Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Paris : à la Comédie française
Comédie Française : “Pedro et le Commandeur“

Pedro et le Commandeur selon Omar Porras, et Les Temps difficiles selon Jean-Claude Berutti.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 19 octobre 2007

par Régine KOPP

Des comédiens masqués qui sautent, dansent et chantent dans une ambiance de fête de village en folie, et des jardins, des chambres et des façades qui montent et descendent des cintres. Voici l’interprétation telle qu’elle est proposée par Omar Porras pour sa première mise en scène à la Comédie Française, de Pedro et le Commandeur, un texte de Lope de Vega (1562-1635).

Une grande première pour cet auteur qui fête ainsi son entrée au répertoire, initiative que nous devons à l’ancien administrateur Marcel Bozonnet. Comment se fait-il que cet auteur du siècle d’or espagnol, contemporain de Shakespeare, auquel on attribue environ 1800 pièces, mêlant intrigues, amours passionnés, rebondissements sur fond héroïque et poétique, n’ait pas encore eu les honneurs et la reconnaissance du Français ? Et pour réussir cette entrée, on a fait appel à Florence Delay, hispanisante de renom, qui a travaillé plus de huit mois pour créer cette version française de la pièce, à la fois élégante et moderne, une traduction que le metteur en scène qualifie de sublime.
 
Mais le point de départ, c’est la rencontre avec Omar Porras, créateur inventif et audacieux, qui construit son travail théâtral sur l’art du masque et puise dans son imaginaire colombien des tableaux colorés et grotesques. Une rencontre décisive dans le choix de Marcel Bozonnet. « Il connaissait mon travail, dit Omar Porras, et avait envie que la Troupe et le public rencontrent les masques ». Ceux qui connaissent le travail théâtral d’Omar Porras, savent que le jeu masqué construit son esthétique et détermine son approche du texte. Une expérience quelque peu insolite pour les acteurs du Français, obligés de se familiariser avec un nouvel alphabet gestuel et de nouveaux codes d’expression, travaillant d’abord pendant plusieurs semaines avec les masques avant de trouver et de créer leur personnage. Pour Christian Blanc, un des acteurs, Omar Porras est un metteur en scène qui « nous ramène aux sources d’acteur avec un sens du collectif très fort, nous faisant prendre conscience de ce qu’est l’énergie collective, quand elle est alliée à la rigueur gestuelle ». Et Laurent Natrella dans le rôle de Pedro reconnaît à son tour que « le masque conditionnait le jeu, le corps, la voix et nous menait sur un terrain qui exigeait d’autres dispositions que celles requises habituellement ».
La pièce est un des chefs-d’œuvre de Lope, un conte de fées qui touche l’enfance comme l’âge adulte. L’argument est simple : on y voit un paysan, Pedro (Laurent Natrella) et sa jeune femme Casilda (Elsa Lepoivre) fraîchement épousée, porter secours au commandeur (Laurent Stocker) qui ne sait se retenir et tombe amoureux de la belle Casilda, épouse fidèle et intraitable. Comme elle résiste, le commandeur envoie Pedro à la guerre, mais celui-ci, pressentant les intentions du séducteur, revient nuitamment et le tue. Le roi qui rend la justice donnera, cependant, raison à Pedro et ne punira pas son geste meurtrier. Moralité de l’histoire : le bonheur et la dignité des paysans triomphent des caprices tyranniques du pouvoir et la défense de l’honneur n’est pas le privilège des nobles. Une mention particulière pour la performance de jeu de tous les comédiens à qui il est beaucoup demandé. Ils entraînent le public de surprises en émerveillements, pour assurer un spectacle plein d’inventivité et de charme, sans un moment d’ennui.

Les Temps difficiles
Au Théâtre du Vieux-Colombier, c’est à Jean-Claude Berutti qu’a été confié la mise en scène des Temps difficiles (1934) d’Edouard Bourdet. Un texte avec des qualités théâtrales indéniables : un savoir-faire d’orfèvre, un don d’observation digne d’un entomologiste et des dialogues vivants, rondement menés. Il nous raconte le déclin d’une dynastie industrielle de province, victime de la crise de 1929.Une véritable saga capitaliste qui nous montre une bourgeoisie d’affaires qui ne recule devant rien pour tenter de maintenir son niveau social. Une société qui ressemble beaucoup à la nôtre, arrogante, cynique, cupide, obsédée par l’argent ! Des personnages cyniques dont aucun n’échappe à la férocité de l’auteur, mais qui s’intéresse plus à la psychologie des personnages qu’à la critique sociale. Et la troupe du Français qui sert ce texte avec virtuosité (Catherine Ferran en grande bourgeoise sûre d’elle-même et Dominique Constanza en femme superficielle et insouciante sont parfaites) fait oublier certains aspects désuets de la pièce et quelques invraisemblances (le quatrième acte est peu crédible). Jean-Claude Berutti a en tout cas su tirer le meilleur de ce texte, proposant une mise en scène intelligente et dirigeant avec justesse les acteurs. Il n’en reste pas moins qu’il manque à cette pièce du théâtre de boulevard cette portée universelle qui caractérise les œuvres qui traversent le temps.

Régine Kopp