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Opernhaus, Zurich
Zurich, Opernhaus : Ouverture de saison en fanfare

Quelques mots sur le début de saison plein de panache de l’Opéra de Zurich.

Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 29 octobre 2007

par Eric POUSAZ

L’Opéra de Zurich a effectué en début de saison sa première tournée au Japon : triomphe auprès public, présence de l’Impératrice parmi le public, invitation officielle au Palais Imperial… tout a concouru au succès de cet événement. Pendant ce temps, dans la maison mère, Heinz Spoerli proposait une nouvelle soirée de ballets, tandis que William Christie reprenait Orlando de Haendel dans une distribution de prestige.

Barbier de Séville
Et ce n’est pas tout : au Théâtre de Winterthur, une équipe de jeunes chanteurs se lançait dans une nouvelle production du Barbier de Séville de Paisiello… Moins connue que celle de Rossini, la version du chef-d’œuvre de Beaumarchais qu’a composée Paisiello quelques années avant celle de son rival semble revenir en force dans le répertoire. Après la nouvelle mise en scène ébouriffante des frères Porras à l’Opéra de Lausanne l’hiver passé, celle qu’a signée Cesare Lievi à Winterthur n’est pas moins réussie, même si les options de départ sont complètement différentes.

Le Barbier de Séville, de Paisiello, avec Javier Camarena, Rebeca Olvera. Copyright Suzanne Schwiertz.

Le décor unique de Csaba Antal tient du lieu fantasmagorique avec ses parois blanches amovibles couvertes de roses en papier - nous sommes en Espagne, n’est-ce pas ? - qui se déplacent en fonction de l’état d’esprit des protagonistes. Le jeu des acteurs, tout aussi délirant, est réglé avec une minutie d’horloger suisse alors que les costumes transportent l’action dans un 18e siècle revisité par un esthète fasciné par les créations dadaïstes. On s’amuse beaucoup à ce jeu de références un brin désordonné sans pour autant que la musique passe au second plan tant elle est bien servie dans l’ensemble.
La distribution est composée de chanteurs qui ont presque tous passé par l’Opéra Studio de Zurich ; leur brillante prestation atteste le sérieux de leur stage et promet à chacun de réjouissants succès sur la scène internationale. Dans le rôle féminin principal, Rebeca Olvera dispose d’une voix encore verte et parfois franchement dure, mais sa technique sans faille lui permet de dynamiser sa ligne de chant par une série de vocalises électrisantes de la meilleure veine. Javer Camarena ne fait qu’une bouchée du rôle d’Almaviva qui met idéalement en valeur son timbre riche et onctueux, d’une belle consistance sur tout le registre. Ruben Drole en Figaro se révèle tout simplement parfait : tour à tour rustre ou élégant, il fait montre d’un art de la nuance qui laisse bien augurer de sa prise de rôle dans le chef-d’œuvre de Mozart en novembre prochain. Paolo Rumetz et Giuseppe Scorsin font déjà presque figure de vétérans dans un tel contexte mais savent se mettre intelligemment au diapason de cette production trépidante en brossant des portraits hauts en couleurs de ces deux empêcheurs de tourner en rond que sont Bartolo et Basilio. La direction soignée mais fort sage de Zsolt Hamar manque certes d’élan mais ne parvient à refreiner l’ardeur d’une distribution à qui sera confiée la partition de Rossini sur ces mêmes planches dans deux ans.

Andrea Chénier
L’opéra de Giordano jouit d’une mauvaise réputation auprès d’un certain public : sa musique serait vulgaire, riche en effets faciles et son intrigue, jugée sommaire, passerait mal la rampe. Nello Santi et Grischa Asagaroff ont démontré dans leur nouvelle production de cet ouvrage que de tels jugements rapides s’avèrent particulièrement injustes si l’auditeur prend la peine de s’immerger dans l’ouvrage. L’orchestration de Giordano est en effet raffinée, plus que celle de la Tosca qu’a écrite Puccini quelques années plus tard ; en outre, les solutions de continuité trouvées par le compositeur pour fondre les airs dans le flux musical de la totalité de chaque acte ne manquent pas d’originalité, notamment grâce à l’exploitation assez subtile qui est faite de ces airs français associés à la Révolution de 1789… Le chef italien propose en tous les cas une lecture tout en relief de cette partition orchestrale fourmillante d’idées et en fait ressortir à la fois son efficacité dramatique et son originalité thématique.

Andrea Chenier, avec Martin Zysset, Lucio Gallo, Valeriy Murga, Chor des Opernhauses Zürich. Copyright Suzanne Schwiertz

La distribution est dominée par le baryton italien Lucio Gallo, un artiste dont le portrait du traître repenti touche par son raffinement psychologique autant que vocal : le timbre est noble, pas très profond mais intelligemment exploité pour passer la rampe sans excès d’effets histrioniques. On n’en dira pas de même de Salvatore Licitrta, un ténor qui a commencé sa formation à Berne et qui est devenu célèbre d’un jour à l’autre en remplaçant Luciano Pavarotti dans un spectacle de gala donné au Met il y a quelques années. Sa voix solaire le prédestine certes au rôle, même si l’aigu s’amenuise quelque peu lorsqu’il est sous pression. S’il ne convainc pas tout à fait, néanmoins, c’est à son abus de pathos qu’il le doit tant est passée de nos jours la mode de ces ténors italiens pleurant ostensiblement sur leur pauvre sort chaque fois qu’ils émettent un son. Micaela Carosi, une chanteuse en début de carrière, s’est spécialisée dans les emplois verdiens lourds, et cela n’est pas resté sans effet sur une voix qui a déjà tendance à trop bouger. Mais l’émission est encore franche, le chant se coule naturellement dans les larges envolées lyriques du rôle et l’aigu couronne naturellement un médium qui ne manque ni de corps ni d’appui. La distribution secondaire, fort nombreuse, est de première qualité tout comme les interventions du chœur dans les nombreuses scènes de foule.
La mise en scène de Grischa Asagaroff respecte les didascalies du livret, même si le décor unique qu’a imaginé Reinhard von der Tannen transpose l’action dans une architecture métallique qui évoque vaguement la coupole d’un Panthéon idéalisé (les costumes, par contre, font un usage abusif du drapeau français et fatiguent par leur propension à se limiter au blanc, au bleu et au rouge…) Au lieu de relire l’Histoire avec les yeux de créateurs du 21e siècle, les réalisateurs de ce spectacle se contentent ainsi d’évoquer un monde passé comme s’il s’agissait du ‘bon vieux temps’ ! Le public de la première, il est vrai, a apprécié et fait fête à tous les artisans de cette soirée d’atmosphère délibérément passéiste.

Eric Pousaz