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Les films de février 2007 - I

Commentaires sur les films : Odette Toulemonde - A Good Year - The Magic Flute - Le grand silence - Dreamgirls - Pars vite et reviens tard.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 17 mai 2012

par Firouz Elisabeth PILLET, Philippe BALTZER

Odette Toulemonde

de Eric-Emmanuel Schmitt, avec Catherine frot, Albert Dupontel, Jacques Weber. France-Belgique, 2007.

et

A good year

(Une grande année) de Ridley Scott, avec Russell Crowe, Albert Finney, Dider Bourdon. USA-Angleterre-France, 2006.

C’est bien connu : plus on fréquente les salles de spectacles, plus on devient exigeant et l’esprit critique bien aiguisé. Et plus on perd l’innocence d’un esprit vierge de tout a priori, donc on se rend au spectacle avec une multitude d’idées préconçues et d’attentes bien définies. Voilà ce qui m’arrivât quand je me rendis au cinéma, avec enthousiasme, pour découvrir le dernier opus filmique d’Eric-Emmanuel Schmitt, et avec un enthousiasme mitigé pour Une Bonne Année. Mal m’en a pris : le premier, empli d’auto-condescendance, regorge de clichés plus énormes les uns que les autres, même si l’auteur prétend pourtant les éviter ; le second, qui s’annonçait être une énième version américaine d’une « french love romance » est plein de clichés, certes, mais servis avec finesse et toujours à propos. Mes certitudes de spectatrice se sont soudain effondrées devant l’ennui de l’un, et le ravissement suscité par l’autre.

« Odette Toulemonde »
© Pathé Distribution

Le film de Schmitt nous entraîne auprès d’Odette Toutlemonde, une caissière de supermarché wallon, mère d’un garçon coiffeur homo et d’une fille « garçon manqué » au chômage éternel, veuve mais toujours fidèle au souvenir de son mari. Une seule étincelle illumine la morosité de sa vie : la lecture passionnée des ouvrages de Balthasar Balsan, coqueluche des coiffeuses, caissières de supermarché et autres petites gens. Bref, l’auteur à succès des « collectionneuses de poupées de porcelaine ». Ce concentré indigeste de clichés a tôt fait d’agacer, d’autant qu’il se veut une pâle et médiocre imitation du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, couplée de la velléité de servir à bon escient (ce qui n’est jamais le cas !) une musique sortie tout droit des compositions de Nino Rota. Bref, Schmitt devrait avoir la modestie de se cantonner à la littérature, qui lui convient, et de cesser de vouloir à tout prix taquiner toutes les Muses. Il n’en est pas à son coup d’essai et les précédentes tentatives (Le Libertin, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran) avaient déjà laissés perplexes plus d’un cinéphile.

« A Good Year » de Ridley Scott, avec Russell Crowe

Dans un autre registre, Ridley Scott suit les pas de Max Skinner, un banquier d’affaires anglais sans humanité ni scrupules, qui hérite du vignoble provençal où il passait autrefois ses vacances d’été auprès de son oncle. Il s’y rend, bien décidé à vendre ces terres au plus offrant, ne se souciant guère du sort de Francis Duflot, le vigneron qu’il a connu enfant et qui veille depuis trente ans sur les cépages. Alors qu’il prend possession de ses terres, Max apprend qu’il est suspendu suite à une de ses transactions douteuses. Il se résout à s’installer quelque temps dans la propriété. Cet ermitage forcé lui révèle une région où il fait bon vivre, peuplée de gens chaleureux et authentiques. Le banquier a tôt fait d’oublier la City et les cours de la bourse, d’autant qu’il s’amourache d’une restauratrice aux yeux ravageurs. Dans ce tableau idyllique surgit une jeune Californienne qui prétend être la fille illégitime du défunt oncle.
Ridley a pris plaisir à tourner en Provence, entouré d’une équipe aux nationalités bigarrées, et cela se sent. Son film regorge de soleil, fleure bon la lavande et laisse le goût âpre d’un vin balayé par le Mistral, le tout sans jamais abuser de clichés somme toute bien agréables. La romance qui s’instaure entre la séduisante et farouche Fanny Chenal (M.Cotillard) et Max (Russell Crowe qui ose enfin s’aventurer dans un autre registre que celui des grosses brutes !) séduit et rend les spectateurs insouciants, oublieux de leurs tracas quotidiens, tout simplement heureux d’avoir passé un bon moment.
Moralité de la critique : un spectateur averti devrait rester sur ses gardes !
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

