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Opéra de Zurich
Zurich : Strauss, Offenbach et Wagner

Vu et entendu : Ariadne auf Naxos, Les Contes d’Hoffmann et Les Maîtres chanteurs.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 30 mai 2010

par Eric POUSAZ

L’Opéra de Zurich proposait, en mars, une production d’Ariadne auf Naxos avec la cantatrice Deborah Voigt, ainsi qu’une version longue – plus de trois heures de musique – des Contes d’Hoffmann.

Ariadne auf Naxos
La grande cantatrice américaine Deborah Voigt a été invitée à se produire sur la scène de l’Opéra de Zurich dans le rôle qui aura le plus marqué sa carrière. En effet, lorsqu’elle arrive au printemps 2004 sur la scène du Royal Opera de Londres, le metteur en scène de la production vue à Genève il y a quatre ans – un certain Christof Loy, que les habituels du Grand Théâtre ne vont pas tarder à connaître – refuse de travailler avec elle, car il la trouve définitivement trop grosse. L’Opéra est pourtant obligé de lui payer ses honoraires ; avec cet argent, Mme Voigt se fait poser un by-pass et perd une grande quantité de kilos. Amincie, elle recommence une carrière avec un physique plus présentable. Mais la voix ?

« Ariadne auf Naxos »
© Suzanne Schwiertz

A Zurich, il faut bien dire que la déception était au rendez-vous. Au lieu de l’organe voluptueux, crémeux qu’elle nous avait habitués à entendre, cette Ariadne produit des sons puissants, certes, mais inélégants, aux arêtes vives et aux frémissements qui n’ont rien de passionnels mais attestent plutôt le piteux état de cordes vocales endommagées. Elle traverse l’opéra sans émouvoir car le timbre ne trouve jamais l’équilibre idéal entre luminosité et onctuosité. A ses côtés, Sen Guo nous régale d’un vrai feu d’artifices avec sa Zerbinetta délurée qu’aucun contre-ré ou contre-mi ne semble devoir effrayer. En Compositeur, Michelle Breedt fascine par son chant richement coloré tout en décevant par son jeu scénique trop fruste qui rend le travesti peu crédible. Michael König en Bacchus libère les décibels à la pelle ; néanmoins, il sait garder la mesure et convainc sans peine dans ce rôle impossible. Comme toujours ici, la distribution des emplois secondaires est admirablement équilibrée, jusqu’à cette apparition insolite d’Alexander Pereira lui-même (il dirige l’institution depuis dix-huit ans !) dans le rôle parlé du Majordome plein de morgue. L’orchestre, dirigé par Sir Marc Elder, joue plutôt fort ; toutefois, son interprétation ne manque pas d’harmonie car les cordes ont du corps et de l’aplomb. La mise en scène de Claus Guth, qui transplante l’île déserte du livret dans la salle principale de la fameuse brasserie de la Kronenhalle à la Bellevueplatz de Zurich, fonctionne toujours bien, même s’il faut reconnaître qu’à la deuxième rencontre, les gags paraissent déjà trop éculés pour susciter le sourire. (Représentation du 9 mars)

Les Contes d’Hoffmann
Une légende tenace dans le monde du théâtre veut qu’il soit toujours problématique de monter une production des Contes d’Hoffmann car le diable, présent sur scène sous quatre costumes différents, se permet souvent de jouer des tours aux artisans du spectacle eux-mêmes avant le lever du rideau. Cette fois, les responsables du théâtre zurichois se seront souvenus de cette prédiction lorsque, le jour de la première répétition, le metteur en scène Thomas Langhoff est tombé gravement malade, devant cesser toute activité. Le responsable des productions de la maison, Grischa Asagaroff, accepte de présenter sa version de l’opéra dans des décors et des costumes déjà réalisés. Il s’acquitte de sa tâche avec un brio certain même si l’on peut parier qu’il eût proposé de l’opéra une relecture plus cohérente dans des conditions autres.
La version choisie est celle qu’ont publiée en 2005 MM. Kaye et Keck et qui tient compte de bon nombre de pages retrouvées dans les archives du chef d’orchestre Antonio de Almeida. Ainsi enrichi, l’opéra contient plus de trois heures de musique et égale quasiment la durée de Tannhäuser, sans en posséder la densité musicale bien sûr. Si les premier et deuxième actes s’imposent dans toute leur nouvelle logique interne, l’acte d’Antonia paraît plus faible qu’auparavant tant les dialogues parlés (massacrés par des chanteurs peu au fait de la langue française) en interrompent inutilement le flux musical continu. Quant à l’acte vénitien, interminable, il ennuie dans la mesure où les enjeux scéniques restent tout simplement incompréhensibles à qui ne connaît pas l’action.

