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Le Poche Genève
Genève : “Blackbird“

Entretien avec Gérard Desarthe, metteur en scène, lors de la création de la pièce à Vidy.

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 8 mai 2011

par Nancy BRUCHEZ

Du 30 mai au 19 juin, Le Poche à Genève, présente Blackbird, l’histoire d’une jeune femme qui retrouve, quinze ans plus tard, l’homme qu’elle a aimé quand elle avait douze ans. Elle lui en veut d’avoir disparu sans laisser d’adresse. Mais peut-il être question d’amour entre un homme de quarante ans et une petite fille ?...

«  Je ne suis pas le genre d’auteur à faire entrer deux personnages dans une scène et les faire se parler l’un à l’autre (…). Je veux que la structure soit si tendue et les personnages dans une situation telle qu’ils ne puissent pas ne pas parler. Je les mets tellement au pied du mur, qu’ils ne peuvent dire qu’une chose. Ils n’ont pas de temps à perdre en débordements psychologiques. De fait, une vision poétique se profile intensément, (…). Un théâtre qui cherche à enfoncer les mots dans les choses comme on pousse un couteau dans le ventre d’une poule.  » David Harrower

L’auteur écossais David Harrower, né en 1966, aborde avec beaucoup de subtilité et d’humanité un des plus grands tabous de notre société. Dans cette pièce, on assiste aux retrouvailles de deux êtres égarés, aux corps et aux âmes brûlants, cherchant à démêler les fils du souvenir... Un drame psychologique au parfum de soufre.
Entretien avec Gérard Desarthe, metteur en scène, lors de la création de la pièce à Vidy.

Comment ce texte est-il venu jusqu’à vous ?
C’est Françoise Courvoisier qui m’en a parlé, qui m’a demandé si je connaissais cette pièce et si je voulais la jouer. Je lui ai répondu que je préférais la monter, avec Raoul Teuscher et Prune Beuchat, une jeune actrice que j’avais rencontrée il y a déjà quelques années. C’est tout simple : en parlant, en échangeant des propositions, des contre-propositions, que faire, que monter et voilà !

Vous avez choisi la traduction de Zabou Breitman et Léa Drucker…
Oui, parce que cette traduction, venant de deux actrices, est formidable. De plus j’ai l’habitude de travailler avec les Editions de l’Arche.

La pièce traite d’un sujet délicat et très actuel, mais qui demeure l’un des plus grands tabous de notre société : la pédophilie. Avez-vous eu des hésitations à monter la pièce ?
Nous y allons avec des pincettes, car cela reste un thème grave et important pour la société. Les nouveaux dramaturges contemporains se mettent à écrire sur les grands sujets de notre époque et celui-ci en est un. En Angleterre, il y a eu de grands débats sur ces sujets épineux, il y a une dizaine d’années. On a voté des lois. La dramaturgie anglaise s’en est emparé. Le théâ-tre est là pour en parler. C’est intéressant, car le personnage de Ray, enfin de Peter, puisqu’il a eu l’autorisation de changer d’identité, de changer de ville pour changer de vie, a payé sa dette pour la justice, mais il n’a pas payé sa dette pour tout le monde. Cette jeune femme qui a vécu cette histoire d’amour comme une véritable révélation, vient chercher 15 ans après des explications. C’est au public ensuite de décider ce qu’il en pense.

Le personnage de Una est ambigu en effet. On ne sait pas s’il s’agit pour elle d’une quête amoureuse ou d’un désir de vengeance.
Les deux. Elle reste sur quelque chose de complexe. C’est pour cela que l’écriture rend compte de cette fragmentation d’idées et de pensées arrêtées qui n’arrivent pas à s’exprimer.

En effet, dans Blackbird, comme le dit Harrower, « les deux personnages se tournent autour, explorent, essayent de fabriquer un souvenir. Il y a beaucoup d’arrêts et de départs. La pièce comporte peu de ponctuation  ». Est-ce aisé de mettre en scène un texte comme celui-là ?
Non, parce que c’est du Harrower. C’est toujours très difficile de s’attaquer aux écritures contemporaines. Chacun a son modèle, sa manière très personnelle d’écrire. Les auteurs sont tous concurrents. Après, c’est au metteur en scène et aux acteurs de voir comment tout cela fonctionne. Et là, on voit bien que c’est une pensée, une écriture syncopée, très sculptée, parce il y a des choses très pénibles à formuler.

Une tâche difficile pour les comédiens ?
C’est un travail très ardu. Le texte est très difficile à apprendre. Je vois que mes comédiens ont des problèmes à trouver des cohérences, parce qu’on saute dans le temps, on passe du présent au passé. Ce sont des choses floues pour cette jeune fille de 12 ans qui pense avoir compris ou vu certaines choses qui ne sont pas forcément celles qui se sont passées. Et donc la pensée s’arrête et on passe à autre chose… Ce n’est pas simple…

Dans ce cas, comment faites-vous travailler les comédiens ?
Vaste question ! J’ai une réelle complicité avec Raoul Teuscher depuis quelques années maintenant. J’ai monté quatre spectacles avec lui et j’ai une entière confiance en sa maîtrise et sa technique. Et Prune Beuchat est aussi à fond dans son personnage. Je n’ai aucun problème avec eux. Mais de rendre ce texte à la fois complexe et fluide, c’est toute la difficulté ! Maintenant, si je savais comment on dirige les acteurs, je serais riche ! (Rires) En fait, je suis metteur en scène tout en étant, en même temps, sur le plateau avec eux. Je peux sentir parfaitement le geste, le déplacement et la tension parce que je suis moi-même acteur.

A-t-il été difficile de convaincre Raoul Teuscher d’incarner ce personnage de pédophile ?
C’est un mot qu’on évite d’employer. Oui, c’est un abus sexuel sur adolescent, pour la société. Bien sûr c’est inimaginable, une aventure amoureuse et sexuelle entre un homme de quarante ans et une enfant de 12 ans. Alors pour Ray, il a fallu aller plus loin, accepter d’être un pédophile pour faire 6 ans de prison au lieu de 10. Les juges conseillent d’ailleurs à l’homme de dire certaines choses pour atténuer sa peine. Entre nous, on ne parle pas beaucoup de ça, on s’intéresse à la complexité de cette aventure, à la difficulté de partir en week-end avec cette jeune fille une fois l’acte accompli, du malentendu qui s’installe. Après, c’est un autre débat. Je ne sais pas si le théâtre peut en rendre compte complètement. C’est finalement un problème de société, un problème religieux ou un problème de mœurs. La petite Una s’est sentie abandonnée. Et elle souffre finalement davantage de l’abandon que de l’abus sexuel. Lui, il a payé sa dette, refait sa vie. Elle, elle revient, des années après, déranger tout ça. C’est cela l’enjeu de la pièce.

Propos recueillis par Nancy Bruchez

Jusqu’au 19.6. : « Blackbird » de David Harrower, m.e.s. Gérard Desarthe. Le Poche-Genève, lun-ven à 20h30, mer-jeu-sam à 19h, dim à 17h, mar relâche (rés. 022/310.37.59 lun-ven 9h30/12h + 14h/18h - Loc. SCM)