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Opéra à Paris 197 : “Traviata “ & “Mélisande“

Vu et entendu : La Traviata – Pelléas et Mélisande – Un bal masqué – Le Temps de Gitans – Le Verfügbar aux enfers – Le Viol de Lucrèce – La Poule noire & Rayon des soieries – Wagner Dream.

Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Pierre-René SERNA

Difficile de traiter La Traviata de manière inusitée, sans la trahir. C’est pourtant l’objectif pleinement accompli par Christoph Marthaler au palais Garnier.

Le metteur en scène a élu des situations de notre temps, ou de n’importe quel temps, ou de toujours. La douloureuse héroïne ressemble à Édith Piaf, sa fragilité et ses inquiétudes, mais pas exactement. De même pour ceux qui l’entourent, qui pourraient sortir des années 60 (son compagnon, Alfredo), du XIXe siècle (Giorgio) ou de tout autre époque (les membres du chœur ou les figurants). Comme aussi le décor, sorte de scène de théâtre ou de cinéma de style indéfini, comme il peut s’en voir à Paris, à Buenos Aires ou toute grande conurbation mondiale. Ajoutons des directives précises des personnages, et surgit la vérité éternelle des sentiments. Immédiatement transmissible et très émouvant ! si l’on omet l’agitation gratuitement hystérique de certains participants aux festivités du deuxième acte. L’émotion ressort pareillement de la symbiose entre la vue et l’ouïe. La battue souveraine de Sylvain Cambreling maintient une tension constante à partir d’une fosse instrumentale subtilement colorée sous un plateau où les voix se fondent. Christine Schäfer est une Violetta idéale de phrasé et d’incarnation ; comme Jonas Kaufmann, Alfredo de style parfait, un des meilleurs ténors belcantistes ou verdiens du moment. Michèle Lagrange (Annina), une chanteuse aux moyens sûrs en dépit d’une carrière discrète, ou José Van Dam (Giorgio) complètent une distribution sans accroc. Un parfait travail d’équipe.
Pelléas et Mélisande est un autre défi. Le chef-d’œuvre de Debussy nécessite de trouver le ton juste, entre évanescence et rigueur, sans que la trame ou la musique ne se perde. Au Théâtre des Champs-Élysées, nous sommes à mi-chemin, avec une restitution scénique ou musicale qui parfois convainc éloquemment et d’autres fois reste en suspens. Jean-Louis Martinoty signe un montage comme il sait le faire : très professionnel, un rien intellectuel, aux intentions un peu pesantes ou au contraire idéalement trouvées. Passant de voiles de tulle irréels à des praticables bien ancrés, comme une espèce de barge, transparaît une idée, quasi géniale dans son évidence : la figuration de Mélisande en tant que personne de chair et d’os, orgueilleuse et défiante, presque féministe – tout l’inverse de ce que l’on y rencontre habituellement – et qui au final donne pleine consistance au drame dans son ensemble. C’est aussi parce que l’interprète du rôle féminin principal, Magdalena Kozena, donne toute l’ampleur de sa projection vocale, avec un chant toujours franc qui rend justice au lyrisme de l’œuvre. On pourrait en dire autant de Marie-Nicole Lemieux (Geneviève), de Gregory Reinhart (Arkel) ou d’Amel Brahim-Djelloul (Yniold), qui se fient aux notes écrites de la partition. On comprend alors d’autant moins que Jean-François Lapointe (Pelléas) et Laurent Nahouri (Golaud) s’égarent dans une fausse tradition qui fait du chant debussiste une sorte d’avatar inodore du sprechgesang. Aux ordres illustres de Bernard Haitink, l’Orchestre national de France paraît se conformer au même modèle, très délicat et aux limites de la fadeur.

