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Vidy-Lausanne
Lausanne : “Quand Mamie“

Denis Maillefer met en scène Quand Mamie de Noëlle Revaz.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 19 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

Quand Mamie de Noëlle Revaz porté à la scène par le Lausannois Denis Maillefer invente une langue étrange pour dire un monologue à deux voix, qui sont peut-être des pensées, une déploration, un chant qui conjugue les origines antiques du genre avec une veine religieuse et psychanalytique proche de l’anamnèse.

Langue impressionniste
La dimension sonore est essentielle dans la partition de l’écrivaine romande née à Vernayaz en terre valaisanne, puisque Quand Mamie est un texte conçu à l’origine pour la radio. Noëlle Revaz, c’est d’abord Rapport aux bêtes et sa langue charnelle qui fouille le dessous des choses et suinte la cartographie de l’intime avec un féroce arrière-goût de farce. Revaz, avouons-le, n’a pas révolutionné la littérature. Là n’est pas son objectif. Mais elle l’aura tout au moins libérée, débridée quelque temps. Elle aura remis aussi au goût du jour cette idée que la littérature n’est pas seulement une activité confortablement bourgeoise et consensuelle mais qu’elle peut, voire même doit être avant tout, une expérience fondamentalement existentielle.

« Quand Mamie » avec Julia Perazzini

Mamie blues
« Mais le jour où Mamie trépasse on aura les coins qui remontent, nos corps seront repulpés, les muscles cesseront de fondre, il y a pas de honte à le dire ça sera la résurrection », entend-on dans Quand Mamie de la bouche de la comédienne Julia Perrazzini. Penser avec espoir au lendemain, se délecter des possibles se conjugue avec une attente devenue faux-semblant qui masque le souhait d’un temps immobile. L’immobilité suscitée par le désir d’éternité prouve que la vie peut constituer le cadre où l’attente, fébrile ou mélancolique, se trouve mise en scène. Aux yeux de Denis Maillefer, cette pièce témoigne aussi plus profondément qu’une simple procrastination, de « cette impossibilité absolue de vivre, penser, aimer au présent. »
Sur la quasi dépouille encore chaude de Mamie se développe en métastases grandes et petites espérances et désespérances. Que sa mort vienne, que le règne de l’autonomie de tous les possibles si crainte et si désirée advienne… Deux êtres se font les vestales des supposés derniers instants d’une parente âgée. « Oui quand Mamie aura rendu l’âme, tu sais on aura un jardin, le pommier on va le couper, la souche on la fait arracher et on plantera des légumes, ça sera nettement plus sain, on pourrait même mettre des vélos dans cette chambre de Mamie et faire le soir de la gym. » Derrière les jardinets tirés au cordeau, les villas ou pavillons ripolinés de crépis immaculés, dire l’agitation de pensées spiralées, les incroyables déclinaisons d’une mort à venir, absurdement castratrice de vies singulièrement corsetées per se. Revaz prouve une fois de plus sa maîtrise passionnée des moyens de la langue, instille discrètement dans son lamento une sensibilité angoissée, à la manière d’un Tourneur ou d’un Hitchcock. Jusqu’à la révélation terminale qui ne résout rien, laissant en suspens une redécouverte de l’œuvre en palindrome.

Langue orale et ouvragée
Comment communiquer l’euphorie insurrectionnelle de la langue ? Et le vécu violent du corps qui ne veut pas mourir dans Quand Mamie. Dans les plis rugueux de l’écriture, le rythme lancinant d’une musicalité bernhardienne de dancefloor technoïde et électro avec la reprise de motifs identiques, fugués, diffractés, parcourus de contrepoints comme un inlassable sillon. Chemin faisant, on relève la densité des figures de rhétoriques visant à rendre la spontanéité du conteur tout en les outrepassant vers la poésie, vers la comédie. Revaz quintessencie le langage oral populaire en même temps qu’elle le déborde. C’est par son rythme que ce style est immédiatement émotif et émouvant. Il y a ce halètement interminable qui vient parfois battre en brèche la respiration ordinaire de la syntaxe française.
Langue charnelle et envoûtante tout à la fois pour le metteur en scène Denis Maillefer qui pratique volontiers, de La Supplication à L’Enfant éternel, une mise en perspective sonore de la voix amplifiée rendant le grain d’une parole dans sa production « membranée » même, à la déglutition et au souffle près. Ce par tout un jeu sur les champs de profondeur sonores de ce qui est un petit théâtre de soi à l’ère de l’intimité surexposée et du quotidien massifié de la télé-réalité. Car « Mamie est une comédienne qui remonte chaque jour son théâtre, attention lever du rideau, la couverture se soulève, la moribonde entre en scène et les paupières se retirent, mais vraiment cette gelée bleue peut-elle capter la lumière. »
Une confession tour à tour dramatique et ironique face au miroir d’un corps qui se défait comme pouvait l’être, selon des modalités autres, le monologue Je suis le mari de Lolo d’Antoine Jaccoud. Quand Mamie est aussi un chant qui suggère un chœur de vielles femmes, des revenantes spectrales multipliant entrées et sorties dans cet espace intermédiaire que le metteur en scène affectionne depuis loin à arpenter, celui où l’on est plus vraiment dans la vie et pas encore de plain-pied dans la mort.

Bertrand Tappolet

Chapiteau. Théâtre de Vidy, du 23 février au 15 mars.
Rés. : 021 619 45 45