« Les Contes d’Hoffmann » avec Vittorio Grigolo (Hoffmann)
© Suzanne Schwiertz

Deuxième coup du sort le soir de la première : Elena Mosuc, qui devait interpréter les quatre rôles féminins, est atteinte d’une laryngite aiguë et doit annuler sa participation aux premières représentations. Ses remplaçantes s’en sortent avec les honneurs, sans pour autant enthousiasmer : l’Olympia de Sen Guo est la plus consistante des trois avec un chant stratosphérique et une série de mimiques irrésistiblement drôles qui lui attirent immédiatement les sympathies du public. Raffaela Angeletti est une Antonia aux réserves vite épuisées dont le chant est souvent couvert par l’orchestre, alors que Riki Guy semble fort mal à l’aise dans la tessiture basse de la musique de Giulietta. Michelle Breedt, par contre, replace le rôle travesti de Nicklausse au centre du débat avec les accents mordants d’un chant d’une magnifique exubérance.
Le rôle d’Hoffmann, réellement interminable dans cette version, échoit à Vittorio Grigolo, un jeune ténor que les Genevois ont pu découvrir en Don Carlos récemment : infatigable, il aligne les notes exposées avec une avidité goulue d’une assurance et d’une vaillance presque surnaturelles ; ses problèmes sont ailleurs : il s’avère actuellement incapable d’entonner une note doucement sans que le son s’effiloche. Laurent Naouri dans les quatre incarnations du diable s’amuse avec une insolence vocale qui convient idéalement à cet emploi. Les autres personnages, au profil moins accusé, sont tous défendus avec un toupet bien dans la tradition du chant français alors que le chœur paraît un brin léthargique, sans démériter pour autant. L’orchestre, sous la direction de David Zinman, est au-dessus de tout reproche : son accompagnement a du punch, du souffle et du charme. (Représentation du 18 mars)

Les Maîtres Chanteurs
Philippe Jordan est un hôte dont la venue est toujours attendue avec impatience à Zurich. Des bruits de couloir persistants vont même jusqu’à affirmer que la direction de l’Opéra aurait souhaité faire du jeune chef son directeur général de la musique, un poste que celui-ci occupe à Paris depuis le début de cette saison. Aussi la reprise d’une ancienne production des Maîtres Chanteurs sous sa direction a-t-elle pris un petit air de première et un public huppé se pressait pour l’occasion dans les couloirs étroits du petit théâtre.
Si le chef suisse n’a pas tout à fait convaincu à Paris avec le Prologue de la Tétralogie wagnérienne, il a littéralement soulevé l’enthousiasme des Zurichois à l’occasion de son retour au bercail. Sa direction, aux arêtes vives, sert admirablement la mise en exergue du contrepoint dans cette partition monstrueuse qui tire sa révérence aux anciens maîtres du passé : le chant des cordes est nourri et puissant, les cuivres sonnent avec rondeur et le mouvement d’ensemble imprimé à la représentation trouve le juste équilibre entre la démonstration de puissance (d’hégémonie ?) nationaliste et le raffinement d’une conception presque chambriste des intermèdes comiques, traités sur le mode de la conversation rapide.
Ennemi de tout excès, Philippe Jordan ne propose pas encore une conception hautement personnelle de cette œuvre mais veille d’abord à ne laisser aucune de ses composantes complexes dans l’ombre.

« Les Maîtres Chanteurs » avec Alfred Muff (Sachs)
© Suzanne Schwiertz

La distribution est de qualité, même si elle contient quelques noms de chanteurs qui butent, dans ces près de cinq heures de musique, sur les limites naturelles d’organes qui commencent à montrer des signes de fatigue. Alfred Muff, par exemple, est un Sachs sonore, bien chantant au 2e acte, puis de plus en plus contraint à composer avec un timbre qui se délite et manque de souffle. Dans les deux harangues de la scène finale, le point de rupture n’est même pas très loin. De même, Matti Salminen n’est-il plus que l’ombre de ce qu’il a été dans le rôle pourtant court de Veit Pogner. La voix, toujours très présente dans le grave, perd de sa consistance dans le médium et se ternit trop rapidement. Edith Haller est une Eva déjà très mûre, mais son soprano rond et voluptueux lui permet d’entonner de belle façon un quintette d’anthologie au III. Wiebke Lehmkuhl et Peter Sonn forment en Magdalene et David un couple agréablement jeune aux timbres percutants et à l’intonation très sûre.
Robert Dean Smith remplaçait Peter Seiffert qui a décidé de ne plus chanter le rôle de Stolzing pour le moment ; le ténor américain s’en sort avec les honneurs et a le mérite de ne jamais pousser dans ses ultimes réserves une voix plus lyrique qu’héroïque. Ses hymnes à l’amour sont d’une beauté formelle et d’une pureté vocale incomparables ; par contre, son chant est rapidement noyé dans la cacophonie ambiante des nombreux ensembles. Le groupe des Maîtres, tout comme celui des apprentis, donne à maints chanteurs encore peu connus l’occasion de faire montre de talents qui ne demandent qu’à être plus largement sollicités alors que le chœur fait une brillante démonstration des qualités intrinsèques de chacun de ses registres. La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff – qui propose un raccourci de l’histoire allemande en trois tableaux pour se terminer dans une vision arcadienne d’une contrée où l’art aurait enfin la place prédominante qu’il mérite dans la société – n’a rien perdu de sa pertinence et a le mérite de ne pas encombrer inutilement un plateau de dimensions plutôt modestes pour le déploiement de foule que réclame le final.

Eric Pousaz