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Théâtre de la Colline, Paris
Colline : “Lulu“

À la Colline, Stéphane Braunschweig propose un « monstre » apprivoisé...

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 29 janvier 2011

par Julien LAMBERT

Bien loin de la « tragédie-monstre » annoncée en référence à la version initiale, la plus brutale de Lulu, le drame sulfureux de Wedekind, Stéphane Braunschweig en donne une lecture édulcorée, d’une provocation convenue et superficielle. Un moment agréable, certes... malheureusement pour cette œuvre, son héroïne fascinante, et leur pouvoir de subversion.

Il serait bien malhonnête d’attaquer la Lulu mise en scène par Stéphane Braunschweig en s’appuyant sur l’accueil du public : en ce samedi soir plein à craquer du 6 novembre, les rangs se sont peu dégarnis durant les trois heures – et plus - du spectacle. Surtout, les rires ont abondé. Mais ces rires complaisants, bienveillants, causés par les polissonneries d’une mise en scène gentiment coquine ne sont-il pas l’indice d’un échec dramaturgique certain, lorsqu’ils accueillent une pièce qui a pu déclencher des scandales autant à sa création que cette année encore, dans la mise en scène mémorablement ravageuse de l’opéra qu’en a fait Berg, par Olivier Py au Grand-Théâtre de Genève ?
En 1898 comme en 2009, Py comme Wedekind racontaient la mise à bas violente et grotesque d’une société corrompue et mercantile, par l’objet-même de sa convoitise, sa marchandise suprême et son vice personnalisé : Lulu la câtin polymorphe, qui adapte à chaque nouvel amant ses contours aux fantasmes de ce dernier. Une fable pareille racontée sincèrement et efficacement ne peut faire rire, mais doit faire frémir le spectateur, voire le mettre franchement et positivement mal à l’aise.

Un soufre souffreteux
Or Braunschweig a visé faux en relégant la débauche au rang de thème accessoire, voire de vaine couleur locale d’un drame dont elle est en réalité le cœur, le sujet, le langage spécifique et dévorant. Le metteur en scène saupoudre des accessoires de porno bon marché aux entournures des scènes, des manières de Cage aux folles en surface du jeu des comédiens, pour habiller une action dont le mordant ne dépasse que rarement celui d’un pâle vaudeville. Situations et personnages ne sont guère méchants, les attitudes sadiques ou perverses soulignent le texte de manière anecdotique, au lieu d’incarner les motivations et la dynamique fondamentale de personnages attirés par l’abîme. Parfois, une exposition sans concession de la vulgarité frontale de ces personnages, rappelés au règne animal dans le Prologue que Braunschweig n’a pas jugé bon de jouer, aurait été plus explicite et efficace que la patiente domestication de leurs illusoires « caractères ».

« Lulu »
© Elizabeth Carecchio

Quelques tableaux de transition, d’une picturalité macabre plutôt réussie d’ailleurs, semblent tirer à eux tout le magnétisme noir contenu en germe dans l’intrigue, laissant le reste des scènes tourner en quelque sorte à vide. Le même type de faux rapport est entretenu avec la diction du texte, de manière tout aussi problématique : en le débitant avec une facilité déconcertante, comme un agréable badinage, les comédiens donnent un accès aisé au sens littéral des phrases – on ne décroche certes pas souvent –, mais ils opacifient complètement le fond du discours. Parfois, bien sûr, la violence des situations tire la diction de sa torpeur et la fait abruptement passer dans les cris et les vociférations, mais ceux-ci ne sont alors que les échos tout aussi superficiels d’une folie toujours plus dangereuse quand elle reste souterraine.

Ludisme
Banalisées, affadies, anesthésiées, les situations n’en sont pas directement fausses pour autant, et elles ont l’avantage de se communiquer généralement bien. Ceci – mais aussi sans doute la vanité apparente du propos d’ensemble – est dû en bonne partie à la générosité et aux qualités du moins virtuelles des nombreux comédiens réunis par la distribution. Cela « joue » certes, toujours, beaucoup, trop certainement pour laisser opérer en-deça du travail d’acteur la vérité et le saisissement de l’œuvre. Chloé Rejon humanise, infantilise plaisamment Lulu et donne ainsi une âme à l’héroïne dont on fait trop vite une projection utilitaire. Philippe Girard livre un Docteur Schön et un Jack l’Eventreur dotés d’une élégance, voire de bonnes manières inattendues, mais qui annoblissent ces monuments de noirceur. Si Christophe Maltot agace à force d’étaler sa gouaille, et que Philippe Faure parachute un jeu de boulevard fort malvenu en roulant des yeux et en mâchouillant son cigare, Claude Duparfait parvient encore à émouvoir dans le rôle travesti de la comtesse Geschwitz, amoureuse déçue de Lulu. On conçoit le plaisir de ces acteurs, à rentrer dans l’arène du cirque social déchaîné que constitue la pièce, mais au-delà du jeu, on pourra repasser, pour espérer voir Lulu nous dire vraiment une folie sexuelle et économique qui est plus que jamais celle de notre temps.

Julien Lambert

Jusqu’au 23 décembre 2010 au Théâtre National de la Colline, Paris 20e. Rés. : +33 1 44 62 52 52. www.colline.fr. Puis en tournée à Grenoble, Nantes et Toulouse.