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Film de mai 2008 : “Battle for Haditha“

Films de guerre (ou sur la guerre) selon Nick Broomfield et Brian de Palma.

Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 23 mai 2012

par Bertrand TAPPOLET

Quatre ans après l’invasion de l’Irak, Hollywood et le cinéma indépendant anglo-saxon et américain tentent tardivement d’éveiller les consciences critiques en bombardant les salles de fictions sur la « guerre contre la terreur ». Mais sans grand succès public sur le territoire étatsunien selon les médias US largement relayés par leurs confrères européens.

Mémoires de nos images
L’intervention américaine en Irak coïncide avec l’extraordinaire démocratisation des moyens d’enregistrement et de diffusion vidéo (via les sites de partage en ligne). Mais aussi avec une censure étatique qui interdit aux médias de reproduire notamment les images de cercueils revenant du théâtre des opérations.
« Le monde des images a changé et je voulais rester au plus près des événements, de mes sources, prévient le réalisateur Brian de Palma. L’internet transmet des faits que les mass media comme la télévision ne montrent plus. Les images de nos soldats sur le terrain que nous renvoient les différentes chaînes d’information travestissent la réalité. »

« Redacted » de Brian de Palma

Son long-métrage, Redacted, se concentre sur un petit groupe de soldats américains en garnison dans un poste de contrôle en Irak. La succession de points de vue différents s’essaye à confronter l’expérience de boys rongés par un climat anxiogène et délétère, des journalistes et collaborateurs des médias, avec celle de la communauté irakienne locale afin de faire la lumière sur les conséquences désastreuses que le conflit actuel et leur rencontre fortuite ont eues sur chacun d’eux. Malgré sa maestria, l’opus n’échappe pas à l’annulation d’un régime d’images par un autre dans la juxtaposition de scènes qui mêlent quotidien de troufions en cantonnement (Magazines X et racisme tous azimuts) avec, trop souvent, une absence de propos ou de point de vue. «  Tout ce que vous voyez dans le film, comme les blogs, les vidéos postées sur YouTube, les différents sites, ne sont qu’une transposition de mon travail effectué en amont pour écrire le film, explique le réalisateur. J’ai cherché sur Google toutes les informations possibles sur ce fait divers (le viol par des GI, dans un quartier de Bagdad, d’une jeune Irakienne puis le massacre de sa famille). Je suis tombé sur divers témoignages à la fois écrits et filmés.. Je n’avais qu’à piocher dedans. Les différents protagonistes impliqués dans cette histoire sont actuellement poursuivis et ne peuvent pas s’exprimer, j’ai donc reconstitué cette vérité.  »
Redacted se situe volontairement à la ligne de partage de plusieurs fabriques d’images. Docu-fiction reportage vidéo et photo, minicaméras numériques (la recette des images de torture de l’ancienne prison d’Abou Ghraïb a bien été assimilée), snuff movie ou happy slapping sur téléphone portable : le viol de l’adolescente irakienne par la meute en treillis, comme trente ans auparavant la jeune Vietnamienne dans Outrages du même de Palma.
Le film saute en permanence d’un registre à l’autre, exactement comme nous le pratiquons avec les écrans média multimédias et leurs fenêtres, leurs jeux de simulation et de transversalités hypertextuelles devant lesquels nous passons nos vies. Il n’est pas jusqu’au slideshow terminant l’opus de Brian de Palma qui n’évoque les teasers que l’on trouve à profusion sur la toile et notamment sur YouTube. Le final est ainsi constitué par un diaporama de photos bien réelles des atrocités commises en Irak, et la dernière de ces photos montre la jeune fille massacrée (fictive, mais inspirée d’une personne réelle), avec travelling avant et musique pompeuse. De plus, le réalisateur joue de la mise en abyme, puisque toutes les news inspirées de networks sont rejouées et réactivées à l’identique, mais chaque fois par des comédiens ; les chaînes Foxnews et CNN ayant refusé que leurs archives et images soient utilisées dans le film. L’opus devient le creuset de nombre de régimes d’images et de discours générés par le conflit irakien avec, en plus, la dimension « Irak reloaded », de réinitialisation et de remise en scène de ces mêmes images.

