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Sur les scènes lyriques parisiennes
Paris, opéra : “Cachafaz“ et “Cadmus“

Vu et entendu : Cachafaz - Cadmus et Hermione - My fair Lady - l’Amour des trois oranges - Phi-Phi - Don Juan -

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 24 février 2011

par Pierre-René SERNA

La trêve des confiseurs est toujours l’occasion de pièces lyriques de demi-caractère. Mais le mois de décembre à Paris aura aussi marqué l’ouverture de saison de l’Opéra-Comique, avec une reprise de Cadmus et Hermione, puis la première parisienne de Cachafaz.

Après sa création quelques jours avant, fin novembre au Théâtre de Cornouaille à Quimper, Cachafaz fait escale à l’Opéra-Comique en prélude à une tournée dans différentes villes de France. C’est le compositeur argentin Oscar Strasnoy qui en signe la musique, sur un livret tiré d’une pièce de son compatriote Copi. Ce texte en espagnol reflète bien les obsessions du dramaturge disparu en 1987 : l’ambiguïté sexuelle et l’humour corrosif. Il y a donc le couple, un travesti prostitué et son souteneur, face à la société et à ses interdits dans un Montevideo en perdition. Les deux personnages s’obstinent à occire de gras policiers, pour en faire jambons et saucissons qu’ils revendent à leur voisinage (!). Tout cela finira mal, on s’en doute… Almodovar n’est pas loin, ni Jean Genet, mais l’un et l’autre dépassés en délire. Strasnoy a choisi d’illustrer cette trame sulfureuse par des échos de tangos, des citations de Verdi et Mozart, une manière lyrique à mi-chemin entre la zarzuela et Kurt Weill, parsemés de crudités harmoniques alla Luciano Berio, sur le tissu de huit instrumentistes, trois chanteurs et un ensemble choral. La musique s’ébroue lourdement dans les premiers instants, pour ensuite prendre vite une espèce de force dramatique assez irrésistible.

A l’Opéra-Comique : « Cachafaz »
© Nataniel Baruch

D’autant que la mise en scène contribue à l’élan de la soirée. Celle-ci revient à Benjamin Lazar, plus connu pour ses méticuleuses reconstitutions historicistes de Lully. Mais on y retrouve le même savoir-faire, dans des gestes et éclairages qui font mouche, des costumes bariolés et des personnages maquillés de blanc à la façon baroque. Car c’est d’un baroque qu’il s’agit, de notre temps sous les lumières excessives d’Amérique du Sud. Pour incarner les deux personnages centraux, Lisandro Abadie et Marc Mauillon ne manquent pas d’abattage, avec un chant jamais pris en défaut pour ce dernier dans le rôle périlleux de Raulito, le travesti dont il est question. Geoffroy Jourdain dirige l’Ensemble 2E2M et le Chœur de chambre les Cris de Paris avec une conviction jamais en défaut. Et le public, qui s’écrase jusqu’au dernier strapontin, réserve une ovation méritée au spectacle, peu habituelle en matière de musique contemporaine.

Cadmus et Hermione est également à la charge de Benjamin Lazar, dont on avait loué la production en ce même Opéra-Comique en janvier 2008. Ce tout premier opéra de Lully, et conséquemment la toute première œuvre lyrique française, ne pouvait rêver mise en place plus riche, foisonnante et précise à la fois. Car la reconstitution d’époque, avec bougies obligées, atteint ici au grand art : celui du théâtre le plus abouti, toutes optiques scéniques confondues, et qui en l’occurrence n’a pas pris une ride. Vincent Dumestre mène son Poème harmonique, instruments, chœur et danseurs compris, des solistes vocaux de choix, dont André Morsch, Claire Lefilliâtre et Arnaud Marzorati, avec un art consommé qui n’a d’égal que celui de la mise en scène.

Jolie Lady
My fair Lady n’avait jamais été représentée à Paris. C’est désormais chose faite avec le Châtelet, pour un spectacle de fin d’année tous publics. Cette comédie musicale avait été créée en 1956 à Broadway, puis suivie d’une transcription cinématographique qui a fait le tour du monde. L’histoire reprend une pièce de George Bernard Shaw, Pygmalion, qui voit un bourgeois aisé se jouer d’une pauvre petite fleuriste pour la transfigurer en dame de haute société londonienne. Le sujet serait pessimiste, avec des relents sociaux, mais le ton reste humoristique. Pour l’adaptation musicale, Alan Jay Lerner a quelque peu retouché le livret et écrit les textes des chansons, Frederick Loewe a composé les thèmes desdites chansons, Robert Russell Bennet et Philipp Lang ont procédé à l’orchestration du tout. Résultat : du bon théâtre de boulevard parcouru de chansons gentillettes et un peu répétitives. Sur cette matière, Robert Carsen tisse la plus affriolante mise en scène qui se puisse en imaginer ; à la fois belle esthétiquement, avec les décors de Tim Hatley sous les éclairages recherchés d’Ian Burton, et impeccablement réglée, dans des mouvements et un jeu d’acteurs posés au millimètre. Une magnifique réussite théâtrale ! Dans une distribution d’acteurs-chanteurs, se dégagent Sarah Gabriel, personnage principal nimbé d’une voix éminemment lyrique, Alex Jennings, acteur confondant de justesse (y compris dans ses petits airs) et la vedette des planches d’outre-Manche Margaret Tyzack. Parfait ! même si tous ont à souffrir, et le spectateur davantage encore, d’irritants microphones en forme de perle indienne au sommet du front. Kevin Farrell mène un Chœur du Châtelet et un Orchestre Pasdeloup de grand luxe, sachant que d’ordinaire une poignée de ces intervenants suffit à la chose.

