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Opernhaus Zurich
Zurich : “Maria Stuarda“ & “Semele“

Triomphe du bel canto à Zurich, avec Maria Stuarda servie avec émotion par Elena Mosuc, et Semele dans la brillante interprétation de Cecilia Bartoli.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 28 mars 2009

par Eric POUSAZ

Entrée au répertoire il y a une dizaine d’années pour mettre en valeur les talents d’Edita Gruberova, la production de Maria Stuarda de Donizetti vient d’être reprise sur le plateau de l’Opernhaus afin d’offrir à Elena Mosuc l’occasion de faire partager au public suisse les émotions que sa Maria Stuarda a provoquées auprès du public berlinois il y a près d’une année.

De fait, son héroïne ne pâlit pas de la comparaison avec les mérites de sa devancière. Au contraire, le chant paraît encore plus assuré, la maîtrise du souffle plus fluide et l’intonation moins hasardeuse.
Elena Mosuc n’est pas une cantatrice qui affiche sa présence tous azimuts dans la presse spécialisée comme certaines de ses consœurs. Elle brille sur scène et laisse aux feuilletonistes le soin de lui inventer, si cela les intéresse, une vie privée pleine de rebondissements… Sa Maria déçoit d’abord par une certaine prudence, voire retenue : le public n’a pas l’impression de se trouver en présence d’un vrai monstre sacré capable d’animer d’une vie intense une musique qui se complaît trop souvent dans les lieux communs. Pourtant, la tension monte progressivement, et au moment de la scène finale, lors de ses déchirants adieux à la vie, elle domine le plateau sans jamais cultiver l’effet pour l’effet : son chant est entièrement au service de l’expression dramatique et semble illuminer de l’intérieur un flux mélodique dont la suavité ne lorgne jamais vers l’excès de sensibilité. La voix est surtout belle dans l’aigu, avec un contre ut aisé et capable d’impalpables pianissimi qui rappellent l’art d’une Caballé ; elle caresse de longs arcs mélodiques sans paraître gênée par des contingences matérielles : la reprise du souffle est inaudible, l’émission n’est jamais forcée et évite le crescendo en fin de course lorsque la fatigue commence à se faire sentir. Cette Maria paraît tout simplement libérée de toutes limites et triomphe modestement, mais avec un panache d’autant plus impressionnant qu’il n’est pas démonstratif, d’une écriture qui a de quoi effarer les plus grandes artistes.

« Maria Stuarda » de Donizetti, avec Elena Mosuc, Marc Laho.
Copyright Suzanne Schwiertz

Stefania Kaluza est une Elizabeth somptueuse : son mezzo soprano large et profond conserve une belle homogénéité sur toute sa tessiture, les éclats – lors de la scène de la confrontation du 2e acte – s’écoutent comme du chant, non comme de cris et le timbre rayonne sans trace d’effort jusque dans l’extrême grave. Fabio Sartori s’impose en digne émule de Luciano Pavarotti, par le chant comme par le physique. Il est rare d’entendre un timbre aussi sain, aussi vaillant et pourtant aussi tendrement lyrique dans ce répertoire. Si l’acteur prête à sourire, le spectateur est enclin à tout lui pardonner tant il est sous le charme de cette voix chaleureuse… Laszlo Polgar, un Talbot magnifiquement bien chantant, Cheyne Davidson, un Lord Cecil plein d’aplomb et de morgue, et Huiling Zhu, une Anna fort présente, complètent avec bonheur une distribution qu’il faut bien qualifier de parfaite…
Le chœur n’est pas en reste et obtient même une salve d’applaudissements méritée après sa longue déploration au début de la dernière scène, chantée avec un sens de la nuance et de la tension dramatique absolument parfait. Ralf Weikert dirige à l’allemande une partition qui demanderait peut-être plus d’alanguissements, mais au final, son approche séduit car elle révèle plus les qualités d’une instrumentation inhabituellement soignée que les scories d’un style qui n’est pas trop regardant sur les moyens quand il s’agit de boucher quelque trou d’inspiration !...

Semele : Le brillant show de la Bartoli
L’Opéra de Zurich a remis à l’affiche une de ses productions phares construites autour de LA Bartoli : Semele de Haendel. Le résultat, toujours aussi brillant, a enthousiasmé une nouvelle fois le public alors que la critique accueille avec extase la version en DVD que Decca publie actuellement de cette même production captée lors de la première série de représentations il y a deux ans…

« Semele » de Händel, avec Cecilia Bartoli, Charles Workman, Chor des Opernhauses Zürich.
Copyright Suzanne Schwiertz

La distribution est restée quasiment la même et frappe d’abord par son extrême qualité d’ensemble. Certes, Cecilia Bartoli en est la reine, mais il serait difficile de dire en quoi ses ‘sujets’ d’un soir lui sont inférieurs !
Ainsi, Charles Workman en Jupiter fait une démonstration de chant baroque porté à un extrême degré de raffinement. Ses vocalises, aussi complexes que celles de l’héroïne, mettent en exergue une technique imparable qui a la suprême élégance de se faire oublier alors que sa maîtrise du legato éblouit, tout comme son art de l’ornementation ou de la nuance qui ne laissent rien à désirer. Birgit Remmert fait de Junon le personnage clef de l’intrigue : par son jeu scénique d’une incroyable variété autant que par son art du chant d’un naturel déconcertant en toute occasion, elle se profile comme une des grandes interprètes haendéliennes du moment. Rebeca Olvera remplace avantageusement Isabel Rey dans le rôle d’Iris, transformée par le metteur en scène en une petite peste nymphomane à l’impertinence délicieuse. Liliana Nikiteanu séduit par un matériau vocal d’une parfaite fluidité alors que la voix aiguë de Thomas Michael Allen en Athamas n’a rien de ce qui rend parfois insupportables les voix exsangues des altos masculins : son chant délié est plein de charme alors que son jeu reste subtil dans ce rôle complexe d’amant éconduit. Quant à Anton Scharinger dans le double emploi de Cadmus et Somnus, il tire le meilleur de rôles gratifiants malgré leur relative brièveté.
Et Cecilia Bartoli ? Ses admirateurs comme ses détracteurs auront été satisfaits d’entendre et de voir qu’elle n’a pas changé ! La gestique est empreinte d’emphase : la cantatrice italienne n’est jamais aussi heureuse que lorsqu’elle peut grossir le trait pour faire rire ou pleurer et elle le fait avec une grâce indéniable. Le chant, lui, est tout simplement d’une suprême perfection si l’on arrive à accepter une certaine dureté sensible dans une technique de vocalise qui rend audible chaque coup de glotte. Et il n’est pas difficile de céder à son charme tant la vélocité du trait, la justesse de l’intonation et l’élasticité du rebond de la ligne de chant sont amenés à un point de perfection sans égal actuellement sur les scènes. On l’aura compris : sa Semele est un événement auquel devront se mesurer toutes les futures interprètes du rôle.
William Christie dirige avec sa verve et son humour habituels une partition dont il détaille avec amour chaque revirement dramatique ; l’orchestre de la Scintilla le suit avec un enthousiasme communicatif qui englobe solistes et choristes en un même moment théâtral d’une intensité inouïe. Et la mise en scène sobre de Robert Carsen achève de rendre inoubliable une soirée lyrique à laquelle amateurs et professionnels se réfèreront encore longtemps.

Eric Pousaz