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Festival de Cannes
Entretien : Isabelle Huppert

Isabelle Huppert, présidente du festival 2009, a bien voulu répondre à quelques questions.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 15 juillet 2009

par Firouz Elisabeth PILLET

Il y a les festivaliers, cinéphiles inconditionnels, qui descendent chaque année dans une petite pension miteuse du centre ville ; comme eux, les journalistes dévoués à leurs lecteurs en font autant. Puis il y a les autres, invités dans le Saint des Saints pour y occuper une place respectable, comme celle de la présidence de la soixante-deuxième édition du Festival de Cannes. Ceux-là descendent à l’Hôtel Carlton, comme Isabelle Huppert qui nous reçoit dans sa suite.

Comment vivez-vous cette présidence ?
Avec une grande émotion. Je suis venue souvent à Cannes mais d’être là cette année un peu avant tout le monde, devant la beauté des lieux, dans cette lumière, dans cette atmosphère, c’est assez enivrant.
Vous avez été quatorze fois en compétition à Cannes, vous y songez ?
Oui, bien sûr, pas uniquement quand je suis à Cannes. Ces souvenirs sont là, dans ma mémoire, toutes les fois où je suis venue à Cannes, toutes les fois où j’ai présenté des films, aussi bien en compétition que hors compétition, dans les sections parallèles, d’innombrables fois où j’ai eu la chance de venir parler des films que j’ai faits, tout simplement, et des metteurs en scène avec qui je les ai tournés.

Vous avez reçu deux fois le Prix d’interprétation. Comment avez-vous vécu ces moments ?
Avec une émotion que j’ai aussi ressentie quand j’étais jurée en 1984, sous la présidence de Dirk Bogarde, j’ai su à ce moment-là ce que c’est de donner un peu ce qu’on a reçu soi-même. Ce sont des moments extraordinaires, uniques, éphémères, ce que ne sont pas les films qui restent. C’est l’occasion de mettre un extraordinaire coup de projecteur sur les films. Ce sont de beaux moments dans une vie d’actrice.

Isabelle Huppert
© S.Lancrenon-H&K

Cette année, l’actrice devient spectatrice puisque vous allez visionner les films sélectionnés ?
Oui, je suis dans un état d’esprit d’ouverture, d’attente, d’excitation, de curiosité. Je ne sais pas ce que je vais voir. Je connais, bien sûr, beaucoup des metteurs en scène qui figurent en compétition officielle puisque ce sont des gens, pour partie, qui viennent souvent à Cannes. Mais il y a aussi des metteurs que je connais moins, que je ne connais pas du tout ou que je vais découvrir. Cela va être un voyage extraordinaire, je n’en connais pour l’instant ni les passagers ni le temps qu’il y fera.

La diversité de Cannes, du dessin animé d’ouverture au film d’auteur, titille votre curiosité ?
Bien sûr, c’est la force de Cannes. C’est une vitrine extraordinaire avec l’apparat, le plaisir que cela comporte, mais c’est aussi le lieu par excellence de la cinéphilie. C’est pour cela que j’aime Cannes car c’est un festival qui, constamment, réussit à allier les deux. Ce qui continue à faire rêver les gens, à juste titre, et en même temps, la réflexion, la profondeur que l’on peut trouver dans les films.

On peut offrir votre popularité comme vous le faites, à des films de jeunes auteurs ?
Oui, c’est toujours la même aventure, que ce soit un jeune auteur ou un cinéaste installé, avec un metteur en scène digne de ce nom, dans lequel on croit. Même si c’est un jeune cinéaste, un jeune premier, le propre du cinéma, c’est qu’il invente immédiatement, intuitivement sa propre langue à chaque film.. D’ailleurs, un metteur en scène confirmé ne fait jamais le même film. C’est toujours la même surprise et la même attente que l’on a, y compris avec un jeune cinéaste.

Avez-vous toujours la même envie, comme au premier film ?
Oui, j’ai toujours la même envie mais les critères de choix sont toujours difficiles. C’est une fois que l’on sait exactement pourquoi et comment on va faire un film, qu’on va le faire bien. C’est justement ce qui n’est pas si facile d’évaluer. Tout ce qui va vous faire vivre et partager une aventure. Pour le faire avec le plus de croyance possible, on aime savoir pourquoi exactement on le fait.

Vous vous investissez totalement dans vos personnages ?
C’est aussi une définition de l’art dramatique en général. On incarne complètement ce que l’on joue. On le dit peut-être à propos de certains comédiens. On oublie que, par essence, c’est l’art dramatique. C’est incarner un personnage, se confondre entre le personnage et la personne qui l’interprète.

Comment vivez-vous les applaudissements, les ovations, comme une reconnaissance de votre métier ?
Je ressens une reconnaissance, je ne sais pas si on appelait cela métier, mais que je fais quelque chose de ma vie professionnelle qui est une aventure extraordinaire et je me sens très heureuse de la vivre. Ces moments-là sont une sorte de concentré d’empathie envers ce qu’on fait et envers ce qu’on est.

Et le cinéma, comment se porte-t-il ?
Depuis que le cinéma existe, depuis les Frères Lumière, le cinéma a toujours été à la fois très fort, très puissant et très fragile. J’ai l’impression que régulièrement, on se demande si le cinéma va durer, si c’est un art éphémère. Peut-être justement en ce moment, c’est plus dur qu’à une certaine époque d’avoir une certaine ambition. Je crois qu’il y a certains films qu’on aurait fait plus facilement il y a quelque temps et qu’on a du mal à faire actuellement. Sans vouloir être pessimiste et jouer les oiseaux de mauvaise augure, il y a quand même un appauvrissement. C’est pour cela qu’un événement et un lieu comme Cannes sont de plus en plus important. Je sens que j’ai des envies et je fais tout ce que je peux pour que mes envies aboutissent. Je ne suis qu’une actrice, il y a des gens beaucoup plus héroïques que moi. Etre la Présidente du Festival cette année, c’est une reconnaissance. Les gens, proches ou lointains, me manifestent beaucoup d’amitié et de chaleur, cela me touche beaucoup ; ils sont heureux pour moi, cela me fait plaisir.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet