre