Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

La Comédie de Genève
Genève, La Comédie : “Barbelo...“

Anne Bisang met en scène Barbelo, à propos de chiens et d’enfants, un texte de Biljana Srbljanovic. Entretien.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 25 octobre 2009

par Rosine SCHAUTZ

« Pour moi, Barbelo est la matrice d’une mère, un endroit protégé et chaud, hors du temps et précédant le début de tout, par exemple le ventre de la Vierge, mais aussi le ventre de toute mère…. Barbelo est l’endroit d’où nous venons et où beaucoup voudraient retourner se cacher, et chacun devrait pouvoir décider ce que c’est. » Biljana Srbljanovic

Une pièce très à-propos
Biljana Srbljanovic est née en 1970 et a grandi à Belgrade. Dès sa Trilogie de Belgrade, en 1996, elle se pose d’emblée comme dramaturge et creuse au fil de ses textes un sillon novateur. Ses pièces sont en effet très vite jouées et reconnues comme œuvres majeures tant en Europe qu’aux États-Unis.
Sa manière très personnelle de mêler humour et tragique à l’intérieur de son écriture a fait d’elle une figure-phare des Balkans. Traduite et déjà montée en allemand et en anglais, Barbelo, à propos de chiens et d’enfants sera jouée en français à la Comédie de Genève, jusqu’au 18 octobre, dans la traduction élégante et efficace de Gabriel Keller, puis partira en tournée en France et en Belgique.
Si Anne Bisang s’empare aujourd’hui de cette pièce qui parle notamment d’une identité commune à reconstruire à partir d’histoires différentes, et d’une conscience européenne à réinventer après la tragédie, c’est aussi pour s’interroger sur la place de l’artiste dans des démarches nouvelles de solidarités réactivées. Solidarités sociales, religieuses, politiques, ou tout simplement humaines. Entretien.

Biljana Srbljanovic

Quels sont les thèmes de cette pièce, ou disons ceux qui vous ont attirée au point de monter aujourd’hui cette pièce en création française ?
Anne Bisang : Depuis un certain temps, à la Comédie, nous essayons de faire connaître des textes venus des Balkans. On lit, on cherche des auteurs. Cette pièce que l’on m’a donné à lire m’a enthousiasmée, et ses préoccupations, ce qu’elle dit, m’apparaissent très en phase avec la réalité contemporaine. Par ailleurs, j’ai été sensible à l’écriture proprement dite, politique et poétique à la fois.
Les thèmes abordés ici sont multiples et mettent en lumière des questions que je qualifierais d’essentielles tant ce sont celles qui se posent après une catastrophe. A savoir, et avant tout, les questions qui tournent autour de l’humanité. Qu’est-ce qui nous rend humain ? Comment rester ou redevenir humain après la tragédie ? Biljana Srbljanovic montre ici le chemin initiatique d’une jeune femme taraudée par la question de l’engendrement du futur : comment peut-on être sûre de ce que l’on va mettre au monde, se demande-t-elle, un homme ou une bête ? Les liens du sang sont-ils vraiment fiables ? Ces interrogations ont un écho rétrospectif évident avec les événements survenus en ex-Yougoslavie.
Par un jeu permanent d’inversion du questionnement habituel sur notamment la question de la maternité, c’est une pièce révolutionnaire, au sens plein du terme. C’est aussi ce qui m’a plu.

Que veut dire le titre, comment l’analysez-vous ?
D’abord, il fait référence à Barbelo, nom que donnaient les gnostiques à une divinité androgyne, une entité qualifiée parfois de ‘matrice universelle’, de principe premier, notamment dans l’évangile apocryphe de Jean.
L’auteure fait revivre l’idée d’un bon dieu, qui ne punit pas, mais qui au contraire accueille, réconforte, donne l’envie de se blottir, de se sentir au chaud dans une sorte de ventre maternel premier, berceau de toutes les virtualités. Dans la pièce, la scène VIII qui s’intitule précisément Barbelo, met en scène un vagabond et son chien, nommé ‘Maman’. Un personnage hors du monde qui cajole son chien comme une mère, se permettant ce que les autres personnages se refusent. Dans la pièce, l’évocation des chiens renforce, me semble-t-il, le thème de l’errance, même si la notion est aussi multiple : chiens errants, en meute, chiens jaunes des cimetières. On pense à toutes ces expressions populaires, chienne de vie, fils de chien ; on pense aussi aux cerbères, messagers du monde souterrain.
A propos de chiens et d’enfants, dit le titre – et dans l’ordre – c’est aussi pour inverser les rôles et renverser les situations. Les humains jouent aux chiens qui jouent des humains, comme les enfants dans une autre de ses pièces jouaient aux adultes qui eux-mêmes jouaient des enfants. Les positions sont inversées dans les deux cas, et se superposent en même temps.

Anne Bisang
© Hélène Tobler

Le titre est riche, et dit déjà, je crois, le rocambolesque des scènes à venir.
Cette pièce n’est pas tragique, car Biljana Srbljanovic affectionne le burlesque et la fantaisie, deux éléments qui permettent aussi aux personnages de réinventer l’amour (originel), de le questionner, et peut-être de l’accepter.

Comment mettre en scène cette écriture ?
Nous travaillons le texte en profondeur, avec une attention quasi musicale pour nous extraire du réalisme. L’écriture de cette pièce est très contrastée, brutale et poétique à la fois, et je tenais à faire coexister ces tonalités dans un contexte alternativement grave et cocasse. J’ai opté pour une scénographie ‘symboliste’, que viennent contredire des accessoires ‘réalistes’, faisant surgir du réel. Quant aux costumes, avec Natalia Solo-Matîne nous les avons voulus ‘transposés’, c’est-à-dire inscrits dans un univers fantastique, proche du conte, de l’onirisme, pour mettre en exergue ce que le texte dit de la cohabitation en mouvement perpétuelle de la vie et de la mort. Enfin, j’ai laissé la part belle au jeu des comédiens pour mieux rendre au texte son rythme, et surtout faire naître chez eux une sorte d’engagement vital pour l’acte théâtral. La confiance que je leur fais, pour développer l’imaginaire du spectacle, est primordiale dans mon travail.

Propos recueillis par Rosine Schautz

A la Comédie de Genève, jusqu’au 18 octobre : « Barbelo, à propos de chiens et d’enfants », de l’auteure serbe Biljana Srbljanovic, mise en scène par Anne Bisang
RENS. 022 320 50 50 ou www.comedie.ch