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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juillet 2017

Compte-rendu

Article mis en ligne le 2 juillet 2017
dernière modification le 6 juin 2017

par Raymond SCHOLER

A propos du 19e Far East Film Festival (suite), et du Festival de Cannes.

Corée du Sud
Les polars du Pays du Matin calme, ultraviolents comme d’habitude, commencent à se ressembler. Un scénario qui se retrouve d’année en année, est le trope du flic infiltré. Dans The Prison de Hyun Na, le jeune policier, infiltré dans un établissement pénitentiaire soumis à la dictature d’un mafieux pervers, doit subir un nombre incalculable d’humiliations et de bastons avant de gagner la confiance du caïd. Un être normal aurait rapidement trépassé avec pareil traitement. Mais les flics coréeens sont des super-héros. La réalisme n’est pas de mise. Ce n’est qu’in extremis que le jeune homme parvient à révéler au grand jour la collusion infernale entre la pègre et la direction de la prison. Au lieu de rentrer dans son foyer, juste récompense pour services rendus, il doit rempiler pour x années de tôle, car il s’est rendu coupable de plusieurs crimes de sang, en liquidant des rivaux du caïd. Impensable à Hollywood, où un bon truand est un truand mort. La Corée est le Pays de la Loi stricte.

Rae-won Kim et Suk-kyu Han dans « The Prison »

Dans New Trial de Tae-yun Kim, un avocat, dont la vie privée et la vie professionnelle sont sérieusement compromises, veut se refaire une virginité en acceptant de s’occuper du cas d’un gymnasien enfermé depuis dix ans pour un meurtre qu’il affirme n’avoir pas commis. En rencontrant la mère du détenu, il apprend les circonstances qui avaient occasionné l’arrestation du gamin et se rend compte que l’affaire est louche et que, s’il s’était agi d’un rejeton de parents riches, le jeune homme n’en serait pas là. Le juriste, au début gueulard et suffisant, apprend à écouter et à s’investir. Et patiemment, il reconstitue les événements de la nuit fatidique. Basé sur un cas réel, encore non clos au moment de la mise en chantier du film. La Corée est le Pays de la Vérité.

Dans Master de Ui-seok Cho, un procureur de choc et son équipe d’informaticiens mettent 140 minutes de courses poursuites, trahisons et traquenards pour démêler l’écheveau embrouillé des magouilles politico-financières dirigées depuis l’étranger par un génie cynique. Le casting dégorge un flot continu de jeunes loups frimeurs. Un autre trope récurrent. La Corée combat toujours la Corruption. Sa dernière présidente en sait quelque chose.

Ye-jin Son dans « The Last Princess »

Les pires corrompus qu’ait connus la Corée furent les traîtres qui avaient travaillé pour l’occupant japonais. The Last Princess de Jin-ho Hur en livre des spécimens savoureux, depuis l’entourage du dernier empereur (Gojong), empoisonné (c’est du moins ce que suggère le film) en 1919 sur ordre de Tokyo, jusqu’aux cafards qui ont surveillé sa fille cadette (Deok-hye), en exil au Japon depuis 1925 (elle avait alors 13 ans) jusqu’à la fin de la guerre. Et qui retrouveront bien sûr des postes haut placés sous la République, alors que Syngman Rhee interdisait aux membres de la famille royale le retour au pays ! Selon le film, la princesse aurait participé à des actes de résistance pleins de bravoure contre les Japonais, mais les seuls faits incontestables de sa biographie semblent être sa maladie mentale récurrente et son mariage à un noble japonais. La princesse put rentrer à Séoul en 1962 et les retrouvailles avec ses servantes constitue un des moments forts du film. La Corée est donc aussi le Pays de l’Histoire Alternative. C’est très in sous la présidence Trump.

Hae-jin Yoo et Hyun Bin dans « Confidential Assignment »

Dans le sillage de Shiri (Je-gyu Kang, 1999, où une espionne nord-coréenne tombe amoureuse de l’agent sud-coréen qu’elle était venue filer), premier film d’une longue série qui montre que l’alter ego néfaste nord-coréen devient enfin un possible compagnon, Confidential Assignment de Sung-hoon Kim montre un agent nord-coréen opérant de concert avec un flic sud-coréen à Busan pour arrêter les agissements de faux-monnayeurs issus de l’armée nordiste. Le communiste est si beau que toute la gent féminine de la famille sud-coréenne se pâme à l’envi, et même si le gaillard retourne dans son pays, car il est marié et fidèle, la scène finale lors d’un congrès à Pyongyang nous confirme que l’amitié entre les deux policiers est scellée à jamais. La Corée est le Pays de l’Espoir.
Ce que démontre de façon exemplaire et symbolique Canola de Chang : une grand-mère, qui élève seule sa petite-fille de cinq ans, la perd un jour sur un marché grouillant de monde. Douze ans plus tard, une jeune femme sonne à sa porte et affirme être la fillette disparue. Elle sait trop de choses de sa vie avec sa grand-mère pour qu’on puisse mettre en doute son identité, et pourtant la suspicion gagne du terrain. Une explication toute simple et une grand-mère qui n’a jamais été dupe contribuent à une fin harmonieuse, perpétuant le rêve d’une Corée unie où tout le monde y met du sien. Pas étonnant que le film ait remporté le troisième prix du public à Udine.