The Magic Flute


(GB 2006), de Kenneth Branagh avec Joseph Kaiser, Amy Carson, Benjamin Jay Davis, René Pape

Les mauvais coups portés au dernier opéra de Mozart ne se comptent plus ! Pour ne citer que les plus récents, on mentionnera la terne mise en scène de Peter Audi à Salzburg en 2006, où l’on découvrait un Papageno affublé d’un costume façon « Doc Gynéco » qui évoluait dans des décors en papiers mâchés en provenance directe de « l’Ile aux enfants ». On se souvient également qu’en janvier 2005, l’Opéra Bastille accueillait les fumistes du collectif catalan « Fura dels Baus » qui nous infligeaient une « Flûte » dont les récitatifs avaient courageusement été remplacés par un salmigondis de poèmes « abscons » lus par Dominique Blanc et Pascal Grégory. Ces derniers étaient juchés sur des chaises de gardien de piscine, pendant que de malheureux chanteurs se débattaient dans des boules en plastique de couleurs (hommage aux garderies IKEA ?) « afin de mieux souligner l’aspect onirique de l’œuvre » !
Dès lors, comment reprocher à Kenneth Branagh d’avoir choisi de placer l’intrigue de son adaptation à l’écran de la « Magic Flute » dans les tranchées de la guerre 1914-1918 « afin d’intensifier l’opposition entre la lumière et les ténèbres » ?

« La flûte enchantée » de Kenneth Branagh
© Les Films du Losange

Dans cette version cinématographique, Papageno exerce la noble fonction de gardien des canaris utilisés pour détectés la présence du gaz moutarde (!) et la Reine de la Nuit ne se déplace qu’en « Grosse Bertha » ... vous voyez le genre !
Le principal reproche que l’on peut adresser, au pourtant très shakespearien Branagh, c’est de ne laisser aucun répit au spectateur : les mouvements d’appareil, les plans saccadés, les idées plus ou moins farfelues et les effets spéciaux (d’une laideur rare) se succèdent à une cadence infernale et finissent par produire un sentiment de rejet définitif de ce brouet. Fermer les yeux ? C’est encore pire : ce machin est chanté en anglais ! Mais qu’est donc venu faire René Pape dans cette affaire ?
Toute critique sérieuse sur le sujet se doit évidement de mentionner LA version de 1974 d’Ingmar Bergman. Bien que chantée dans une langue gutturale et suédoise, et très proche d’une captation scénique, ce film dégageait une beauté simple et une douceur féerique bien plus en adéquation avec le dessein mozartien.
Notre conseil : restez chez vous et réécoutez votre version favorite de la « Zauberflöte » en dégustant quelques « Mozartkugel ».
Philippe Baltzer

Le grand silence


(Die grosse Stille), de Philip Gröning, avec les moines. Allemagne, 2006.

Quel étrange OVNI que ce documentaire que ce documentaire du réalisateur allemand…
Étrange par la durée de son tournage : le réalisateur a initié ce projet en 1984. Quand les membres du monastère le contactent en 1999 pour discuter d’un film qui refléterait les origines archaïques et les fondements de notre monde, le cinéaste ne voit qu’une possibilité pour mener à bien son entreprise : vivre au sein de la communauté, partager la vie des moines, vivre au rythme des prières et des saisons. Le grand silence est un film qui dévoile le changement du temps, des saisons, des activités quotidiennes sans cesse répétées, qui livre l’intimité des moines et de leurs cellules. Ce que le commun des mortels, du simple curieux à l’érudit, de l’athée au croyant, a imaginé se révèle dans toute son austérité et son épure. Il aura fallu vingt et un ans de patience, d’engagement et de réflexions à Philip Gröning pour livrer les secrets de cet ordre cloîtré.

« Le grand silence »
© Diaphana Films

Étrange par son propos : en effet, le grand silence dévoile ce qui fut imaginé, voire fantasmé pendant des siècles : la vie monacale, avec sa kyrielle de vœux (pauvreté, chasteté, silence…). Pour servir la cause du film, les moines ont quelque peu fait une entorse au vœu de silence. Philip Gröning s’est intéressé à l’Ordre de La Grande Chartreuse, fondé en 1084 par Saint Bruno. Voué à la contemplation et à la prière continue, cet ordre est longtemps resté un mystère puisque cloîtré. Le documentaire de Gröning permet d’entrer dans l’enceinte de La Grande Chartreuse des Alpes grenobloises. On compte encore 30 Chartreuses où les pères chartreux restent reclus dans leur cellule, voué à la prière. A leurs côtés vivent les frères qui s’attèlent aux tâches matérielles. A ce propos, une séquence du film laisse perplexe : le frère cuisinier tente, à la percée du printemps, de braver la couche de neige persistante pour y déposer des semis de graines. Bien altéré dans sa santé, le brave frère glisse, manque de chuter mais poursuit sa besogne. Aucun père chartreux ne vient lui porter aide, puisque leur devoir est de prier en continu. Diverses questions assaillent soudain le spectateur : un ordre contemplatif a-t-il encore sa place dans le monde actuel ? La contemplation n’autorise-t-elle pas l’entraide et la solidarité ? N’est-il pas plus remarquable de se vouer aux autres, dans l’humanitaire, auprès de ceux qui en ont le plus besoin au lieu de se réfugier dans la prière, fuyant l’âpreté de la vie ?
Étrange par ses conditions de réalisations : avec l’introduction du numérique, il est devenu monnaie courante que le réalisateur fasse tout, du moins beaucoup. Dans le cas présent, ce n’est pas le numérique qui a imposé au réalisateur de prendre en charge les autres obligations du tournage, mais, bien évidemment, le lieu. Le cinéaste a assumé les prises de sons, tenu la caméra, porté les vingt kilos de matériel. Il a dû s’investir personnellement puisqu’il a séjourné plusieurs mois au sein de la communauté, suivant le rythme monacal. On peut lui concéder qu’il a bien rempli son vœu d’austérité.
Étrange par sa durée : peu commune, en effet puisque Le grand silence nous entraîne dans 160 minutes de contemplation et de recueillement, d’austérité et de … silence.
Étrange enfin car ce film qui se consacre à un sujet a priori anachronique, sans lien avec la frénésie contemporaine, a intrigué, questionné, étonné. Preuve en est : Le Grand silence a, entre autres prix, remporté le Prix Spécial du Jury au Festival de Sundance et le Prix du Meilleur documentaire aux European Films Awards. Cela donne à méditer !
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

Dreamgirls


de Bill Condon, avec Beyoncé Knowles, Jamie Foxx, Eddie Murphy. USA, 2007.

Ces « Dreamettes » dont l’ascension fulgurante fait rêver nous entraînent dans une époque musicale riche en nouveaux sons, du R’n’B au disco, en passant par la Soul. Le trio que composent Deena, Effie et Lorrell est repéré par l’ambitieux manager Curtis Taylor Jr, d’abord pour faire le chœur du chanteur James « Thunder » Early, puis pour former leur propre groupe. Mais l’Amérique n’est pas encore démocratique et les succès à peine lancés sont aussitôt repris de manière insipide et mièvre par des artistes blancs. La concurrence est rude mais surtout déloyale. Directement inspiré de la trajectoire époustouflante de Diana Ross, dont les premier groupe, The Primettes, s’est rapidement mué en The Supremes, puis en 1967, Diana Ross & The Supremes.

