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Cine Die de novembre 2010

Coup d’œil sur le 10e Neuchâtel International Fantastic Film Festival et sur le Festival de Locarno

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 11 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

10e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF)


Compétition asiatique
14 Blades (Daniel Lee, HK), un wuxia pian qui se perd dans une surenchère d’agitation au détriment des personnages, schématiques au possible, nous a laissés froids. De même les expéditions loufoques de la Mutant Girls Squad (Yoshihiro Nishimura, Tak Sakaguchi, Noboru Iguchi) contre les autorités fascistoïdes du gouvernement japonais peuvent amuser un moment, mais la conjonction de prothèses en plastique bon marché (mal collées) et d’effets spéciaux nunuches réduit ce qui se voulait transgressif et trash en une pénible potacherie. On attendait de Shinya Tsukamoto un renouvellement de ses thèmes et obsessions : hélas, Tetsuo the Bullet Man reprend simplement les éléments dramatiques des deux précédents épisodes de son Homme de Fer (1989, 1992) : en accentuant encore, si besoin était, la violence et le caractère assourdissant de la bande son ; il en résulte certes une expérience sensorielle extrême, mais qui ne saurait se suffire à elle-même. Un plaisir plus empathique peut être pris à la vision de Raging Phoenix (du Thaïlandais Rashane Limtrakul) où la sémillante Jija Yanin et ses quatre copains, tous adeptes de muay thaï, réussissent à extraire des jeunes filles des griffes du sinistre gang du Jaguar dirigé par la formidable bodybuildeuse Roongtawan Jindasing. Les victimes, attachées dans des oubliettes souterraines, subissaient des ponctions régulières de certains fluides corporels dans le but de recueillir l’essence absolue si bien décrite dans Le Parfum de Süskind.

« Wig » de Renpei Tsukamoto

Le public décerna son prix sans surprise à Wig (Renpei Tsukamoto), une comédie déjantée sur les affres d’un quadragénaire dégarni qui, une fois la perruque idéale acquise, craint d’être démasqué, notamment par son assistante, qui est aussi la femme de ses rêves. Comme dans The Handsome Suit (Tsutomu Hanabusa), primé en 2009, un homme aux attributs physiques peu engageants (grassouillet alors, chauve ici) réussit, au bout d’une métamorphose artificielle tendant à le rendre plus attrayant, mais s’avérant trop sujette à complications, à révéler son vrai aspect et gagner malgré tout le cœur de sa bien-aimée. C’est bien sûr le fantasme de tous les hommes, et comme on est au cinéma, les femmes dans les deux films sont extraordinairement belles. Bref, les dés étaient pipés.

« Bedevilled » de Jang Cheol-so

Bedevilled , un drame sombre et violent du Sud-Coréen Jang Cheol-so n’avait aucune chance de rafler le prix. C’était pourtant, et de loin, le meilleur film de cette compétition. Son titre anglais même faisait problème : aucun des officiels du festival n’arrivait à le prononcer correctement. Premier long métrage d’un ancien assistant de Kim Ki-Duk, Bedevilled est une parabole sur les conséquences pernicieuses de l’égocentrisme et un appel au courage civique. Hae-Won, une citadine trentenaire et célibataire, assiste en plein Séoul à une tentative de viol collectif, mais, terrorisée, elle renonce à témoigner contre les trois malfrats. Elle disjoncte au travail et son patron lui impose quelques semaines de congé. Elle se rend sur une petite île peu développée où elle avait autrefois passé des vancances chez ses grands-parents et s’était liée d’amitié avec une fille locale, Bok-Nam. Bok-Nam l’a à moult reprises invitée à lui rendre visite, mais elle n’a jamais répondu à ses lettres. C’est maintenant l’occasion rêvée d’y donner suite. Arrivée sur l’île, Hae-Won découvre que tout le monde traite Bok-Nam comme une esclave, sexuelle pour les mâles et domestique pour les femmes. Son mari la bat et l’humilie en couchant avec des prostituées. La malheureuse supplie Hae-Won de l’aider. Mais Hae-Won craint, encore une fois, de s’impliquer. Jusqu’au jour fatidique où Bok-Nam, ayant découvert que son mari s’en prenait aussi à sa petite fille, essaie de quitter l’île avec celle-ci. Le mari les rattrape : dans la mêlée, la gamine est tuée par le père. Et Hae-Won, qui a tout vu, refuse là encore de témoigner. Le lendemain, Bok-Nam passe ses tortionnaires au fil de sa faucille. Hae-Won se sauve de justesse sur la barque qui fait la navette avec la terre ferme. Mais la vengeance de Bok-Nam n’est pas finie. Exemplaire dans sa dénonciation des rapports de classe en vigueur dans les régions reculées, le film est sans pitié pour les femmes en tant que vecteur principal d’attitudes traditionnelles délétères. Tendant son arc narratif à l’extrême (avant la catharsis finale) avec une patience délectable, Jang montre une maîtrise enviable de son métier. Encore un Coréen qu’on aimera suivre à la trace.