Trois Oranges
On sait que Prokofiev avait écrit l’Amour des trois oranges sur un livret en français. Mais c’est étrangement une traduction en russe qui s’est imposée sur les scènes internationales. On ne fera toutefois pas ce grief à l’Opéra de Massy, puisque justement il emprunte sa production à l’imaginatif Opéra Hélikon de Moscou. C’est son directeur, Dimitri Bertman, qui office. Et on ne sait qu’admirer le plus : la mise en scène, tourbillonnante mais d’une extrême précision… le plateau vocal, parfait jusqu’au moindre rôle (quel vivier du chant que la Russie actuelle !)… la direction musicale, de Dominique Rouits.

A l’Opéra de Massy : « L’Amour des trois oranges ».
Crédit : Opéra de Massy / ML

Nous voilà donc transportés chez les nouveaux riches de l’actuelle Fédération de Russie, pour planter cette fable d’un prince et de son roi de père, de fée et de sorcière, à la poursuite de la joie de vivre. Irrésistible ! Vasily Efimov (le Prince), Alexey Tikhomirov (le Roi), Elena Mikhaylenko (Fata Morgana) et Anna Grechishkina, les autres solistes et le chœur, tous membres de la troupe du théâtre moscovite, possèdent un art du chant consommé que ne leur ravit pas un abattage tout aussi emporté. L’Orchestre de l’Opéra de Massy semble avoir été de tous temps partie intégrante de la troupe, tant il se fond dans l’ensemble. Une sorte d’accomplissement pour l’opéra de Prokofiev.

Phi-Phi sans chichi
Le Théâtre l’Athénée s’ouvre à l’opérette. En l’espèce à Phi-Phi, qui fit les beaux soirs de nos arrière-grand-mères dans les années 20. Le livret de Willemetz est décapant, sous ses références mythologiques décalées à la Offenbach, avec des jeux de mots un peu lourdauds mais amusants. La musique composée par Christiné égrène ses chansons entraînantes dans un style d’époque, très Maurice Chevalier. Sans véritable consistance. Mais la mise en scène de Johanny Bert balaye toutes les réserves, enjouée, voire endiablée, sertie de magnifiques marionnettes en forme de statuaire antique de l’effet le plus persuasif.

Au Théâtre de l’Athénée : « Phi Phi », avec Phidias et Aspasie
© Yves Petit

Le plateau de chanteurs, tous excellents, avec Gilles Bugeaud, Emmanuelle Goizé, Olivier Hernandez ou Laura Neumann, s’acquitte de sa tâche avec brio et des voix bien émises (et sans aucun microphone, ouf !). La dizaine d’instrumentistes accomplit au mieux sa mission, sous la direction de Christophe Grapperon. Seulement… Seulement, on ne saura jamais quelle était l’orchestration d’origine de Christiné. Puisqu’il s’agit ici d’un arrangement. Dommage ! pour l’une des rares fois où il est donné d’entendre cette pièce. Mais Christiné et ses opérettes pourraient avoir droit à d’autres scènes, plus vastes et disposant de plus de moyens, comme le Châtelet par exemple, où il a créé certaines de ses œuvres à succès. Ce qui y formerait avantageusement l’alternative locale et parisienne aux musicals importés de Broadway…

Fêtes versaillaises
Le Centre de musique baroque de Versailles présente sa saison d’automne. La fête et, accessoirement, le quatrième centenaire de la disparition d’Henri IV, forment le sujet principal. À la première thématique revient la soirée reconstituant deux ballets de la fin du XVIIIe siècle, les Petits Riens et Don Juan. Un tout jeune Mozart et Gossec, Jean-François de son prénom, ont composé la musique, assez insignifiante comme de juste, de la première pièce qui fut un événement chorégraphique de la cour française en son temps ; ici, mêlée d’entrechats gentillets, qui ne rehaussent guère l’intérêt. Mais avec Don Juan, pantomime sur une musique de Gluck, l’attrait vire du tout au tout. Une grande musique, profonde, passionnée parfois et qui annonce Iphigénie en Tauride et autres chefs-d’œuvre, un mouvement scénique entre danse et mime, rehaussent de leurs couleurs les ors de l’Opéra royal de Versailles. La compagnie de danse baroque l’Éventail sous la tutelle de Marie-Geneviève Massé n’appelle que des éloges (quand bien même, dans le genre historiciste, Cadmus et Hermione à l’Opéra-Comique atteignait d’autres pertinences). L’orchestre les Siècles, sous la battue de François-Xavier Roth, éclate dans Gluck, après une première partie de soirée assez languissante.