Effets de véracité
Vingt-quatre habitants de la ville d’Haditha, située en plein cœur du «  triangle sunnite » où se concentre la rébellion irakienne qui la contrôle, exécutés par des soldats américains. Une « bavure », qui est un véritable crime de guerre, survenue le 19 novembre 2005 suite à l’explosion d’une bombe au passage d’un convoi de marines, à proximité d’Haditha. L’un d’entre eux, le caporal Miguel Terrazas, est tué dans l’explosion. Documentariste, le Britannique Nick Broomfield signe avec Battle for Haditha son premier film de fiction en se gardant bien de mélanger les genres, contrairement à de Palma. Le scénario est une synthèse de témoignages d’ex-Marines de retour d’Irak et de survivants de la tuerie d’Haditha « rescénarisée ». Le cinéaste insiste aussi sur la force des images – nombre d’attentats antiaméricains sont filmés et sont ensuite vendus sur les marchés irakiens sous forme de DVD. Il démonte les mécanismes qui ont permis de révéler que ce massacre avait habilement été récupéré par ceux qui veulent voir déguerpir les « forces d’occupation  ». L’État-major américain a aussi tenté d’étouffer cette affaire qui, pour nombre d’observateurs, pourrait s’avérer plus dommageable encore pour l’image de la présence américaine en Irak que celle d’Abou Ghraïb.

« Battle of Haditha » de Nick Broomfield
photo Laurie Sparham

Entre mensonge, vérité et manipulation, la guerre se joue aussi sur le front médiatique. Bâti sur des plans séquences, le film essaye de faire revivre grâce à des cadrages collants littéralement à la texture de l’action, la réalité d’une guerre et de ses exactions. Et un souci documentaire, pédagogique, didactique d’embrasser tous les points de vue permettant de rappeler le faits avec insistance comme pour les pièces d’un procès. Le procès de certains soldats US impliqués dans ce massacre s’est d’ailleurs ouvert en mars aux États-Unis. 
« Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce film, je me suis rendu compte que j’avais une opinion préconçue sur les événements d’Haditha. J’étais très en colère contre les soldats américains qui étaient responsables de ce massacre. Je ne comprenais pas comment ils avaient pu faire ça. Et je ne connaissais pas grand-chose à la vie en Irak. » Cette méconnaissance apparaît néanmoins à certains plans d’un film, où les Irakiens apparaissent comme des archétypes tout droit issus de l’imaginaire occidental, presque des fantasmes. Car, évidemment ce sont les rebelles qui terrorisent d’abord les civils pour mieux piéger l’armée américaine. Tous sont ainsi ramenés dos à dos, les belligérants des deux camps se retrouvent étrangement dédouanés de toute responsabilité au niveau du combattant de base. À l’exception notable, convenue et consensuelle, des figures de pouvoirs, qu’elles soient issues de la nébuleuse Al Qaïda ou du commandement américain, qui n’échappent pas au réquisitoire dressé par le film. Une semblable position avait été adoptée par la série tv américaine Over There se concentrant sur le quotidien de fantassins américains en mission et qui n’aura connu qu’une saison de production et de diffusion.
Dans Redacted et Battle for Haditha, où s’affiche la volonté de tout montrer, voire – pour Broomfield – de démontrer, ne conduit pas nécessairement à être compris. Toutes les images pour célébrer la fin de l’image comme instance de récit et possible retranscription du réel ? Faut-il craindre cet « âge écranique », ce flux d’images plurielles ? Le film civilisationnel qui se joue, ni scénario catastrophe, ni happy end ne contraindrait-il pas plutôt à forger un modèle inédit d’intelligibilité du monde et de la culture des images qui viennent.

Bertrand Tappolet