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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juin 2022

Compte-rendu

Article mis en ligne le 1er juin 2022
dernière modification le 4 juillet 2022

par Raymond SCHOLER

Où il est question du Far East Film Festival, Udine, avec des films chinois, japonais et coréen du Sud.

Xun Liu et Yao Huang dans « The Italian Recipe »

Chine
Après une interruption de 3 ans, le FEFF réintègre son ancien temple, le Teatro Nuovo, qui a aussi profité de la pandémie pour se refaire une beauté. Pour lancer la 24e edition, la directrice artistique Sabrina Baracetti a choisi un film consensuel, pétri de bons sentiments et d’empathie interculturelle, d’envie de paix et d’amour, une sorte de pont entre l’Occident et l’Orient, qui évite soigneusement les sujets qui fâchent. Il s’agit de The Italian Recipe de la Chinoise Zuxin Hou, qui présente son œuvre dans un anglais américanisé du meilleur aloi. Coproduite par l’Italie et l’Allemagne, la comédie se déroule essentiellement à Rome - la carte postale est parfaite - seules les scènes initiale et finale furent tournées à Beijing juste avant la fermeture des studios en 2020. L’argument est ténu et met à l’épreuve notre crédulité : Peng, une idole masculine montante de la pop chinoise, rejoint l’Italie pour tourner - bien sûr sous la direction d’un réalisateur chinois - un épisode de téléréalité avec une star chinoise, fort imbue d’elle-même. Il rencontre Mandy, une jeune compatriote qui avait émigré avec ses parents quand elle était petite et maîtrise maintenant à la perfection la langue de Dante. La jeune fille est censée faire des études de droit, mais sa réelle passion est la cuisine qu’elle entend perfectionner auprès d’un chef italien, ce qui l’oblige à se financer avec des emplois temporaires, comme celui de chauffeur de production. C’est ainsi, par le plus grand des hasards scénaristiques (nécessaires), qu’elle accueille Peng à l’aéroport. La suite mène à une issue ultra prévisible, quoique pimentée par des extravagances de jeu des personnages secondaires, efféminés côte chinois, hâbleurs et généreux côté italien. On est loin de l’élégance de Roman Holiday (William Wyler, 1953), même si Mandy sillonne les mêmes ruelles sur sa Vespa que Gregory Peck et Audrey Hepburn.

Wu Renlin et Hai Qing dans « Return to Dust »

Malgré cette comédie un peu nunuche, la Chine est le pays qui nous aura bouleversés le plus cette année à Udine, avec Return to Dust de Ruijun Li. Une chronique paysanne d’une intériorité étonnante, construite sur deux acteurs qui semblent n’en pas être, parce qu’ils ont les gestes justes et les traits suffisamment tirés par le labeur. L’homme est l’oncle du réalisateur et a été agriculteur toute sa vie, la femme est en revanche une actrice réputée. Au départ, un mariage arrangé unit Ma, un homme timide et réservé d’un âge incertain, un vrai soldat du travail de la terre, à Guiying, une femme traitée toute sa vie comme une souillon tout juste bonne à partager la paille des bêtes et qui porte en elle les séquelles de cette maltraitance, l’incontinence et la claudication. Le village aura ainsi réussi le coup de neutraliser deux solitudes et annuler deux misères sociales et affectives. Un lien précieux se noue entre les deux époux qui ont le même souci du bien-être de leurs animaux (âne, poules, cochon) et de la vie en général (voir la sollicitude avec laquelle ils entourent leur nid d’hirondelles) et la même ignorance de la notion de valeur marchande : leur terre suffit à leurs besoins. Ils la labourent ensemble, ils en récoltent les fruits, ils en fabriquent des tuiles pour construire leur maison, et ainsi de suite. Le spectateur est témoin étroit de toutes ces activités qui constituaient jusqu’il y a peu le quotidien millénaire de millions de modestes et honnêtes paysans. Il y a dans le regard patient de Li la même empathie qu’on ressentait jadis devant L’albero degli zoccoli (1978) d’Ermanno Olmi. Le récit est situé en 2010, quand l’émigration vers les villes a laissé tellement de maisons abandonnées que les autorités ont offert des compensations financières pour que leurs propriétaires les détruisent. Le titre a donc une signification à la fois réelle et métaphorique. Ma et Guiying vont opiniâtrement à contre-courant, car après des années d’abandon et de solitude, ils ont chacun trouvé un partenaire pour construire une existence qui ne doit rien à personne.

« Am What I Am » de Haipeng Sun

Une autre réussite chinoise est le long métrage d’animation I Am What I Am de Haipeng Sun. Le récit se concentre sur l’ancestrale tradition culturelle de la Danse du Lion, une danse rituelle qui célèbre des anniversaires importants du calendrier chinois, incrustée ici dans un contexte contemporain et réaliste où la tradition coexiste avec les tribulations de la vie quotidienne. Impliquant toujours un tandem de deux danseurs, un portant la tête et l’autre l’arrière de la bête, la chorégraphie exige de leur part concentration suprême et force physique pour aboutir à des mouvements gracieux en dépit des masque et costume, lourds et volumineux. Après avoir vu, après une telle danse, une jeune fille émerger de dessous l’immense tête de lion, Ah Juan, un jeune homme plutôt chétif, abandonné dans son village du sud, décide d’apprendre cette discipline et d’y embrigader aussi deux copains. Leur but : prendre part aux championnats nationaux à Canton où il espère revoir ses parents. Car la Danse du Lion est aussi un moyen de rédemption sociale et d’affirmation de soi. Yuqiang, une ancienne gloire de la discipline, reconverti dans la poissonnerie, est tellement subjugué par l’enthousiasme des trois néophytes qu’il les prend sous son aile. Il leur apprendra les multiples facettes de cette activité qui ne s’exerce pas seulement à même le sol, mais aussi en voltigeant de pieu en pieu. Commence alors un tourbillon de mouvements d’une extrême complexité, où les couleurs, les textures et replis des tissus et leurs reflets dans divers fluides ou surfaces, au gré des sources de lumière, tissent un entrelacs constamment changeant de formes que les animateurs chinois traquent avec l’exactitude de scientifiques et la vision de poètes. Seules les physionomies humaines semblent se limiter au minimum syndical, les auteurs privilégiant clairement la portée symbolique du costume aux identités momentanées de son porteur.

Lina Arashi ( à gauche) dans « My Small Land »

Japon
Le meilleur film japonais, My Small Land de Emma Kawadawa, est un portrait intime et chaleureux d’une famille de réfugiés kurdes au pays du Soleil-Levant. À ce propos, il faut relever que le Japon n’est pas un pays très accueillant pour les réfugiés : en 2019, seulement 44 sur 10’375 personnes qui sollicitaient le statut de réfugié ont été acceptées. De plus, le processus prend en moyenne 4 ans et comprend beaucoup d’obstacles bureaucratiques et de règles légales à observer. Les candidats peuvent recevoir une aide financière ou le droit de travailler, mais les sommes qu’ils reçoivent ou gagnent suffisent à peine pour vivre. Ceux qui dépassent les dates limites de leurs visas sont confinés dans 17 centres répartis dans le pays, où les traitements subis sont très sévères. Cette réalité crue est abordée dans Passage of Life (Akio Fujimoto, 2017), d’après la vraie histoire d’une famille birmane, et le documentaire impitoyable Ushiku (Thomas Ash, 2021) sur les conditions de détention dans un de ces centres. Emma Kawadawa, ancienne assistante de Hirokazu Kore-Eda, a choisi ce thème pour son premier long métrage. La famille kurde qui vit en sursis de sa demande comprend le père, sa fille aînée, la fille cadette et un fils, le petit dernier. L’absence de la mère n’est jamais expliquée. Tous parlent impeccablement le japonais, car ils sont arrivés il y a 12 ans. La fille aînée, Sarya (17), est née en Turquie et parle dans cette langue avec son père quand elle veut lui confier un secret. Son frère et sa sœur ne parlent que très sommairement le kurde, car ils ont passé toute leur vie au Japon. Au lycée, Sarya a un copain très assidu qui lui présente ses parents japonais. Le père kurde, qui a réussi à élever sa progéniture dans l’assurance qu’ils pourraient faire des études, préférerait que sa fille s’intéressât à un potentiel gendre kurde, car il ne veut pas que ses enfants perdent leur culture. Bref, tout semble sourire à ces gens qui sont bien intégrés à la civilisation nippone. Jusqu’au jour où le père se voit refuser le statut de réfugié. Du jour au lendemain, il n’a plus le droit de travailler. Il continue à le faire, au noir, mais est promptement attrapé et incarcéré. L’aînée doit prendre la relève pour assurer la survie à tous. Mais la nouvelle se propage vite et elle a de la peine à trouver des emplois. La seule issue est que le père retourne en Turquie, permettant ainsi aux enfants de rester pour des études au Japon, en vue d’une naturalisation. La scène des adieux dans le centre de détention est déchirante au possible, car nul ne sait de quoi les lendemains seront faits. Sarya est incarnée avec une sensibilité extraordinaire par Arashi Lina, dont le père était Iranien avant sa naturalisation.