« Dreamgirls »
© Collection AlloCiné

Dreamgirls est l’adaptation audacieuse d’une comédie musicale de Broadway, dont les droits furent déjà achetés par les producteurs en 1980 avec comme chanteuse Withney Houston. Cette dernière exigeant de chanter aussi les partitions d’Effie en plus de celle de Deena, le projet fut abandonné. Les spectateurs n’y ont rien perdu au change car les artistes regroupés pour finaliser cette aventure sont tous plus convaincants les uns que les autres, à commencer par Beyoncé Knowles.
Outre le fait que la bande originale du film est exceptionnelle, le film fait alterner les scènes de concert, les coulisses et la vie privée avec une fresque du climat socio-politique des États-Unis. Le parti pris de Bill Condon, réalisateur et scénariste, était de brosser un contexte historico-politique bien précis, entre discours de Martin Luther King et émergence des droits civils américains.
Beyoncé Knowles, chanteuse du groupe R’n’B Destiny’s Child incarne à ravir la Diva de la Soul et du Funk Diana Ross. Dreamgirls rappelle aussi que le label Motown qui a révélé Diana Ross à l’époque était une écurie musicale militante qui pressa nombre de disques dont les plus grands succès noirs-américains des années 70 et 80.
Si le temps vous est compté pour vous rendre en salle voir ce bijou, procurez-vous au moins la BOF du film…. Un pur régal !
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

Pars vite et reviens tard


de Régis Wargnier, avec José Garcia, Lucas Belvaux, Michel Serrault, Marie Gillain, Olivier Gourmet. France, 2007.

Régis Wargnier nous a habitués aux films « exotiques » (Indochine), aux films historiques (Une femme française, Man to Man). Le film Pars vite et reviens tard lui offre l’occasion de réaliser un rêve de longue date : tourner un polar, à la grande surprise de ses admirateurs qui ne l’attendaient pas dans ce registre. Il faut avouer que Wargnier a pris le train en marche puisque les producteurs de Pars vite et reviens tard sont venus le chercher alors que le script avait déjà été écrit par les co-scénaristes Julien Rappeneau et Ariane Fert. Ces derniers avaient fait un travail conséquent, adaptant le roman éponyme de Fred Vargas à l’écriture filmique. Mais, aux dires du réalisateur, les personnages manquaient de profondeur, d’humanité. C’est à cette besogne que s’est attelé Régis Wargnier, rendant l’épaisseur psychologique et émotionnelle aux personnages de Vargas, dont le célèbre commissaire Jean-Baptiste Adamsberg.

« Pars vite et reviens tard »
© Collection AlloCiné

Celui-ci est confronté à une étrange énigme, accablée d’une malédiction effroyable qui annonce le retour de la redoutable Mort Noire. Un crieur public annonce quotidiennement les prémices de l’arrivée de la peste et d’étranges signes couvrent les portes des immeubles parisiens. Adamsberg, instinctif et intuitif, n’arrive plus à faire confiance à ses sens, désorienté par le départ de sa fiancée Camille. Il s’entoure d’indicateurs parmi les plus insolites, allant du professeur de Belles Lettres, Hervé Decambrais (Serrault), de son collaborateur Danglard (Belvaux), du crieur Joss Le Guern (Gourmet) et se laisse séduire par la demi-sœur du suspect n° 1, Marie (Gillain).
Le roman de Vargas nous plongeait dans une enquête médiévale riche en références philosophiques, ésotériques, historiques et archéologiques. Le film a su conserver ces éléments tout en y insérant, avec justesse, la réalité de l’enquête policière. Entre romance et réalisme, Adamsberg évolue dans divers lieux de la capitale, centre de gravitation de multiples personnages secondaires. Comme à l’accoutumée, Wargnier souligne l’importance des lieux et s’est entouré d’une magnifique palette d’acteurs qui servent le propos du film avec exactitude.
Pour incarner le fameux commissaire, il fallait un acteur dans la quarantaine. Wargnier a immédiatement songé à José Garcia, un habitué des adaptations littéraires au grand écran. Garcia avoue avoir senti plus de pression dans cette interprétation, étant donné les attentes des inconditionnels de Vargas. Wargnier est parvenu à rendre le roman de Vargas sans en altérer les ingrédients, offrant aux spectateurs un thriller moderne. En effet, le réalisateur a su marcher sur les traces d’un genre séquestré par la télévision, en y apportant une dimension contemporaine. Précisons pour les férus lecteurs de la romancière que Fred Vargas n’a pas souhaité participer à l’élaboration du projet cinématographique.

Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet