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En marge du spectacle du Grand Théâtre de Genève
Discographie : “Alice in Wonderland“

Au sujet de la captation vidéo de la production munichoise...

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 13 juillet 2010

par Eric POUSAZ

Le Grand Théâtre termine sa saison avec Alice in Wonderland, un opéra créé au Festival de Munich en 2007. La compositrice coréenne Unsuk Chin y a fait sensation avec sa partition aux ressources musicales éclectiques qui fait parcourir les développements de l’histoire de la musique du Moyen Âge au XXIe siècle alors que le spectacle, signé du peintre surréaliste et homme de théâtre allemand Achim Freyer, enthousiasmait les spectateurs. Reflet de ce spectacle, un DVD nous permet de juger l’œuvre avec un peu de recul.

En salle, il était en effet difficile de juger de l’impact de cette musique tant était grande la place qu’accaparait la partie visuelle du spectacle. Unsuk Chin utilise un langage musical protéiforme qui saute allègrement d’un genre à l’autre. Certaines séquences (comme la partie de jeu de cartes) évoquent de l’excellente musique pour spot publicitaire ; d’autres, comme la réflexion sur le passage rapide du temps, font penser aux luxuriances orchestrales d’un Ravel dans L’Heure espagnole ou au bariolage sonore de la scène du couronnement dans Boris Godounov. L’orchestre, d’un effectif imposant, prend parfois des allures de déluge à la Richard Strauss alors qu’en d’autres moments on songe à la tendresse d’un Britten (dans une touchante complainte animale qui vient interrompre fort opportunément l’interminable course d’Alice après elle-même) ou dans les tournures de ‘blues’ de son unique air “It’s always too late, it’s always too soon” qui s’apparente à un air fredonné en aparté sur un accompagnement d’harmonica…

Grandiose distribution
La captation vidéo de la production munichoise est déroutante ; vue depuis la salle, la mise en scène se résumait en effet à une suite de tableaux peuplés de personnages étranges invités à réaliser de véritables prouesses physiques sur un espace scénique dangereusement en pente. Porteurs d’énormes masques et de costumes délirants, un groupe de huit danseurs/ acrobates meublaient un espace qui semblait privé de toute logique en défiant les lois de la pesanteur ; est-il nécessaire de préciser, dans ces conditions, que les chanteurs restent quant à eux confinés vers le bas de la scène ? Pour dynamiser le tout, le montage de la vidéo fait valser des caméras sans cesse en mouvement afin de permettre une approche ‘multi angulaire’ du show. Le résultat n’éclaire pas forcément la lanterne du spectateur désireux de retrouver les épisodes clefs du roman de Lewis Carroll mais éblouit par sa virtuosité. Plus grave est peut-être l’impossibilité dans laquelle on se trouve d’écouter la musique avec attention car l’œil est sollicité jusqu’à la saturation par une avalanche d’images toutes plus belles les unes que les autres.
La distribution réunie pour l’occasion était grandiose : Sally Matthews incarne une Alice au timbre fruité et léger mais sans fragilité excessive ; tour à tour touchante ou cocasse, le personnage traverse ce délire visuel avec une sûreté de somnambule qui accentue encore, si faire se peut, la dimension féérique de l’ensemble. La voix chaude de Dietrich Henschel en Mad Hatter, les acrobaties vocales lumineuses de Julia Rempe dans le rôle du Chat et surtout l’inénarrable Reine de Cœur campée par une Gwyneth Jones irrésistible de drôlerie … wagnérienne contribuent à rendre inoubliable cette soirée musicale d’une tonalité si particulière.
L’orchestre de l’Opéra de Munich est dirigé par un Kent Nagano attentif au moindre feulement sonore : son analyse plutôt distanciée d’un langage lyrique diversifié à l’extrême fait merveille en transformant opportunément l’accompagnement instrumental en nécessaire principe unificateur de ce récit qui part dans toutes les directions. Il sera pour le moins captivant de découvrir un spectacle forcément entièrement différent sur le plateau du Grand Théâtre ; il y a même fort à parier qu’une autre approche visuelle permettra de mieux apprécier la valeur d’une musique qui ne se livre pas à première écoute…

Eric Pousaz

Unsuk Chin : « Alice in Wonderland »
1 DVD Euroarts Unitel Classica, distribué par Universal