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Atelier lyrique de l’opéra de Paris
Entretien : Christian Schirm

Quelques questions au directeur de l’Atelier lyrique.

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 14 décembre 2011

par François LESUEUR

Bras droit d’Hugues Gall pendant de longues années à Genève et à Paris, Christian Schirm est en charge de l’Atelier lyrique depuis cinq ans. Lieu privilégié pour de jeunes musiciens en résidence, l’Atelier lyrique leur dispense un enseignement assuré par des spécialistes et les insère professionnellement, soit dans le cadre de concerts ou de représentations donnés à la Bastille ou à Garnier, soit de créations de spectacles. Gros plan sur un dispositif très étudié qui a prouvé en quelques années son utilité et son efficacité.

"Il faut croire aux politiques culturelles, car cela montre la santé mentale des sociétés."

La création de l’Atelier lyrique en 2005 a-t-elle été instaurée pour succéder en quelque sorte à l’ancienne troupe de l’Opéra ?
CS : L’institution a connu de nombreux avatars. Pendant dix ans j’ai occupé le poste de directeur adjoint aux côtés de Hugues Gall, auprès de qui j’avais travaillé sept ans à Genève, puis à son arrivée, Gérard Mortier m’a demandé un rapport sur le Centre de formation lyrique, ce que j’ai fait volontiers, sans savoir que j’allais m’en occuper, car il m’a proposé d’en prendre la direction. Mon idée était d’en faire une sorte d’Opéra studio, tel que l’avait fait Louis Erlo à Paris, mais également de m’inspirer de ce qu’avaient mis en place à Lyon, Eric Tapy et Pierre Strosser, que je considère comme l’un des plus importants metteurs en scène de notre temps. Je ne souhaitais absolument pas instaurer un Conservatoire bis, mais une sorte de Young artist programm en faveur de jeunes artistes en début de carrière, qui leur permette de s’insérer professionnellement. Il existe de nombreux programmes de ce type dans le monde, au Covent Garden, à Munich, à Milan, à Zürich, au Met, sans compter le Merola de San Francisco, ou l’Académie de Larissa Gergieva au Mariinsky, seul théâtre qui puisse afficher trois distributions du Ring entièrement maison. A Paris, j’ai décidé de faire en sorte que ces jeunes chanteurs, en résidence, puissent être en contact avec de grands artistes, suivent un programme de travail, se retrouvent dans des productions et participent à des concerts avec des musiciens de l’Opéra national. J’ai donc été amené à tisser des liens avec d’autres formations musicales telles qu’OstinatO, à ce qu’ils jouent de la musique ancienne avec les membres du CNSM de Paris, ou soient mis en relation avec l’Ensemble Kern, comme cela a été le cas pour Les aveugles en 2006, une commande passée au compositeur genevois Xavier Dayer. L’an prochain nous aurons d’autres expériences, notamment un Orphée et Eurydice qui sera représenté à la MC 93 de Bobigny, en compagnie du Jeune Chœur de Paris.

Christian Schirm
Crédit Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris

Comment se fait le recrutement de ces jeunes artistes ?
Ils sont auditionnés tous les ans : 300 ont été entendus cette année, j’en ai retenus trois et il reste un poste de ténor à pourvoir, ce qui explique que je poursuive les auditions tout au long de l’année. Ils viennent du monde entier, mais un grand nombre est issu de France : nous avons de jeunes interprètes comme la mezzo Marie-Adeline Henry ou le ténor Stanislas de Barbeyrac (lauréat du Prix lyrique 2010 du Cercle Carpeaux), qui faisaient dernièrement partie de la distribution du Faust de Fénelon, ce qui est très encourageant.

Quel est le profil type des jeunes qui auditionnent ?
Ils sortent tous de conservatoires, ou d’institutions publiques et ont entre vingt et un et trente ans.

Quels sont les axes de travail de ce cursus et comment sont-ils répartis au cours de ces deux années ?
Il y en a trois, dont un primordial qui consiste à être distribué à Garnier et à Bastille d’abord dans de petits rôles puis dans de plus importants : c’est la légitimité de ce programme, qui n’aurait pas de sens autrement. En cinq ans nous avons pu noter une montée en puissance de chanteurs programmés dans les deux maisons, cela était très net sur Billy Budd, David Bizic et Xavier Mas pouvant y défendre de vrais personnages. Nous avons même fourni un rôle-titre pour pallier au désistement de Christine Schäfer qui devait interpréter il y a deux saisons La petite renarde rusée ; nous avons décidé de confier le rôle à une jeune russe de vingt ans, qui a assuré les dix représentations, participé au dvd et se retrouve aujourd’hui en troupe à Munich. Pour ces jeunes artistes, il s’agit d’une expérience formidable, et pour nous, de réaliser des économies d’énergie et de moyens, car à l’Atelier ils perçoivent un salaire et bénéficient d’un engagement forfaitaire de trois ans après leurs sorties. Le second axe concerne les productions et les concerts que nous organisons chaque année avec l’Opéra, mais également Bobigny, Nanterre, Suresne, ou Compiègne et qui est tout aussi indispensable. Le troisième axe porte sur le répertoire à travailler et à élargir, l’étude de la langue et des grands rôles du répertoire français pour les étrangers. L’Atelier est donc une sorte de sas entre leurs études et ce qui les attend une fois seuls sur le marché.

Cette formation aux disciplines liées à l’art de la scène est-elle suffisante selon vous ?
Oui, car ces artistes ont déjà fait des études et une fois cette étape passée, ils doivent être en mesure d’affronter la pression du métier et de la carrière. Si ça ne marche pas, ça ne marchera jamais, la sélection se fera à un autre échelon ; on ne peut pas entretenir des gens sous perfusion. Sas, électrochoc, coup d’accélérateur puis après, le grand saut, voilà ce qu’induit l’Atelier.

Qui sont leurs professeurs, interprètes, dramaturges, chef de chant, chef d’orchestre, metteur en scène et comédiens qui acceptent d’encadrer ces jeunes et de transmettre leur savoir ?
L’idée est de faire appel à des intervenants divers, pour éviter de figer les choses. Certains sont invités régulièrement et d’autres en fonction des répertoires et de leurs spécialités. Si l’on monte un opéra baroque, je demande à Guillemette Laurens de venir animer un atelier Purcell ou Monteverdi ; quand il s’agit de musique contemporaine, je fais appel à des spécialistes pour encadrer l’équipe. Chaque domaine est ainsi défendu. Un professeur de contrôle vocal vient également toutes les trois semaines. Le planning change régulièrement pour lutter contre le confort de l’école. Ils vivent la pression, sont fatigués et en mesure d’approfondir leurs connaissances, car une fois seuls sur le marché ils devront se débrouiller. Ici quatre accompagnateurs sont à leurs dispositions, ce qui n’a rien à voir avec la réalité qui est bien plus sélective.

Juin 2010, MC93 Bobigny, « Mirandolina » de Bohuslav Martinu, par l’Atelier lyrique. Avec Vincent Delhoume (Le Comte), Michal Partyka (Le Chevalier), Manuel Nunez Camelino (Le Serviteur du Chevalier) et Damien Pass (Le Marquis).
Crédit : Opéra national de Paris / Mirco Magliocca

Une des spécificités de l’Atelier est le travail sur des productions réalisées par et pour les jeunes. De quelle manière se décide et se constitue la programmation ?
J’en suis à l’origine en tant que directeur. Je choisis les ouvrages en fonction du niveau des résidents, évite les chœurs, car je n’en ai pas les moyens, Mozart, quelques italiens, Monteverdi, Purcell s’avérant les plus abordables pour de jeunes voix. Le répertoire contemporain est plus délicat, ceux qui possèdent un bon solfège ayant toujours une longueur d’avance sur les autres.

Que faites-vous si l’équipe dont vous disposez n’est pas en mesure d’assurer le défi ?
Je connais en principe les chanteurs que j’ai recrutés et agis en fonction de leurs capacités. Parfois les ouvrages programmés constituent de véritables paris et il m’arrive de faire appel à des artistes qui viennent de quitter l’Atelier, ce qui leur fourni des contrats : il faut savoir jongler. Mais il est moins facile de travailler sans argent, car c’est le nerf de la guerre. Les jeunes sont payés 1’700 € bruts par mois, pianistes et chanteurs, soit 16 artistes en résidence.

En plus de rendez-vous réguliers les jeudis, les jeunes chanteurs ont également l’opportunité de présenter leur travail en dehors de Paris, que ce soit dans des théâtres d’Ile de France ou cette année à Rome, Villa Medicis. Comment naissent ces partenariats ?
J’aime beaucoup le théâtre, ce qui m’a conduit à rencontrer de nombreux directeurs de lieux en proche banlieue notamment ; j’ai découvert ainsi le travail de Jean-Yves Ruf sur Shakespeare et lui ai demandé de réaliser un Cosi fan tutte, qui a été suivi d’un spectacle autour de madrigaux de Monteverdi. Des liens se sont donc tissés avec Olivier Meyer à Suresne également. Cela nous permet de rencontrer d’autres publics, ce qui est essentiel. J’ai été ému des réactions sur Cosi ; si parmi tous ces spectateurs quelques uns ont la révélation, cela est suffisant, notre objectif a été atteint. L’invitation à Rome a été possible grâce à Frédéric Mitterrand que je connais bien et à la générosité d’un mécène qui a offert le voyage. Nous sommes également allés à Bucarest ; il est très important de voyager.

Est-il facile pour eux de quitter “la famille“ après un passage à l’atelier ?
Il est sans doute difficile de sortir de ce « cocon », car une fois seul il faut travailler, trouver un agent, des débouchés, au moment même où les opéras italiens s’écroulent et ou la crise économique touche la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Il faut pourtant continuer de croire aux politiques culturelles, pour que les individus aillent vers la culture : cet aspect est selon moi fondamental, car cela montre la santé mentale des sociétés. L’idée n’est pas que tout le monde doive y avoir accès, la barrière n’est pas seulement économique, mais réside dans l’éducation et la culture. On réfléchit aujourd’hui sur l’éducation culturelle à l’école, mais ce n’est pas la qu’elle doit commencer. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine pour ne pas être surpris comme je l’ai été récemment, en apprenant que de jeunes parisiens de mon arrondissement (le 9ème !) n’étaient jamais allés au Louvre : je ne comprends pas. Cela ne devrait pas exister.

Propos recueillis par François Lesueur