Bingbing Fan dans « I Am Not Madame Bovary »

Chine
Sous le titre curieux I Am Not Madame Bovary , Xiaogang Feng présente son œuvre la plus radicale, une espèce de Michael Kohlhaas en mineur. Le tort fait à l’héroïne n’est pas vraiment dû à une quelconque irrégularité de la loi ou à la tyrannie d’un puissant, mais à une simple tromperie. Pour obtenir plus facilement un appartement en ville, elle avait divorcé de son mari avec son consentement, mais le mari avait profité de la situation pour la quitter vraiment et emménager dans l’appartement avec une autre femme. Profondément humiliée, notre héroïne veut faire annuler le divorce (faux selon elle) pour entamer ensuite une vraie procédure. Sauf que la loi n’a pas prévu une telle éventualité et que tous les protagonistes trouvent la chose absurde. Son divorce, même s’il a été planifié comme une supercherie vis-à-vis de l’Etat, est valide. Son mari l’accuse d’être une Pan Jinlian (= Lotus d’or), d’après la femme infidèle du roman Chin P’ing Mei qui tue son mari. Le titre original du film se traduit en effet par « Je ne suis pas Pan Jinlian ». Et comme Madame Bovary est indirectement responsable de la mort de son mari, le titre international était vite trouvé. Comme le tribunal local ne veut pas entrer en matière, c’est-à-dire annuler le divorce, l’épouse humiliée fait appel à des juridictions de plus en plus élevées et porte ses doléances devant l’Assemblée nationale populaire. Feng s’amuse à décrire une belle galerie de politiciens qui ne savent pas à quel saint se vouer, craignant de prendre la décision qui va ruiner leur carrière. Tour à tour condescendants et menaçants, ils deviennent avec le temps - comme la dame ne lâche pas le morceau - implorants. Et une souris devient un éléphant par l’ineptie des fonctionnaires. Pour raconter cette histoire qui tourne en rond, centrée sur une femme qui ne pense qu’à elle, Feng a inventé le premier format circulaire du cinéma. L’’écran est noir et au centre, il y a une image ronde, comme si on regardait le monde par un trou de serrure. Ce n’est qu’à Pékin que le format devient soudain rectangulaire, pour symboliser sans doute l’ordre imposé par le Parti. Et les cinq dernières minutes du film sont en scope parce que l’héroïne a abandonné sa quête et retrouvé une vie normale.

Hong Kong
Jackie Chan, sexagénaire frétillant et agile, se glisse pour la seconde fois dans la peau d’un Indiana Jones chinois (cette fois-ci à la recherche d’un trésor Magadha enfoui dans les contreforts de l’Himalaya) dans Kung Fu Yoga de Stanley Tong et assume sans fausse gêne le côté infantile d’une aventure qui mêle les clichés les plus éculés (les charmeurs de serpent hindous), la comédie de situation basique et les scènes d’action acrobatique (Jackie évitant les crocs d’un quarteron de hyènes sur un système de balançoires) à une bonne humeur sans faille. Une danse Bollywood endiablée clôt le film, réunissant tous les protagonistes, amis et ennemis.

Jackie Chan dans « Kung Fu Yoga »

Le meilleur film du festival fut peut-être Shock Wave , que Herman Yau dédie à l’esprit d’abnégation de la police du territoire, notamment à la brigade des démineurs. Andy Lau est le chef charismatique qui ne perd jamais les pédales, excelle autant à désamorcer des bombes de la Deuxième guerre mondiale qu’à libérer une femme qui tient une grenade dégoupillée entre ses mains ligotées. Et voilà qu’un gangster bloque, avec des camions remplis d’explosifs, les issues d’un tunnel subaquatique rempli de voitures et rançonne la ville. Deux heures de tension plus tard, on serait prêt à contribuer au fonds des veuves et orphelins de la police de Hong Kong.

Festival de Cannes
Le dernier jour du mois de mai, le critique de 24 Heures se désole que « le beau (sic) film de Jacques Doillon, Rodin , a été accueilli dans l’indifférence au festival [… ] Conférence de presse peu courue, film boudé, qualifié de trop français par nos confrères étrangers. » Pour ma part, j’ai une explication plus simple : Vincent Lindon qui était jusque-là le comédien français le plus articulé, le plus limpide à comprendre, marmonne dans sa barbe de Rodin. Et avec lui presque tous ses coéquipiers. D’Izaïa Higelin, on n’attendait pas grand’chose, car elle fait partie de ces jeunes comédiens montants qui semblent en compétition avec les solistes américains du mumblecore. Dès que ces jeunes envahissent un film, on aimerait pouvoir se reposer sur des sous-titres.

Vincent Lindon dans « Rodin »
© Shanna Besson / Les Films du Lendemain

Pour ce qui est de Rodin , la plupart des scènes se déroulant entre le maître et Camille Claudel, on se perd en conjectures sur le contenu de leurs discussions. Avec la conséquence qu’on en veut à Doillon de nous présenter un travail pareillement bâclé. Ce marmonnage est une véritable insulte aux spectateurs. Cela dit, je comprends ceux qui, après avoir vu le film à Cannes, donc avec des sous-titres, lui trouvent certains mérites. Je pourrais envisager de le revoir en dvd avec sous-titres et peut-être que je serais prêt à m’émouvoir à l’une ou l’autre scène, mais, sans ces béquilles, il m’a semblé d’un ennui total. La répétitivité tue, quel que soit le sujet. Les spectateurs internationaux de Cannes, disposant de tous les atouts, ont abondé dans ce sens. Donc, s’il vous arrive de lire que Lindon sculpte Rodin dans le film de Doillon, souvenez-vous de ce que j’en pense.

Bonne relâche.

Raymond Scholer