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Opernhaus Zurich
Zurich : “Tannhäuser“

Une soirée est tout simplement parfaite, avec une mise en scène un rien provocante.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 26 août 2011

par Eric POUSAZ

Dans la nouvelle production du chef-d’œuvre wagnérien dévoilée fin janvier à Zurich, Tannhäuser hante le plateau de l’Opéra en parfaite émule de Jimmy Hendricks ; armé de sa guitare électrique, le chanteur effraie la société dans laquelle il vit avec son plaidoyer invitant ses auditeurs à goûter les joies de l’amour physique sans se préoccuper des diktats de la morale ou des anathèmes de l’Eglise.

Cette mise en scène provocante de Harry Kupfer se joue dans un décor résolument contemporain qui nous montre tantôt un terrain de golf, tantôt une gare de trains à grande vitesse ou une maison close où se jouent de curieuses scènes érotiques masquées évoquant la mythologie grecque. L’intrigue de l’opéra se déroule certes sans grande modification du livret, mais suscite chez le spectateur de curieux rapprochements avec notre monde moderne où les interdits sont loin d’avoir disparu malgré une libération certaine des mœurs. Comme toujours en pareil cas, diverses séquences s’insèrent moins logiquement dans le fil de l’action que d’autres ; ainsi, l’apparition du pape sur un quai de gare en fin de spectacle paraît-elle plutôt télescopée que réellement motivée par l’apparition d’un miracle. Bien sûr, la terre tremble et d’innombrables éclairs traversent la scène, comme pour montrer que le Ciel lui-même n’est pas en accord avec son Serviteur sur terre, mais le tout, malgré la perfection technique de la réalisation scénique, laisse une impression de facilité donnant dans la provocation gratuite. Il en va de même des chasseurs transformés en buveurs de bière dans un lounge de luxe ou de ces danseurs à demi-nus chargés de mimer une Bacchanale du Venusberg fort peu érotique. Pourtant, dans l’ensemble, les pistes offertes par cette relecture sont vivifiantes et convaincantes ; car il n’existe pas vraiment de mise en scène de Tannhäuser qui soit apte à résoudre visuellement tous les problèmes posés par ce livret boiteux. Et il est finalement toujours préférable de se voir confronté à une production qui donne de nouvelles pistes de lecture plutôt qu’à un spectacle purement illustratif.

« Tannhäuser » avec Vesselina Kasarova, Peter Seiffert
© Suzanne Schwiertz

Musicalement, la soirée est tout simplement parfaite. Sous la direction attentive d’Ingo Metzmacher, l’orchestre de l’Opéra offre une interprétation dégraissée de cet opus wagnérien parfois indigeste ; les grands moments de débauche sonore sont ainsi moins impressionnants que l’incroyable raffinement d’une mise au point qui donne à entendre chaque détail de la partition. L’Ouverture et le Prélude au 3e acte sont abordés par le chef sur un tempo lent, avec un souci de musicien de chambre dosant avec soin chaque progression pour éviter la surcharge et donner à entendre les voix habituellement noyées sous les décibels ; lorsqu’il accompagne les chanteurs, il veille en plus à mettre en valeur l’extraordinaire dynamique interne d’un langage musical résolument nouveau qui a enfin permis au compositeur de se libérer de la tyrannie du récitatif.

La distribution ne comporte aucun point faible, même parmi les maîtres les plus discrets. Peter Seifert, un Tannhäuser magnifiquement sonore, trahit certes quelques signes de fatigue à la fin de son Air de Rome, mais un autre chanteur parviendrait-il à réaliser un parcours sans faute dans ce rôle tout simplement meurtrier ? Brillant dans ses hymnes à la liberté au 1er acte, violent mais musicalement toujours maîtrisé dans ses interjections pendant la confrontation des chanteurs et enfin poignant dans son long récit fait d’une voix claire et stable à son retour de Rome, ce chanteur paraît actuellement encore sans rival dans cet emploi. Déjà présente à Genève, Nina Stemme est une Elisabeth grandiose : la voix s’est encore élargie et a pris de l’épaisseur dans le medium (sa fréquentation toujours plus fréquente des trois Brünnhilde y est certainement pour quelque chose) sans pourtant perdre ses accents jubilatoires dans un aigu qui domine la masse chorale sans aucun problème. Vesselina Kasarova fait grande impression dans son premier rôle wagnérien d’importance même si le personnage de Venus ne semble pas inspirer outre mesure son jeu scénique. Mais quel aplomb dans les graves, quelles richesse de nuances dans le milieu de la tessiture et quel punch dans l’aigu !

Michael Volle en Wolfram est au diapason de cette distribution d’exception : son timbre grave, noir et éclatant, fait vocalement du personnage de l’amoureux transi un rival dangereux pour Tannhäuser même si un art du chant tout en finesse lui permet de dompter ses éclats sonores afin de ne pas déséquilibrer les rapports de force voulus par Wagner. Alfred Muff est excellent en Landgrave : son chant plein d’autorité reste toujours percutant et la diction impeccable. Le chœur, dans un de ses bons jours, rallie aisément tous les suffrages par ses interventions d’un impressionnant aplomb rythmique et d’un poli vocal irréprochable ; il reçoit une part méritée d’ovations en fin de spectacle… (Représentation du 6 février)

Eric Pousaz