63° Festival del Film Locarno


Olivier Père, tout en adhérant aux choix éclectiques qui caractérisaient les années Maire, a ramené le festival à des dimensions plus digestes : 280 titres contre 397 en 2009. Au-delà d’un choix très consensuel et conscient de l’importance des grands ancêtres pour la rétrospective (en l’occurrence, Lubitsch), les personnalités honorées (Alain Tanner, Jia Zhang-Ke, Chiara Mastroianni, Menahem Golan, Philippe Parreno, John C.Reilly) sont symptomatiques d’un souci d’équilibrage entre cinéma d’auteur et cinéma commercial, cinéma américain et cinéma asiatique, classicisme et modernité. Mélange des genres, mixité linguistique : comme ses prédécesseurs, le nouveau directeur se devait d’être polyglotte. Or, si Monsieur Père prononce l’anglais à la façon des Parisiens de Stephen Clarke dans A Year in the Merde, il est très à l’aise en italien. Il est d’autant plus curieux de l’entendre dire que l’auteur de Shutter Island s’appelle Scorcese (sic). Le choix heureux de John C. Reilly comme invité de marque nous a valu une conversation au Forum, où l’acteur au faciès crevassé, affublé de son chapeau caractéristique, passa en revue, avec une faconde jubilatoire, sa carrière depuis ses débuts sur scène à Chicago. Membre du prestigieux Steppenwolf Theatre, il débuta au cinéma dans un petit rôle de troufion violeur dans Casualties of war (Brian De Palma, 1969) avant d’atterrir chez Paul Thomas Anderson, Terrence Malick, et Martin Scorsese.

Justin Long, John C. Reilly et Jason Schwartzman dans « Walk Hard, The Dewey Cox Story » de Jake Kasdan

Les amateurs de la comédie musicale Chicago (Rob Marshall, 2002) se souviennent de lui en Mister Cellophane. Ces dernières années, il a trouvé une âme sœur en Will Ferrell dans des comédies qui transgressent allègrement les règles du bon goût : Talladega Nights (2006) et Step Brothers (2008), toutes deux réalisées par Adam McKay et soigneusement évitées par les distributeurs suisses. Son film inédit le plus fou est aussi le seul où il a rôle principal : Walk Hard : The Dewey Cox Story (Jake Kasdan, 2007), un pastiche délirant et vachard de toutes les biographies romancées de musiciens, qui « retrace » la carrière d’une « icône » du rock qui a joué dans la cour des plus grands (Elvis, les Beatles) et consommé les drogues les plus variées. Une séquence vaut à elle seule la vision de ce joyau : la rencontre de Dewey Cox et des Beatles dans l’âshram du Maharishi Mahesh Yogi. Jack Black en Paul McCartney, c’est déjà inhabituel, mais Justin Long est tout simplement impayable en George Harrison, en particulier dans son débit vocal traînant !

La Compétition Internationale
Comme nous aimons manger à tous les râteliers du festival, nous n’avons vu qu’un tiers des films de la compétition. Le plus inintéressant de tous semble Cold Weather de l’Américain Aaron Katz, annoncé comme le nouveau chaînon de la comédie américaine. Au bout de 45 minutes, après avoir assisté à des discussions interminables et ennuyeuses de personnages insignifiants et mal cadrés à propos de non-événements, bref à une ligne zéro sans signaux, nous avons préféré quitter la salle.

« Beyond the Steppes » de Wanja d’Alcantara

Au moins L. A. Zombie , dont la mise en scène (signée Bruce LaBruce) pourrait être qualifiée de basique, profitait-il du pitch le plus extravagant du festival : un zombie issu de l’Océan introduit sa turgescence (rappelant vaguement celle d’un verrat) dans les blessures de cadavres frais, victimes d’accidents ou de règlements de comptes, et, en lâchant sa purée noirâtre, les ressuscite. M. LaBruce est la coqueluche des festivals européens (voir notre rapport sur la Berlinale 2008) et son statut ne s’explique que par le fait qu’il est gay et que ses préoccupations ne provoquent guère de trouble chez la majorité des spectateurs. Jusqu’à nouvel ordre, les films pornos hétérosexuels sont toujours frappés d’anathème dans les festivals. A la différence de M. Katz, on peut cependant consentir à M.LaBruce un certain souci esthétique (son travail sur les couleurs ne s’oublie pas de sitôt), donc un projet minimal de cinéma. Pietro de l’Italien Daniele Gaglianone, où un souffre-douleur légèrement handicapé se venge sur ses bourreaux, est vicié par une caractérisation tellement primitive de ces derniers que le spectateur désire leur mort dès les premières séquences, mais doit attendre que la patience du candide héros arrive à bout.
Beyond the Steppes , un film belgo-polonais de Vanja d’Alcantara, raconte la déportation par l’armée soviétique de femmes d’officiers polonais en 1940. Les travaux dénués de sens que la police politique leur fait faire au fin fond du Kazakhstan et la rigueur des sévices auxquels elles sont exposées assimilent leur condition à celle des prisonniers des camps de concentration nazis. Leur situation ne s’améliore qu’après l’invasion de la Wehrmacht. Ce premier long métrage souffre de quelques raccourcis narratifs pas très clairs, mais constitue un complément très utile au Katyn (2007) d’Andrzej Wajda.

Eva Green dans « Womb » de Benedek Fliegauf

Le plus beau film de la compétition fut Womb du Hongrois Benedek Fliegauf. Rebecca et Tommy sont en train de vivre un amour passionné quand Tommy meurt dans un accident de voiture. Rebecca, anéantie, essaie de le faire renaître en portant son clone. Pour échapper au regard des autres, elle s’isole au milieu de nulle part. L’enfant grandit et sa ressemblance avec l’original devient troublante. Les parents de Tommy sont effarés. Les clones sont sujettes à l’ostracisme. Le jeune homme, horrifié, découvre un jour la vérité et avant de quitter sa mère pour toujours, il lui fait l’amour. Fliegauf aborde les séquences en plein déroulement et les quitte avant leur accomplissement, distillant en quelque sorte leur substantifique moelle par une sténographie narrative qui réduit les dialogues au maximum pour laisser les images se graver comme des totems dans notre mémoire.
La suite au mois prochain

Raymond Scholer