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Nouveauté Decca No. 228
Nouveauté de décembre 2010 : “Lohengrin“

Une version de Lohengrin qui a divisé les esprits, mais avec un Jonas Kaufmann d’une aisance confondante.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 29 octobre 2011

par Eric POUSAZ

Wagner : Lohengrin ou la Maison du bonheur

Enregistrée à l’Opéra de Munich pendant l’édition 2009 du Festival, cette version du Lohengrin de Wagner a divisé les esprits : alors que chef et chanteurs étaient encensés, le metteur en scène se faisait copieusement conspuer pour son approche peu respectueuse du mythe wagnérien consacré au salvateur incompris.

couverture Lohengrin

Lorsque le rideau s’ouvre, Elsa rêve d’un bonheur petit-bourgeois devant les fondations d’une maison en construction qu’un Lohengrin, déguisé en maçon, l’aidera à construire au fil de la représentation. Au moment de son départ, la conscience de l’échec le pousse à mettre le feu à ce qui eût dû abriter sa félicité terrestre avant de disparaître sans grand effet de fumigène…
Le DVD permet une approche plus différenciée de cette mise en scène iconoclaste, mais non dénuée de sens. Le jeu des acteurs reste en chaque instant d’un naturel parfait : Jonas Kaufmann et Anja Harteros occupent l’espace avec une aisance confondante, et leurs mimiques, souvent filmées de près, en disent aussi long que leur chant ; ce qui se voyait depuis la salle comme une transposition plutôt maladroite de l’apparition de Lohengrin dans l’univers banal d’un feuilleton télévisé du samedi soir devient ici un vrai psychodrame. L’enfermement progressif d’Elsa dans ses hallucinations que nourrit la crainte de voir l’être aimé l’abandonner à son quotidien banal trouve ici une transposition visuelle parfaitement convaincante. Certes, on ne saurait recommander cette version à un amateur totalement ignorant des méandres du livret et de ses prolongements psychologiques, mais l’on aurait également tort de la rejeter au nom d’une hypothétique fidélité aux visions floues et bleutées de leur auteur.
Jonas Kaufmann est devenu en quelques mois la nouvelle coqueluche des scènes lyriques internationales après avoir fait ses armes pendant plusieurs années sur les planches de l’Opéra de Zurich. Il est beau, jeune, ombrageux et incarne l’idéal du chanteur d’opéra séduisant pour un public gâté par les modèles de masculinité que lui offrent les multiples séries télévisées. La voix, de plus, est vraiment prenante – même si elle peine dans l’aigu comme le montrent quelques aigus tirés dans les deux scènes du cygne – et sait charger d’émotion la moindre réplique qu’elle entonne. Pour une prise de rôle, il est dans tous les cas certain que l’on aurait difficilement pu demander mieux. (Il participera d’ailleurs cette année à la nouvelle production prévue au Festival de Bayreuth !...) Anja Harteros est également idéale en Elsa : voix somptueusement étale sur tout le registre, aigus clairs et ronds avec une tendance au durcissement lorsqu’elle est mise sous pression, nuances recherchées de l’émission dans le médium et le grave : il faut remonter loin pour trouver mieux dans cet emploi, même si la couleur du timbre paraît de temps en temps manquer de chatoiements naturels. Michaela Schuster et une vraie harpie en Ortrud : son vibrato serré, qui pourrait devenir rapidement dérangeant, est pourtant ici magnifiquement contrôlé alors que quelques notes détimbrées dans les imprécations au milieu de l’acte II signalent les limites d’une voix un brin maltraitée.
Rien de tel du côté du Telramund au timbre incisif et robuste de Wolfgang Koch, un chanteur qui ne se contente heureusement pas d’émettre quelques décibels supplémentaires pour accuser les traits négatifs du personnage. Christof Fischesser est un Roi au chant subtil tandis que le Héraut aux inflexions nobles et majestueuses d’Evgeny Nikitin comble toutes les attentes. Les chœurs, habillés de costumes hideux, se contentent de faire de la figuration sans trop y croire mais chantent avec un engagement qui comble toutes les attentes.
La direction de Kent Nagano est plutôt nerveuse et vive, mais c’est tout gain dans cet ouvrage où la tonalité de ré majeur a tendance à transformer en vitrail immobile une intrigue qui ne manque pourtant pas de violence dramatique.
2 DVD Decca 074 3387

Eric Pousaz