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Opéra de Zurich
Zurich : “Madama Butterfly“ & “Raymonda“

A Zurich, une Madama Butterfly dans la mise en scène d’Asagaroff, et, en première mondiale, le ballet Raymonda selon Spoerli.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 21 janvier 2010

par Eric POUSAZ

Madama Butterfly, le chef-d’œuvre de Puccini, semble poser bien des problèmes aux metteurs en scène actuels. S’ils se contentent de suivre les indications du livret, ceux-ci sont aussitôt accusés de passéisme. S’ils en renouvellent la lecture, on leur reproche de faire violence au sujet…

Après le demi-échec de la production bâloise donnée en début de saison (et encore à l’affiche jusqu’en décembre au moins), la nouvelle mouture zurichoise affronte ce problème épineux sans grand succès également.
Grischa Asagaroff n’est pas connu pour renouveler de fond en comble l’art de la mise en scène des grands ouvrages du passé. Pourtant, il a demandé à son décorateur Reinhard von der Thannen de lui construire un intérieur design qui pourrait se trouver dans n’importe quelle banlieue d’une grande ville internationale. Les costumes évoquent le Japon, mais de loin seulement, et il est permis de se demander si la joyeuse compagnie qui paraît au mariage de Butterfly en costumes vaguement orientaux n’est pas seulement une bande de joyeux lurons costumés fêtant le carnaval à leur manière.
Au fur et à mesure de l’attente déçue de l’héroïne, l’intérieur se vide peu à peu de ses meubles, tandis que les parois en deviennent toujours plus transparentes pour rendre visible la perte de consistance des illusions de la femme trompée. Au final, il ne reste pour ainsi dire que le squelette de ce qui fut un bâtiment coquet et confortable…

« Madama Butterfly » avec Xiu Wei Sun, Neil Shicoff, Cheyne Davidson, Chœur de l’Opéra de Zurich.
Copyright Suzanne Schwiertz

La distribution est à la peine pour diverses raisons. Xiu Wei Sun est une cantatrice qui s’est frottée aux rôles les plus lourds du répertoire italien, et cela s’entend. Incapable de tenir une note piano, de la filer avec suavité vers un aigu qui s’épanouirait sensuellement, elle se bat contre une tessiture terrible qui la pousse trop souvent au cri pour vaincre les velléités défaillantes de son timbre déjà gravement fêlé. Neil Shicoff est, lui, dans un vrai état de grâce vocal, mais il a nettement dépassé l’âge du rôle et paraît plus mufle que de coutume ; comment, en effet, considérer comme sincère la passion brûlante d’un homme mûr qui n’a même plus l’excuse de la jeunesse pour justifier son impardonnable abandon ou sa naïveté de jeune lieutenant soi-disant inexpérimenté ? Aussi, malgré l’éclat d’un timbre encore vaillant et souple, le chanteur peine-t-il à convaincre le spectateur de sa sincérité et son air au 3e acte sonne simplement faux. Cheyne Davidson est par contre un Sharplesss impérial dont l’onctuosité vocale convient idéalement à ce personnage clairvoyant mais trop lâche pour intervenir à temps. Judith Schmid fait sensation avec sa Suzuki aux inflexions subtiles qui mettent redoutablement en valeur les arêtes vives du chant de sa maîtresse. Bons rôles secondaires et honorable prestation du chœur sous la direction plutôt massive, voire pesante de Carlo Rizzi (à l’affiche jusqu’au 19 novembre).

Raymonda
Pour son deuxième programme de danse de la saison, Heinz Spoerli proposait en première mondiale sa version du ballet d’action Raymonda de Glazounov, qui marqua la fin du règne du chorégraphe Marius Petipa sur le ballet russe. La gestation de cet ouvrage fut rendue d’autant plus difficile que la rédactrice du livret, faisant jouer ses protections ‘politiques’, obtint facilement de ses protecteurs impériaux qu’on ne changeât rien à son livret d’une rare indigence. L’histoire est ténue et pleine d’invraisemblances ; l’héroïne dont le cœur balance entre deux hommes n’a jamais l’occasion de se confronter longuement à aucun des deux et il ne reste au spectateur qu’à se reporter au programme pour donner une quelconque suite logique à ce qui se regarde comme une suite de divertissements sans consistance dramatique aucune.

« Raymonda » avec Vahe Martirosyan
© Peter Schnetz

Le chorégraphe n’a malheureusement pas osé retoucher véritablement ce livret bâtard et s’est contenté de régler une brillante suite de pas d’une rare difficulté technique. L’œil est certes charmé, mais l’ennui gagne vite un spectateur qui se trouve dans la situation d’un gastronome à qui l’on ne servirait qu’une succession d’entremets sucrés en guise de repas. La situation est d’autant plus gênante que les hommes se voient confier des tâches plutôt secondaires, même dans les pas de deux où leurs suites de pas et de pirouettes se ressemblent toutes. A ce jeu-là, l’athlétique Vahe Mehrabyan fait meilleure impression que le poétique mais timide Jean de Brienne dansé pourtant avec une précision remarquable par un Stanislav Jermakov au talent superlatif. Raymonda a les traits d’Aliya Tanykpayeva : silhouette de rêve, elle aligne sans défaillir des pirouettes d’un fini impeccable, assure à ses sauts une féline élégance mais ne parvient pas à émouvoir car son interprétation a la chaleur d’une parfaite image de synthèse. Le corps de ballet est excellent, sauf du côté des seconds solistes où les ensembles, le soir de la première, auraient gagné à bénéficier de quelques répétitions supplémentaires. Michail Jurowsky, à la tête d’un orchestre au son parfois trop pâteux, semble se soucier plus de couleurs que de panache, au point que, musicalement aussi, la soirée eût supporté quelques coupures supplémentaires (à l’affiche jusqu’au 18 juin 2010).

Eric Pousaz