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Opernhaus Zurich
Zurich : “Tosca“

Distribution hors du commun pour cette Tosca zurichoise.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 6 juillet 2009

par Eric POUSAZ

Le metteur en scène Robert Carsen ne croit pas aux émois de Floria Tosca lorsqu’elle exprime son amour jaloux pour Mario ou lorsqu’elle chante sa souffrance à la vue de son amant torturé puis exécuté. Pour lui, la chanteuse reste une star et ne vit que par les émotions que son art suscite chez les spectateurs. Son suicide final est significatif à ce titre : au lieu de se précipiter dans le vide du haut du Château Saint-Ange, elle ouvre les bras et descend dans la salle où l’applaudit frénétiquement un public conquis d’avance…

Les affres d’une diva
L’action se joue donc sur la scène d’un théâtre, en présence des machinistes qui interviennent pour déplacer tel ou tel élément de décor. L’église du premier acte s’affiche comme une création de carton pâte, le salon de Scarpia est adossé au rideau de scène alors que la plateforme de la prison de Mario n’est qu’un plateau vidé de tout décor. Si l’idée convainc au départ, elle finit pourtant par tuer les effets musicaux imaginés par Puccini. Comment, en effet, croire en la sincérité du langage lyrique si la mise en scène s’ingénie à nous prouver que tout est truqué et que les personnages ne sont jamais pris au piège de leurs émotions ? Au fil du spectacle, la musique s’impose de plus en plus comme un corps étranger et finit presque par déranger !...

« Tosca » avec Emily Magee et Thomas Hampson.
Copyright Suzanne Schwiertz

Une distribution hors du commun
Ce parti-pris est d’autant plus regrettable que la distribution engagée est hors du commun. Emily Magee en vamp de la scène lyrique blonde et pulpeuse impose son personnage avec la froideur déterminée d’une star toujours consciente de l’effet qu’elle veut produire : son chant est large, mais contenu, vibrant mais non passionné. Au rideau final, on applaudit le tour de force, mais on reste insensible au personnage qu’elle a tenté d’imposer sur la scène. Jonas Kaufmann se comporte en jeune beau insolent, au charme ravageur, sûr de son impact sur les auditeurs. La voix est magnifique de projection et d’éclat, même s’il lui manque ce feu qui rend incomparables les grands ténors italiens dans ce rôle en or. Thomas Hampson est le plus surprenant de ce trio exceptionnel : la voix n’est ni large, ni sombre, ni méphistophélique et le chant reste toujours d’une élégante distinction. Le charme opère néanmoins, car la perversité du personnage, qui se cache sous un discours aux angles délicieusement arrondis, finit par s’imposer avec une évidence cruelle : les vrais méchants ne sont-ils pas ceux que l’on ne repère pas comme tels, même à l’opéra ?
Paolo Carignani est venu en dernière minute sauver du naufrage un spectacle abandonné successivement par deux chefs plus prestigieux qui avaient été engagés à l’origine pour faire de cette soirée l’événement de la saison. Sa direction est tout simplement superbe car elle parvient à équilibrer les moments de tension avec suffisamment de souplesse pour qu’ils ne se fassent pas concurrence. La texture instrumentale reste toujours d’une transparente aérienne dans les fortissimi les plus échevelés alors que la fluidité du chant des cordes, dans sa suavité un brin mièvre parfois, lui assure une efficacité dramatique certaine dans ce contexte où tout sentiment s’affiche comme artificiel dans son excessive théâtralité. A défaut de s’imposer comme une réalisation majeure (il faut d’ailleurs préciser qu’il ne s’agit pas là d’une nouvelle production, comme l’indique le programme, car le soussigné l’a déjà vue à Hambourg il y a plus de dix ans !), cette mise en œuvre de Tosca séduit par l’intelligence un brin ironique de son propos iconoclaste.

Eric Pousaz