Bal, Gitans et Verfügbar
Les Verdi se suivent à l’Opéra de Paris, sans nécessairement présenter les mêmes attraits. Un Bal masqué remplit Bastille de gigantesques statuaires en carton-pâte en forme de sphinx (ce pourrait être Aïda, les éléphants en moins), de personnages aux gestes convenus sortis d’un western équivoque. Nous voilà revenu à la grande époque ! celle des superproductions à la mode des arènes (de Vérone ou d’autres), pour le plus grand ravissement d’un public nostalgique. Mais au dernier acte, celui du bal précisément, tout s’anime dans un mouvement large teinté de poésie qui porte bien la marque du talent (ces personnages de commedia dell’arte) dont Gilbert Deflo sait encore nous gratifier. Ouf ! il était temps. Côté musique, le sentiment est tout autant partagé : si Elena Manistina ne manque pas ses effets, Ulrica sombre à souhait, Angela Brown est une Amelia au timbre sec, et Evan Bowers, remplaçant de dernière seconde de Marcelo Alvarez pour Riccardo, témoigne de sa bronchite annoncée n’étaient quelques aigus vaillants. Semyon Bychkov conduit ce beau monde tout à trac, faisant rutiler pompeusement l’orchestre.
Les Tsiganes investissent Bastille dans la foulée. Chansonnettes de bastringue tonitruantes (bien balancées par le No smoking Orchestra), costumes bariolés et décors à l’emporte-pièce : Emir Kusturica est à la fête pour son punk opéra, le Temps de Gitans. C’est déroutant, touchant, agaçant et criant de vérité.
Le Verfügbar aux enfers, “opérette-revue à Ravensbruck”, n’avait jamais été donné, y compris dans le camp de concentration dont il était destiné à distraire le sordide ordinaire. Le risque était grand de vouloir ressortir cette œuvre de circonstances (cruelles en l’espèce), conçue à partir d’un livret original par Germaine Tillion sur des musiques ou pages populaires. La réussite est d’autant plus manifeste au Châtelet, où l’émotion ne verse jamais dans la larmoyante compassion, malgré parfois le temps qui s’ébroue. Bravos donc aux musiciens de l’Orchestre de chambre Pelléas, à la direction d’Hélène Bouchez, à la mise en scène d’une simple efficacité de Bérénice Collet, aux participantes collégiennes du chœur et des danses, et au chant de Gaële Le Roi, Jeannette Fischer ou Hélène Delavaux.

Lucrèce, La Poule et Wagner
Le Viol de Lucrèce clôt la saison de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Dans l’idéale intimité acoustique du théâtre de l’Athénée, l’opéra de chambre de Britten ensorcelle, servi par l’efficace mise en scène de Stephen Taylor, les instruments acerbes de l’Ensemble de Basse-Normandie dirigés par Neil Beardmore, et des solistes désormais sûrs de leurs moyens : citons les noms déjà connus de Letitia Singleton, Ugo Rabec, Cornelia Oncioiu, Elena Tsallagova, Yun Jung Choi ou Johannes Weiss.
D’autres jeunes chanteurs s’attaquent à un répertoire plus inédit, deux opérettes des années 30 de Manuel Rosenthal, d’une verve sans pareille : la Poule noire et Rayon des soieries. Une délicieuse et étincelante mise en scène, comme Mireille Larroche sait en concocter, des chanteurs éblouissants de jeu et de présence vocale (tout particulièrement le ténor Pierre Espiaut), une poignée d’instrumentistes (puisque l’orchestration a été ici réduite) : le tour est joué, qui emporte sans retenue le public du Théâtre Silvia-Monfort.
Aux Amandiers de Nanterre, dans le cadre du festival Agora, place à une œuvre lyrique d’aujourd’hui : Wagner Dream est la dernière pièce de Jonathan Harvey. L’écriture vocale, et surtout instrumentale, de ce compositeur raffiné séduit toujours autant, et hommage peut être rendu aux interprètes musicaux (Dale Duesing par exemple parmi les chanteurs, et la direction de Martyn Brabbins face à l’Ensemble Ictus). Le traitement électroacoustique de l’Ircam n’apporte rien de plus ou de neuf ; et moins encore le livret emphatique de Jean-Claude Carrière, dans une illustration grotesque des derniers moments de Wagner, que la mise en espace de Klaus Bertisch ne saurait sauver.

Pierre-René Serna