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Théâtre de Vidy, Lausanne
Vidy-Lausanne : “Home“

Chantal Morel nous parle de Home de David Storey.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 31 décembre 2010

par Nancy BRUCHEZ

Dans un jardin, sous une tonnelle, deux hommes et deux femmes parlent de tout et de rien. A travers un dialogue allusif et de longs silences nous comprenons qu’ils sont les pensionnaires d’une maison de santé psychiatrique, leur Home. Chantal Morel présente à Vidy, du 18 janvier au 6 février 2011, Home de David Storey, auteur anglais de la passion et du désespoir. Son écriture est physique, violente, humaine. L’adaptation française très réussie de Marguerite Duras est un texte que Chantal Morel connaît bien puisqu’elle l’avait déjà monté en 1981, puis repris en 1986. Entretien.

Vous connaissez bien la pièce Home puisque vous l’aviez déjà présentée en 1981.
Oui, on l’avait montée en 1981et jouée très peu de fois dans le cadre d’une expo commerciale. Le monsieur qui montait cette expo voulait essayer de croiser le commerce et la culture. Et il était venu nous voir dans le théâtre paumé dans lequel on travaillait, pour nous demander si on voulait faire quelque chose. On avait cherché sans trouver, et finalement on était tombé sur ce texte de David Storey. Comme on était désespérés de ne rien trouver, alors que, pour la première fois, quelqu’un nous faisait confiance, je crois qu’on a tout compris au texte à cause du désespoir dans lequel on se trouvait. (Rires). En 1986, le Printemps du Théâtre nous a invités et à cette occasion nous avons repris Home. Et là le spectacle a eu une longue vie… (Ndlr : Cette version a remporté le prix du public et celui de l’interprétation du Printemps du Théâtre.)

Chantal Morel
© DR

Pourquoi avoir choisi de le reprendre en 2010 ? (Le spectacle a été joué au MC2 de Grenoble en novembre 2010.)
Il s’agit d’une injonction intime, une nécessité de retourner vers le souvenir que j’en avais gardé. Une sorte d’épure du théâtre, où il n’y a que des acteurs et un texte. Des acteurs qui doivent représenter nos vies, nos difficultés de vivre, nos fragilités. C’est ici un exercice radical sur la fonction du théâtre de représenter le monde des humains. C’est peut-être parce que le monde est en train de perdre beaucoup d’humanité que j’ai eu envie de reprendre ce texte, mais il n’y a rien eu de conscient, de rationnel ou de prémédité. Cela s’est passé au niveau de l’estomac quand j’ai commencé à penser à Home. Et je suis convaincue maintenant qu’il est nécessaire de raconter cette histoire aujourd’hui.

Avez-vous abordé le texte sous une nouvelle perspective ?
Pas vraiment. Je crois qu’il y a une sorte de simplicité dans la détresse et dans le désarroi, quelque chose d’universel. On souffre presque tous de la même chose, d’un sentiment d’abandon, de perte de repères. Nous sommes tous dans la recherche du sens de l’existence. On se demande pourquoi on est là, vers quoi il faut diriger sa vie. Certains se noient là-dedans, d’autres y arrivent, s’en sortent. Mais ceux qui se noient, on besoin d’une maison pour y déposer leur désarroi. Cette fois-ci, j’ai peut-être été un peu plus nourrie, j’ai lu davantage de choses concernant des grands psychiatres de la deuxième moitié du XXème siècle, ceux qui refusent que la folie soit pensée et voulue hors de l’humain. C’est justement une des caractéristiques de l’humain. La première fois que l’on a abordé Home, on a foncé tête baissée, on était très innocents et très jeunes. On a mis le doigt sur un universel qui est à l’intérieur de ce texte. Cette fois-ci, je me suis plus attardée sur la nourriture qu’offre ce texte pour les acteurs. Les personnages à jouer ne sont pas fous, ils sont dépressifs. Il n’y a pas de pathologie lourde, comme la schizophrénie par exemple, on est vraiment dans la détresse, l’incapacité à affronter la violence et la dureté du monde. J’ai retrouvé, 30 ans après, l’importance de l’acteur. Car un théâtre sans un acteur qui sait jouer, ça n’a pas beaucoup de sens. Aujourd’hui je ressens ce bonheur-là, d’avoir des acteurs qui empoignent un personnage et fassent croire à une histoire.

« Home »
© Philippe Delacroix

Et votre travail de mise en scène ?
C’est très compliqué à expliquer. Ce texte est une épure. On est concentré sur les acteurs. Le décor se résume à une table et deux chaises et le but de ces personnages est d’en obtenir quatre pour se mettre autour de la table. Il y a un cinquième personnage, qui lui est beaucoup plus abîmé, et dont la charge est de s’occuper des chaises. Il en enlève toujours une. Je n’ai pas cherché plus loin que ça. Il faut faire en sorte que les acteurs, sur chaque réplique, sachent ce qu’ils sont en train de dire et pourquoi ils le disent. La conversation qui ouvre la pièce est d’une banalité totale, mais elle peut tenir seulement parce que derrière il y a une tension. C’est ce double travail entre l’intériorité et l’extériorité qui est très actif dans ce texte-là. J’ai essayé de rendre les personnages vivants et non pas d’en faire des figures de théâtre un peu distanciées. Les acteurs doivent vraiment jouer le personnage. On se trouve dans un lieu où on perd son identité, où on est un numéro dans un immense asile, mais les personnages, eux, de l’intérieur, veulent leur identité, ils s’incarnent énormément. C’est là tout le travail de l’acteur.

Le texte de Storey est construit sur des interruptions et une ponctuation en suspension. Un challenge pour les comédiens ?
Pour finir une phrase, il faut être sûr de soi, de son existence, sûr de son identité, ce que les personnages ne sont pas. Il y a une profonde incertitude sous-jacente. Un des personnages fonctionne avec les points de suspension, un autre interrompt, parle beaucoup et finit toujours ses phrases. Ils sont très différents les uns des autres. Ce qui les réunit relève du pur hasard, puis plus profondément, c’est leur impossibilité de vivre dehors qui les rassemble. Ils se posent la question les uns aux autres, soit de façon directe, soit de façon très détournée de savoir pourquoi ils sont là. David Storey ne donne pas de réponse. Il donne des pistes qu’il ne développe pas. Alors cela ne représente pas un grand intérêt de le faire à sa place. On doit en rester là sans pouvoir satisfaire notre curiosité de comprendre pourquoi ils sont dans cette maison.
Vous avez fermé les portes de votre théâtre le Petit 38 pour "changer d’échelle"…
Oui, c’était un théâtre minuscule de 89m2 où il restait une toute petite place pour jouer. Quand je mets en scène un spectacle sur un autre plateau, je retrouve une échelle plus grande où d’autres énergies peuvent circuler, pour qu’un autre travail scénographique puisse se faire. Après dix ans d’aventures extraordinaires, j’avais envie de plus d’espace, de pouvoir m’exprimer autrement, là j’ai envie de marcher avec l’horizon…

Propos recueillis par Nancy Bruchez

« Home », du 18 janvier au 6 février 2011, Salle de répétition, Théâtre de Vidy-Lausanne (loc. 021/691.45.45)