« What To Do With The Dead Kaiju ? » de Satoshi Miki

What to do with the Dead Kaiju ? de Satoshi Miki est une comédie satirique qui épingle les luttes de pouvoir entre différents ministères et services étatiques qui rivalisent les uns avec les autres pour avoir le droit, les moyens et la gloire d’éliminer la dépouille d’un Godzilla échoué à proximité d’une agglomération. Le monstre pourrait s’avérer potentiellement dangereux, puisque des gaz issus de sa décomposition s’accumulent dangereusement, avec risque d’explosion. Beaucoup de dialogues truffés de sous-entendus et de références politiques m’ont passé au-dessus de la tête, mais c’est surtout le bagage du fan d’Ultraman qui m’a fait le plus défaut pour jouir pleinement de cette bande qui fit glousser de plaisir mes voisins.

Corée du Sud
En retrait qualitatif cette année, la Corée s’en tire honorablement avec un film d’action rondement mené et une histoire de kidnapping inspirée de Saving Mr. Wu (Ding Sheng, 2015) avec Andy Lau.

In-sung Zo et Yun-seok Kim dans « Escape from Mogadishu »

Le premier, Escape from Mogadishu du briscard Seung-wan Ryoo, relate un épisode peu connu de la révolte du peuple somalien contre le dictateur corrompu Siad Barre. Début janvier 1991, l’ambassade de la Corée du Nord est envahie par des émeutiers, obligeant les diplomates et leurs familles à chercher refuge à l’ambassade de la Corée du Sud. Ensemble, ils fuiront ensuite dans des voitures - « blindées » par des livres scotchées sur la carrosserie - jusqu’à l’ambassade d’Italie, l’ancienne puissance coloniale. Voir la gêne mutuelle entre les deux délégations de frères ennemis, forcées d’unir leurs ressources, vaut son pesant d’or. Le film fut présenté par l’ambassadeur d’Italie en place à Mogadiscio à l’époque.

« Hostage : Missing Celebrity » de Gam-sung Pil

Dans Hostage : Missing Celebrity de Gam-sung Pil, une des plus grandes stars du cinéma coréen, Jung-min Hwang, est enlevé à quelques pas de son appartement. Lorsque, après l’avoir mis en sécurité, ligoté et baillonné, les gangsters se rendent compte de son identité, ils exultent, car ils pourront multiplier la rançon pour l’adapter à la fortune de la victime. Alors que dans ses rôles de films d’action, Hwang se serait sorti de ce pétrin par sa force physique et sa faculté de manipuler l’adversaire, il doit ici se comporter selon les exigences du réalisme. C’est tout le sel de cet exercice de style hautement réussi.

Raymond Scholer