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Théâtre en Cavale à Pitoëff
Genève : “Pour un oui pour un non “

Mauro Bellucci et Valentin Rossier montent Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 19 mars 2009

par Jeremy ERGAS

Mauro Bellucci est arrivé aux « Recyclables » à vélo. Poignée de mains
énergique, cheveux hirsutes et visage malicieux, il vient présenter Pour un oui ou pour un non, la pièce de Nathalie Sarraute qu’il monte avec son compère Valentin Rossier du 16 janvier au 8 février.

Pourquoi avoir choisi cette pièce de Sarraute ?
Je suis allé voir Pour un oui ou pour un non il y a quelques années. J’ai tout de suite pensé que ce serait un bon projet à monter avec Valentin Rossier. Je lui en ai parlé, l’idée a trotté dans nos têtes un moment, et l’occasion s’est finalement présentée. Tant mieux, car ce choix me permet de travailler dans une certaine continuité. L’année dernière, j’ai monté Abel et Bela de Robert Pinget, une pièce dans laquelle les personnages partent à la recherche des fondements du théâtre et tentent de découvrir comment on écrit une pièce. Aujourd’hui, avec Pour un oui ou pour un non, je suis passé à la phase suivante : celle du « comment dire ». Je m’intéresse à la façon dont les mots influencent les hommes, provoquant des sentiments et en révélant d’autres. On est au cœur du théâtre !

Pour un oui ou pour un non raconte l’histoire d’une brouille entre deux personnes qui se croient amies et qui réalisent, en analysant leurs discussions passées, que cette amitié est tordue, faussée. Est-ce à dire que pour avoir une amitié sincère avec quelqu’un, il faut peser chaque mot que l’on dit ?
On entend souvent que de vrais amis doivent pouvoir tout se dire librement. Je ne suis pas sûr. Pour moi, en amitié comme en amour, il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas dire. On ne peut pas tout se dire. En fait, on souhaiterait idéalement que l’autre ressente instinctivement ce qui se passe, sans qu’on ait besoin de le dire. On est donc au-delà des mots… Cette notion du « ressenti » est d’ailleurs centrale dans l’œuvre de Sarraute.

Mauro Bellucci et Valentin Rossier

Les limites du langage sont-elles à l’origine de notre incapacité à communiquer clairement, honnêtement ? Ou est-ce notre façon d’utiliser le langage qui est déficiente ?
Dans Pour un oui ou pour non, Sarraute met en exergue les limites du langage. Les personnages principaux, H1 et H2, cherchent désespérément les mots pour régler leur conflit, sans jamais vraiment les trouver. Ceci dit, si le langage est limité, il n’en est pas moins puissant : les mots peuvent être très blessants. Sarraute explore donc à la fois les limites du langage et la force du langage, le poids des mots… et du silence. Dans une de ses pièces qui s’intitule justement Le Silence, un personnage ne parle pas et ça finit par rendre les autres fous.

Oui mais dans Pour un oui ou pour un non, on a l’impression que H1 et H2 feraient mieux de se taire, que chacun de leurs mots ne servent qu’à les distancer davantage…
Mais c’est comme dans la vie ! On ferait mieux, bien souvent, de se taire. Combien de fois chacun de nous n’a-t-il pas regretté d’avoir posé une question ? Ou insisté pour obtenir une réponse qu’il pressentait mais ne souhaitait pas ? C’est exactement ce que vivent H1 et H2. Mais à un moment, plus que les mots, c’est la façon de les dire qui va définitivement créer une abîme et mettre en lumière ce qui les a toujours séparés. Alors oui, ils auraient mieux fait de se taire, mais alors il n’y aurait pas eu de pièce !

L’amitié de H1 et H2 est-elle définitivement détruite par les mots qu’ils échangent dans la pièce ?
Après la séance de travail qu’on a faite hier, à neuf jours de la première, je dirais que leur histoire d’amitié est terminée. Ils se disent des choses si abominables à la fin de la pièce… Mais tout dépendra du ton qu’on choisira de donner à cette fin. Je pense qu’il variera de représentation en représentation, sans oublier qu’il s’agit quand même d’une comédie. Avec Valentin Rossier, on cherche encore : je crois que je n’ai jamais autant sué en préparant un spectacle.

Pourquoi nommer les personnages H1, H2, H3 et F ? Pour donner une portée universelle à la pièce ?
Oui, je pense. Il y a une volonté d’universalité dans le propos de Sarraute. Elle met le doigt sur les petites choses de la vie, ces choses qui nous passent à côté sans qu’on n’y prête attention. Ce n’est pas un hasard si Pour un oui ou pour un non est un classique : on s’y retrouve tous là-dedans. La dispute entre H1 et H2, qui ne l’a pas déjà eue ? Qui n’a pas déjà été blessé par les paroles d’un ami, blessé puis frustré parce qu’il n’est jamais parvenu à en parler ?
J’ai appris l’autre jour que la ville d’Hébron est séparée en deux zones, l’une contrôlée par les Israéliens et l’autre par les Palestiniens. Ces zones sont appelées respectivement H1 et H2. Etant donné le passé de Nathalie Sarraute, ce n’est peut-être pas si innocent que ça.

A quel genre de mise en scène peut-on s’attendre : quelque chose de sobre, de tamisé ?
Oui, notre postulat est de rester très proche du texte. Tout est dit : il y a un aspect presque radiophonique dans cette pièce. Il ne s’agit pas
d’être dans un rapport réaliste, que ce soit au niveau du jeu, des costumes ou du décor. Attendez-vous donc à quelque chose de simple, d’épuré et d’esthétique. C’est un travail délicat, qui nécessite une certaine douceur. Si on ne fait pas attention, on rentre vite dans un théâtre bourgeois, presque vaudevillesque, ce que nous voulons éviter.
En fait, il faudrait pouvoir entendre les pensées intérieures des personnages. Au cinéma ce serait un travail de gros plans. Ce n’est pas important de savoir ce qu’ils font ni ce qu’ils sont. Tout doit se comprendre à travers leurs mots.

Propos recueillis par Jeremy Ergas

Jusqu’au 8 février : « Pour un oui pour un non » de Nathalie Sarraute, m.e.s. Mauro Bellucci. Création, Cie En l’Air. Théâtre en Cavale à la salle Pitoëff, jeu-ven à 20h30, mer-sam à 19h, dim à 17h, lun-mar relâche
(rés. 079/759.94.28)