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Notules CD - SM 191 - I
Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 16 juin 2007

par Eric POUSAZ

Natalie Dessay
Vivica Genaux chante Haendel et Hasse
Philippe Jaroussky chante Vivaldi
Monteverdi - Combattimento
Joan Sutherland - La voix du siècle

Natalie Dessay
Le programme de ce double CD (plus de cent cinquante minutes de musique !) ne recouvre pas celui du DVD présenté ailleurs en ces colonnes. Il n’y a point de doublets, ici, mais une trajectoire cohérente à travers le riche répertoire de cette chanteuse unique. De Chabrier à Donizetti, de Mozart à Rachmaninov, on assiste à la démonstration d’un talent multiforme presque insolent par sa facilité autant que par sa séduction. On ne peut se soustraire facilement à un chant aussi habité, aussi vrai et juste au plan dramatique qu’il est assuré au plan de l’intonation. Natalie chante avec le sourire des partitions dont toutes ne sauraient prétendre au qualificatif de chef-d’œuvre, mais qui se muent ici en faire valoir idéal d’un talent qui ne reconnaît aucune limite (il faut absolument avoir entendu ce que fait la chanteuse du ‘Round Midnight’ de Thelonious Monk adapté par Claude Nougaro !...) Ce disque fait bien sûr la part belle à la virtuosité la plus ludique (Lakmé, Manon, Dinorah et son Air des clochettes autant que “Lucie de Lammermoor” et sa folie sont au rendez-vous !) comme la plus effrontée (dans Offenbach notamment, dont Natalie chante des extraits de “Robinson Crusoé” et “Orphée aux Enfers”, sans parler de l’inévitable Olympia des“ Contes d’Hoffmann”). Mais il permet également de découvrir une chanteuse plus discrète, au talent soudain pudique au détour d’un air moins directement démonstratif comme l’extrait du “Roi malgré lui” de Chabrier ou surtout le superbe air de Pamina de La flûte enchantée, chanté sans aucun effet extérieur, comme une confession faite à soi-même par une artiste vraiment inspirée. Une recommandation sans réserve pour tous les fans de cette artiste, et pour les autres qui ne tarderont pas à le devenir !... (2 CD Virgin)

Vivica Genaux chante Haendel et Hasse
D’un tout autre intérêt est cette parution consacré à deux génies de l’opéra baroque. Vivica Genaux s’est spécialisée dans ce répertoire et trouve chaque fois l’ornementation juste, la tournure probante pour habiter ces airs dont la découpe peut paraître si ennuyeuse lorsqu’ils sont confiés à des artistes de moindre envergure. La voix de cette jeune mezzo américaine, qui s’est fait un nom avec Rossini, reste d’une fraîcheur irrésistible tout au long de ce programme ardu, mais abordé ici avec une simplicité poignante et une facilité tout aussi déconcertante. Les traits les plus fulgurants la laissent impavide, comme si les pièges techniques se transformaient pour elle en places de jeu pour une démonstration de virtuosité jamais prise en défaut. La musique de Hasse, d’un brio plus affiché - et aussi plus affecté - que celle de Haendel profite énormément de cette aisance à se jouer de toutes les difficultés. Et les moments lents, non moins beaux que les autres, trouvent en cette artiste une interprète sensible au climat, aux tensions internes et aux harmonies cachées de ces vignettes musicales d’une exquise vérité psychologique sous leur apparence schématique. Bernard Labadie dirige son ensemble instrumental Les Violons du Roy avec une vivacité qui pêche parfois par excès de légèreté, mais qui assure à chacun de ces airs un climat d’une efficacité dramatique de la plus belle venue. (1 CD Virgin)

Philippe Jaroussky chante Vivaldi
On a redécouvert tout récemment les opéras de Vivaldi, et une maison d’édition a même entrepris de graver tous ceux dont on possède un manuscrit satisfaisant. Loin de considérer ces ouvrages comme secondaires, les artistes actuels suivis d’un public de plus en plus nombreux se plaisent au contraire à en apprécier la variété de styles et la richesse d’émotion. Le contre-ténor Philippe Jaroussky a choisi pour cet enregistrement de graver les airs caractéristiques de quelques grands héros vivaldiens, secondé par l’ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi. Un tel CD s’adresse à un public plutôt averti, car il faut bien reconnaître que la variété souhaitée n’est pas au rendez-vous : la voix de Jaroussky est d’une magnifique fluidité ; elle monte aisément dans l’aigu et le passage du registre se fait sans difficulté audible tant est grand le naturel de l’émission, mais elle manque tout de même d’étoffe dans le grave. Il résulte de cette limitation que les airs présentent presque tous le même profil, en dépit de la variété des rythmes et des demi-teintes que le chef et ses musiciens s’ingénient à mettre en place. A vrai dire, on oublie rapidement que ces séquences musicales sont extraites d’opéras, car les rebondissements dramatiques dans lesquels elles s’insèrent ne laissent que fort peu d’écho dans l’air à proprement parler. Ainsi, lorsqu’on ne lit pas les textes reproduits dans le livret d’accompagnement, tous ces moments ont une tendance fâcheuse à se répéter par manque d’engagement dramatique. Trop précieux, l’art de Philippe Jaroussky finit par lasser et rendre peu souhaitable l’écoute intégrale de ce CD. A déguster donc à petites doses (1 CD Virgin)