Centre de musique baroque de Versailles : « Don Juan »
© L’Eventail

Luis de Briceño appartient à une époque précédente, le début du XVIIe siècle. Ce musicien espagnol connut son heure de gloire… à Paris, et à la cour française. Le Poème harmonique de Vincent Dumestre troque ainsi Lully pour des guitares (ou plutôt vihuelas, du nom de cette guitare baroque espagnole), castagnettes et autres plus habituelles cordes pincées ou frottées, et des villanelles chantées (en espagnol !) avec l’allant d’Isabelle Druet et de Claire Lefilliâtre (déjà entendue, tout comme Dumestre, dans Cadmus à l’Opéra-Comique), toujours sur la scène de l’Opéra royal.

Rossini et Haendel
L’Otello de Rossini a longtemps fait figure de chef-d’œuvre de l’opera seria. Jusqu’à ce que sa renommée soit éclipsée par l’opéra de Verdi. Sort injuste, à n’en pas douter, et la soirée de concert au Théâtre des Champs-Élysées est là pour le confirmer. Rien n’interdit même, et c’est le cas de l’auteur de ces lignes, de préférer l’aîné de deux opéras d’après Shakespeare. Rossini, toujours incomparable (sauf exception, comme La Donna del lago), y atteint une sorte de sommet comme lui seul savait les gravir.

Anna Caterina Antonacci
© Pascal Victor

Ensembles vocaux ébouriffés, montées en tension (le fameux crescendo rossinien, mais ici renouvelé) et force dramatique, l’ouvrage a tout pour emporter l’adhésion du lyricomane le plus exigeant. Et c’est ainsi que l’entendent Evelino Pido et le plateau vocal réuni, devant les forces orchestrales et chorales de l’Opéra de Lyon. On regrette toutefois, chez ces derniers, un volume sonore tout d’un bloc qui ne correspond certainement pas à l’effectif délicat du théâtre napolitain de la création en 1816. Mais John Osborn, José Manuel Zapata et Anna Caterina Antonacci savent ce que beau chant et expression combinée veulent dire (à l’encontre d’un ténor criard, Dimitri Korchak).
À la cité de la musique, c’est Haendel, autre monstre de l’art lyrique, qui est fêté. Mais avec une pièce mal connue, datant des tout premiers temps du compositeur, en Italie : Aci, Galatea e Polifemo. À vrai dire, il s’agit plutôt d’une cantate scénique que d’un véritable opéra. Mais déjà éclate le génie mélodique du prochain auteur de Semele. Les Arts florissants, sous la battue souple de Jonathan Cohen (et donc moins sèche que celle de son titulaire habituel), et un plateau vocal choisi, avec Delphine Galou et le pétulant baryton Christopher Purves, en livre une éblouissante version de concert.

Concerts lyriques
Marie-Nicole Lemieux délivre pour sa part les multiples facettes de son talent, pour un récital au Théâtre des Champs-Élysées réunissant des airs d’opéra français qui conviennent à son tempérament de contralto intensément dramatique. L’Orchestre national de France lui donne une belle réplique, sous la baguette de Fabien Gabel.

Daniel Barenboïm
© Sheila Rock

À l’Auditorium du Louvre, Daniel Barenboïm ravit la vedette à Patrice Chéreau, célébré en ces lieux par une exposition et différents spectacles. Devant une assistance des plus mondaines, dont quelques célébrités, l’Orchestre West-Eastern Divan, composé à parts égales de Palestiniens et d’Israéliens (mais aussi d’Espagnols, puisque le siège de cette louable – ô combien ! – formation qui appelle de ses vœux une paix improbable, est à Séville), distille les mille subtilités du Concerto de chambre de Berg et de l’Histoire du Soldat de Stravinsky. En dépit, pour cette dernière, d’un récitant empêtré dans son texte… Un débutant, probablement.

Au Châtelet, dans le cadre du festival “Paris de la musique”, l’Ensemble orchestral de Paris fait se culbuter Sibelius, Arvo Pärt et Bechara El-Khouri. Le premier avec des extraits de Kuolema, dans une aura incomparable, sachant la maîtrise du chef estonien Olart Elts en la matière ; le deuxième, dont on célèbre le 75e anniversaire, avec Orient & Occident et sa Quatrième Symphonie, dans une série d’accords parfaits de l’effet le plus planant ; et le troisième, avec la création d’Autumn Pictures, tout à la gloire de la clarinette (celle de Patrick Messina) et d’un chant mêlé d’effluves orientalistes. Envoûtant !

Pierre-René Serna