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Nouveauté Arthaus
DVD de novembre 2010 : “Carmélites“

Arthaus publie la captation effectuée l’année dernière à Hambourg. Une réussite !

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 11 décembre 2011

par Eric POUSAZ

Poulenc : Dialogues des Carmélites

couverture Poulenc

Comme Benjamin Britten, Francis Poulenc a mis du temps à conquérir les grandes scènes internationales. Bien que créé à la Scala de Milan en 1957 déjà, son unique opéra a longtemps mené une vie végétative hors des frontières françaises. Les choses changent radicalement depuis une décennie. Ainsi, les Opéras d’Athènes, Oviedo, Kassel, Berlin, Vienne, Munich, New-York, Londres ou Cardiff ont mis récemment à l’affiche cet ouvrage de plus en plus populaire L’actuelle captation vidéo que publie Arthaus a été, elle, effectuée l’an passé à l’Opéra de Hambourg…
La réussite, tant visuelle que musicale, est de premier ordre. On oubliera rapidement les accents parfois exotiques de certains chanteurs peu à l’aise dans la langue de Molière, pour se concentrer sur une interprétation musicale qui rend justice à un langage théâtral incroyablement. Souvent, les interprètes français favorisent un ton de conversation qui nuit à l’expressivité de la musique en la reléguant au rôle de tapisserie sonore. Sous la direction de Simone Young, l’orchestre hambourgeois souligne la dette de Poulenc envers la musique postromantique italienne avec ses brusques enflures qui mettent en exergue tel élément dramatique inattendu. Ce que la scène ne nous donne pas à voir, l’orchestre nous le fait entendre de grandiose façon et l’on ne sait qu’admirer le plus dans cette direction à la fois fluide et puissante qui sait éviter le piège de la lente progression vers l’impitoyable scène finale pour nous régaler de quelques moments particulièrement bouleversants comme la rencontre de Blanche avec son frère ou le premier discours de Mme Lidoine, sous tendu par une musique d’une discrète agressivité. En bref, la direction inspirée de Simone Young nous fait ici bel et bien entendre un opéra à part entière qui peut ébranler durablement le public le plus traditionaliste, même s’il n’est pas au fait des subtilités de la langue française.
La distribution comprend quelques voix bien usées qui seraient pénibles dans un autre contexte, mais qui trouvent ici un moyen de transmettre un message bouleversant d’humanité. Gabriele Schnaut, par exemple, n’a plus que les ruines d’un vaste soprano à nous faire entendre, mais quelle diction impériale et quel impact elle sait donner à chaque mot ! Kathryn Harries en Mme de Croissy peine à garder son instrument sous contrôle, mais elle en use avec intelligence pour faire sentir l’impitoyable progression du mal qui l’emporte dans une scène de mort qui n’est pas sans rappeler celle de Boris Godounov ! Les autres voix sont tout simplement confondantes sur tous les plans. Bien qu’un peu âgée pour le rôle, Alexia Voulgaridou prête à Blanche de la Force son soprano clair et large pour brosser d’elle un portrait tout en nuances ; le soprano prenant, clair et percutant, d’Anne Schwanewilms fait lui aussi grande impression en Mme Lidoine alors que Nicolai Schukoff campe un pathétique du Chevalier de la Force : son interprétation électrise autant par sa force dramatique que par sa justesse d’expression. Malgré son français exécrable, Wolfgang Schöne est un Marquis plein de noblesse ; Jana Büchner est également excellente lorsqu’elle aborde le pépiement innocent de Sœur Constance avec son soprano léger, mais jamais acide. Bonnes compositions des chanteurs secondaires et magnifiques interventions de la part d’un chœur concerné comme rarement.
La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff est un régal pour l’œil et pour l’esprit : le sol du décor unique de Raimund Bauer est strié de poutres transversales comme pour permettre la mise en place d’un vaste jeu aux règles complexes dont les pièces seraient irrémédiablement écartées par les forces du destin ; ces lignes trouvent un écho visuel dans les piliers noirs des parois. De discrets jeux de lumière réglés par Olaf Freese et quelques rares éléments décoratifs suffisent à signaler les changements de lieux. Quant à la chorégraphie de la scène finale (car c’est bien ainsi qu’il faut appeler les saisissants jeux de scènes des nonnes condamnées), il est de ceux qui s’impriment durablement dans la mémoire et rendent difficiles l’acceptation d’autres solutions scéniques.
1 DVD Arthaus

Eric Pousaz