Monteverdi : Combattimento
Curieuse entreprise que ce double CD (en fait, le 2e est un DVD qui montre les artistes au travail) consacré au “Combat de Tancrède et Clorinde” de Monteverdi assorti de quelques airs et duos du même compositeur. La surprise ne vient pas de l’Orchestre (un excellent Concert d’Astrée) ni du chef (une Emmanuelle Haim à la direction moins rageuse que de coutume), mais des chanteurs qui ne sont - et de loin - pas des spécialistes de ce répertoire. On se croirait revenu cinquante ans en arrière quand on entend Rolando Villazon ou Patricia Ciofi (et dans une moindre mesure Topi Lehtipuu) charger d’un vibrato pathétique une ligne de chant qui n’en demande pas tant ! On peut certes comprendre le désir d’artistes confirmés dans le répertoire italien de l’ottocento de se mesurer à la musique de Monteverdi, mais faut-il immédiatement en faire un disque ? Et si c’est le cas, pourquoi ne pas avoir choisi un orchestre moderne aux cordes moins étiques pour les accompagner ? Les versions d’anthologie du“ Combat de Tancrède” et des airs présentés ici existent en assez grand nombre pour que l’on puisse s’éviter cet achat. A moins qu’on ne veuille posséder ‘tout’ Ciofi ou ‘tout’ Villazon !... (1 CD + 1 DVD Virgin)

Joan Sutherland - La voix du siècle
Si le titre, dans son jusqu’au-boutisme, reste discutable, la supériorité de Joan Sutherland sur la plupart de ses rivales dans la 2e moitié du 20e siècle reste, elle, indiscutable. Ce double CD, élégamment serti dans un album enrichi de photos et divers documents d’époque, en apporte la preuve éclatante : au moment de la première parution de ces témoignages d’un art aujourd’hui oublié, on reprochait souvent à la cantatrice australienne sa prononciation baroque et souvent inintelligible de l’italien ou du français, on lui en voulait de rester tellement maîtresse de ses émotions que ses témoignages discographiques pouvaient paraître froids… Mais où trouver, aujourd’hui, l’équivalent de ce contrôle suprême de l’ornementation, d’une ligne de chant aussi élégante, d’’acuti’ aussi saisissants, et enfin d’une vocalise tellement aisée qu’elle ne s’impose jamais au détriment de l’épaisseur ou de la fluidité chatoyante du son ? Quel que soit le répertoire abordé dans ce généreux programme de plus de cent septante-cinq minutes, la diva fait tomber les plus infimes réserves par un abattage et une vérité d’accent dramatique qui force l’admiration. Ainsi, sa “Semiramide” de Rossini (1966) est-elle restée inégalable par la légèreté de l’intonation autant que par la puissance ébouriffante d’un médium d’une solidité à toute épreuve ; sa scène de folie tirée de “Lucia de Lammermoor”, un classique du genre, reste inégalé dans cette version de 1961 par le moelleux d’un timbre qui n’aborde jamais les notes stratosphériques de ce rôle avec une trop grande légèreté, rappelant par là à l’auditeur que Donizetti n’a pas destiné son personnage à un soprano coloratur ; sa “Traviata” (1960), certes plutôt robuste, épate par son éloquence et par une désinvolture qui ne s’accompagne d’aucune liberté excessive prise avec la partition ; et son duo avec Pavarotti dans “l’Elisir d’amore” (1970) rappelle que l’artiste savait se faire cajoleuse et ajouter quelques touches de soleil dans sa voix d’airain. Les chefs et autres solistes font certes, par la force des choses, plutôt de la figuration, mais celle-ci est intelligente et ne fait jamais retomber la tension. (2 CDs Decca avec textes des airs, analyses et photos)
Eric Pousaz