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Notule DVD - SM 201 : “Boulevard Solitude“ de Henze

Admirablement filmé, ce spectacle se regarde comme un film de fiction dont il a la perfection formelle autant que l’imparable sens du rythme.

Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 5 février 2008

par Eric POUSAZ

Sous ce titre, inspiré du célèbre film Sunset Boulevard de Billy Wilder, se cache en fait un avatar moderne de l’histoire de Manon Lescaut, transposée pour l’occasion dans le milieu du siècle passé.

Les personnages sont assez fidèles, par l’esprit du moins, à ceux qu’a imaginés l’Abbé Prévost, mais leur noirceur est plus appuyée : Manon, par exemple, est une parfaite garce qui a perdu toute innocence et n’hésite pas à abattre son amant riche au 6e tableau à l’instar de Lulu dans la pièce de Wedekind et l’opéra de Berg. La fin, elle aussi, étonne : Armand attend de voir sa maîtresse une dernière fois avant son transfert dans une autre prison ; mais il ne la voit pas passer et s’éloigne, désespéré, sans avoir pu échanger un seul mot avec elle. La musique est facile d’accès et réconciliera avec l’atonalisme ceux que le langage sériel gêne, car il est sous-tendu par diverses allusions à Puccini ou au swing. De plus, les airs, duos, trios et chœurs se succèdent comme dans un opéra de coupe traditionnelle…

couverture de DVD

Créé en 1952 à Hanovre dans une mise en scène du débutant Jean-Pierre Ponnelle, l’opéra n’allait pas tarder à faire le tour des grandes scènes lyriques ; la version actuellement disponible en DVD a été montée au Covent Garden de Londres et reprise au Liceu de Barcelone où elle a été enregistrée. La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff est tout simplement éblouissante avec son luxe de petits détails savamment observés qui donnent corps à des personnages conçus de façon plutôt schématique. Le vaste décor à transformations subtiles de Tobias Hoheisel évoque tour à tour un hall de gare, un bar louche ou un intérieur luxueux sans nécessiter le recours à la fermeture du rideau. Les longs intermèdes musicaux servent de musique de fond aux incessantes allées et venues de figurants invités à exécuter toujours le même parcours, comme pour signaler l’enfermement des membres d’une société moderne où tous restent prisonniers de schémas d’actions compulsifs. Admirablement filmé, ce spectacle se regarde comme un film de fiction dont il a la perfection formelle autant que l’imparable sens du rythme.

Zoltan Pesko dirige un orchestre tout simplement splendide avec une attention toute particulière portée aux changements de couleurs et à l’équilibre entre les timbres, comme s’il s’agissait pour lui de tisser un commentaire instrumental qui s’écoute comme une parfaite bande sonore. A ce titre, les intermèdes musicaux qui séparent chacune des scènes deviennent des sommets d’expressivité essentiels au déroulement du drame au lieu de se muer en simples agents de liaison entre ses diverses séquences.

Vue récemment à Bâle en Konstanze de l’Enlèvement au Sérail, Laura Aikin est Manon : élégante, séduisante, voire provocante dans sa guêpière soyeuse, elle habite le rôle avec une vérité psychologique et une aisance vocale qui laissent pantois. Son chant délié accroche les notes les plus exposées avec une franchise inhabituelle dans ce type d’écriture musicale où l’approximation est souvent de mise.
Pär Lindskog en Armand est non moins convaincant : plus pataud physiquement, il a l’ardeur juvénile de l’amoureux passionné, la tendresse vocale du jeune rêveur, l’arrogance agressive du macho blessé dans son honneur. Tom Fox campe un Lescaut veule, monstrueux même et d’une parfaite indifférence au malheur d’autrui ; la voix n’est plus d’une grande fraîcheur, mais dans ce type de rôle, pareille limite est plutôt positive. Tout simplement grandioses sont par contre Hubert Delamboye et Pauls Putnins dans les figures vocalement moins exposées, mais capitales au plan dramatique de Lilaque père et fils.
Le chœur Vivaldi et les Petits Chanteurs de Catalogne complètent ce tableau extrêmement flatteur d’une représentation quasi parfaite dont on se réjouit qu’elle puisse maintenant être vue et revue par les amateurs lyriques du monde entier. (Euroarts, 1 dvd)

Eric Pousaz