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Théâtre de Carouge
Entretien : Jean Liermier

Rencontre avec Jean Liermier, qui vient de signer pour trois années supplémentaires à Carouge, prêt à remettre constamment l’ouvrage sur le métier pour le plus grand bonheur du public.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 14 octobre 2010

par Firouz Elisabeth PILLET

A la directeur du théâtre de Carouge depuis 2008, Jean Liermier entretient ses multiples casquettes et talents : en sus d’être directeur, on le retrouve comédien et metteur en scène entre la France et la Suisse. Diplômé de l’Ecole supérieure d’art dramatique de Genève, il débute sur les planches en 1992 sous la direction, entre autres, de Claude Stratz, d’Hervé Loichemol ou de Philippe Morand.

Assistant de la mise en scène auprès d’André Engel au centre national d’art dramatique de Savoie, le Franco-Suisse aime relever les défis et revisiter les classiques, au théâtre ou à l’opéra, les habillant d’une mouture plus moderne qui le démarque des mises en scène conventionnelles. Parmi ses créations novatrices, citons Les Noces de Figaro pour l’Opéra national de Lorraine à Nancy en 2007, Penthesilée de Kleist en 2008 ou Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux en 2009.

La passion du théâtre vous anime depuis votre jeunesse ; le théâtre guide-t-il votre vie malgré les moments de doutes ou d’errance ?
C’est justement dans les moments de doutes que le théâtre me guide. D’ailleurs, le théâtre n’est fait que de doutes. S’il n’y avait que des certitudes, il y aurait quelque chose de figé, d’arrêté, alors que c’est un art du mouvement. Mouvement intérieur, de la pensée, du corps, du va et vient entre l’acteur et le spectateur. Ces mouvements vitaux, ces pulsations… Le théâtre vous demande de partager, d’être ensemble. De s’oublier un peu.

Jean Liermier
Photo Marc Vanappelghem

Suite avec une rencontre avec Mathieu Menghini, vous avez contracté une union entre le Théâtre de Carouge et le Forum, de Meyrin ; que partagiez-vous avec Mathieu ?
Le respect. Pour les artistes que nous défendons avant tout et pour nos différences. Il est plus cérébral que moi, qui suis un praticien, qui ne théorise pas, qui se garde bien de thésauriser. C’était une force, car nous avions à échanger, à apprendre l’un de l’autre, de part nos différences. Et puis nous partageons l’amour du travail en équipe.

Comment envisagez-vous la suite de ce mariage avec la nouvelle directrice du Forum, Anne Bruschweiler ?
Anne Bruschweiler souhaitait poursuivre le compagnonnage avec l’abonnement commun, mais pas l’aventure de notre parution commune : le journal Si. Même si je pense que c’est une erreur, je me garde bien de juger. Nous avons besoin d’encore un peu de temps pour nous préciser, faire connaissance. L’avenir nous dira si nous arrivons à garder un lien organique entre nos deux Théâtres. Le projet de spectacles en appartement, coproduit par Carouge-Meyrin et le Châtelard à Ferney, est une piste formidable qui mérite d’être explorée.

En 2008, vous avez signé pour trois ans à la tête du Théâtre de Carouge ; pensez-vous poursuivre l’aventure après 2011 ?
Oui, j’ai signé pour trois années supplémentaires. J’aime l’équipe qui s’est mise en place à Carouge. Ce sont des personnes épatantes : enthousiastes, dynamiques et compétentes. A ma nomination, je craignais la durée du contrat : trois ans cela me paraissait interminable. Et comme je n’ai jamais eu de compagnie, que j’ai toujours travaillé en indépendant dans une multitude de théâtres différents, sur des périodes relativement courtes, j’avais peur de me lasser. Mais en trois ans, vous n’avez le temps que d’analyser la situation, de constituer une équipe, de poser des jalons, de développer un état d’esprit, d’appréhender un public. Je découvre donc le plaisir de la constance.

Vous êtes un inconditionnel de Musset, Marivaux et Molière, des œuvres classiques que vous revisitez par une mise en scène moderne. Ces auteurs vous offrent-ils une contemporanéité stimulante pour votre imagination en tant que metteur en scène ?
Je ne cherche pas à être moderne. Entretenir un patrimoine d’Art vivant, c’est un défi ! J’essaie d’être respectueux d’un texte qui m’a procuré une émotion à la lecture. S’il m’a touché, au point que je me décide à soulever des montagnes pour le mettre en scène, c’est qu’il m’est nécessaire. C’est tellement intime le choix d’un répertoire. Je me sens plus à l’aise pour parler d’aujourd’hui en me confrontant à des textes anciens, parfois même archaïques. J’ai besoin de cette distance qui m‘éclaire. C’est peut-être aussi une façon de faire que les morts ne soient pas tout à fait morts…

Quel est votre livre de chevet actuel ? Et les auteurs que vous affectionnez ?
Les cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke. J’avais entendu Laurent Terzieff en lire des extraits et comme ça, j’ai l’impression de l’entendre encore un peu.

En juin 2010, vous avez organisé un week-end portes ouvertes ; souhaitez-vous désacralisé l’univers des coulisses et l’envers de la scène en le rendant accessible au public ?
Je pense que c’est le contraire : offrir la possibilité au public de voir la complexité de l’envers du décor, de faire connaissance avec les travailleurs de l’ombre, de comprendre qu’un lieu de création génère une économie, etc. est capital. On peut comprendre alors pourquoi cet univers est sacré ! Je ne crois pas pour autant que le mystère soit dissipé. Les spectateurs ressortent avec leur curiosité excitée, le désir d’en savoir plus, et finalement nous regarde un peu autrement.

Saison 2009-2010 du Théâtre de Carouge : Laurent Terzieff dans « Philoctète ».
Photo Christian Ganet

La saison dernière, vous avez accueilli Laurent Terzieff pour Philoctète ; à l’heure de sa disparition, comment avez-vous vécu la perte tant de l’homme que du comédien et metteur en scène ?
J’avais vu Terzieff dans Temps contre Temps de R. Harwood. Il mourrait sur scène. Il ne jouait pas qu’il mourrait, il mourrait. Et il faisait ça avec un battement de mains, comme les ailes de l’Albatros. Ses longues mains qui cherchaient un appui, ses jambes ne le tenant plus. C’était bouleversant. L’idée de Christian Schiaretti, le directeur du TNP (Villeurbanne) et metteur en scène de Philoctète, de distribuer Terzieff dans le rôle titre était géniale : l’île devenait un théâtre et la jeune troupe venait chercher ce vieil acteur, parce que l’on avait besoin de lui. Besoin de sa passion, de son engagement, de son lyrisme concret. De son rapport aux mots. Il va manquer au Théâtre.

Laurent Terzieff n’aimait pas qu’on lui parle de la Russie, pourtant, son visage émacié, son regard perçant, sa voix si particulière, tout en lui rappelle un héros dostoieskien. Quelles facettes de cet immense comédien avez-vous découvertes en l’accueillant à Carouge ?
J’ai découvert un homme aimable. Courageux. Il incarnait une partie de l’histoire du théâtre. En toute simplicité, faisant preuve d’une humilité non feinte. En arrivant à Carouge, il était fragile, malade, j’ai eu peur. Je lui ai proposé, s’il le souhaitait, d’annuler des représentations, pour le soulager, afin qu’il se repose. Il ne voulait pas en entendre parler, à cause sans doute de son respect pour le service public, pour les spectateurs qui avaient acheté leur billet et pour mon équipe… Je crois qu’il s’est senti bien chez nous et suis heureux qu’il ait foulé nos planches.

Quels autres grands noms du théâtre souhaiteriez-vous accueillir sur les planches carougeoises ?
Des artistes d’ailleurs : des Anglais avec le Théâtre de Complicité, les Allemands du Berliner, Lev Dodine ou Fomenko de Russie, par exemple. Des Maîtres d’ailleurs, qui nous aideraient à aller plus loin ici.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet