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Ouverture de saison à Zurich
Zurich : “Lucia di Lammermoor“ & “Fidelio“

Intéressante ouverture de saison à Zurich, avec une incandescente Lucia, suivie en octobre d’un Fidelio nouveau.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 4 décembre 2008

par Eric POUSAZ

Il était temps que l’on remplace l’ancienne réalisation de Robert Carsen, encore à l’affiche l’an passé ; au fil des ans, plus rien ne restait du concept original et il devenait presque malhonnête de citer encore le nom du metteur en scène canadien…

Incandescente Lucia
Pour cette nouvelle mouture, il a été fait appel à un jeune artiste italien, Damiano Michieletto, qui a cru bon d’imposer un concept moderne à des intentions qui restent, malgré tout, bien conventionnelles. L’action se joue dans un décor unique, d’une beauté surréelle, dû à Paolo Fantin : une tour en verre de trois étages est plantée de guingois à cour, tandis que le plateau lui-même reste vide. Le fantôme de la mère de Lucia, auquel l’héroïne fait allusion dans son air d’entrée, hante les lieux à chaque instant, tend à Lucia le poignard qui lui permettrait d’échapper à la tyrannie du mari qu’on lui destine et l’assiste dans son spectaculaire suicide du haut du troisième étage. Elle vient même voir mourir Edgardo, qui n’en demandait pas tant. Sinon, le spectateur voit défiler quelques jolis arrangements scéniques peu spectaculaires tout en contemplant quelques costumes de coupe moderne de fort belle venue dessinés par Carlo Teti. Le passage à tabac d’un Edgardo très déshabillé au final du II permet au jeune ténor de rouler les mécaniques alors que le reste de l’action se déroule peu ou prou au ralenti devant un chœur impavide.

« Lucia di Lammermoor », avec Elena Mosuc.
Copyright Suzanne Schwiertz

L’exécution musicale est fort heureusement d’un autre niveau. Nello Santi, qui a déjà dirigé ce même ouvrage dans ce théâtre il y a plus de quarante ans, veille à conserver à l’accompagnement orchestral ses délicats reflets irisés, propres à créer une atmosphère lunaire d’un romantisme outrancier. Les chanteurs principaux brillent au sein d’une troupe dont chaque élément fait honneur à la politique d’engagement du théâtre. Même le Normanno au legato un brin chaotique de Bogulslaw Bidzinski ou le Raimundo au timbre décidément usé par l’âge de Laszlo Polgar font mieux que de la figuration musicale intelligente dans ce spectacle d’une homogénéité parfaite.
Elena Mosuc a fait sien le rôle de Lucia qu’elle a repris d’Edita Gruberova sur ces mêmes planches il y a passablement longtemps. Son chant est toujours aussi assuré qu’au premier jour : l’aigu est franc d’attaque, puissant dans la rondeur et vibrant sans excès dans le pathos. Son partenaire, le jeune Vittorio Grigolo, fait bien meilleure impression que dans le dernier Don Carlos genevois : le timbre est idéalement adapté aux longues mélodies donizettiennes, avec juste ce qu’il faut de teintes sombres pour enlever à ces mélodies doucereuses leur excès de sucre. Certes, l’interprète en fait encore trop et manifeste une tendance marquée à enrichir son émission de sanglots pathétiques, mais il est rare d’entendre des débuts aussi prometteurs. Massimo Cavaletti, enfin, s’impose comme un Enrico Ashton vengeur, violent et passionné : le chant est d’un aplomb impressionnant, avec juste ce qu’il faut d’agressivité pour permettre à l’interprète de conférer au personnage une présence scénique forte dans une intrigue où il est systématiquement sacrifié au profit des deux amants tragiques. Au final : une belle soirée pour les amateurs de voix..
Représentation du 25 septembre.

Une première (trop ?) attendue : Fidelio
Bernard Haitink, après avoir présidé aux destinées de l’Opéra Covent Garden de Londres, s’est complètement retiré des fosses de théâtre pendant de longues années. Il a pourtant accepté de prendre la direction d’un nouveau Fidelio à Zurich, après être venu en coup de vent enregistrer un Parsifal sur cette même scène pour une captation DVD parue récemment chez Universal.
La direction du maestro est de celles qui divisent : sans concession aucune, il traite l’opéra de Beethoven comme une cantate dont les péripéties scéniques sont de peu d’importance. Les scènes de ton léger qui ponctuent la première demi-heure du spectacle sont traitées avec emphase, voire lourdeur. Certes, ce n’est pas dans ces moments-là que le génie de Beethoven est à son zénith, mais il semble tout de même cavalier de vouloir récupérer ces airs d’opéra comique en les transformant en grandes scènes lyriques dont le ton reste parfaitement étranger au contexte dramatique…

« Fidelio », avec Melanie Diener, Roberto Saccà.
Copyright Suzanne Schwiertz.

Mais, dès le Quatuor, la ‘sauce’ prend et le spectacle vole de sommets en sommets. L’orchestre zurichois semble galvanisé par une battue pourtant avare d’effets de manches. La texture instrumentale est presque charcutée pour faire ressortir à la pointe de la baguette ces voix intermédiaires ordinairement noyées sous le flot de décibels : les bois ont une verdeur tranchante, alors que les cordes paraissent comme subdivisées en groupes restreints qui alimentent le contrepoint dans les passages les plus complexes pour en augmenter le potentiel dynamique.
Les chanteurs peinent à rivaliser avec une interprétation aussi grandiose. Les voix sont certes puissantes, mais le chant paraît inexorablement relégué au second plan. Melanie Diener aborde pour la première fois ce rôle meurtrier d’épouse fidèle prête à tout pour vaincre l’injustice : le timbre est magnifique d’ampleur dans l’aigu, mais peine à soutenir dans la durée ce degré d’exaltation nécessaire à toute grande interprétation d’un tel emploi. Sublime dans le Quatuor, la chanteuse est à la peine dans son Abscheulicher ! avec une émission qui se rétrécit et tend à perdre sa sûreté d’intonation. En fin de spectacle, le timbre devient tout simplement inaudible.
Ce défaut n’est pas celui de ses partenaires ! Sandra Trattnigg transforme presque Marzelline en personnage principal tant son chant conquérant comble toutes les attentes. Lucio Gallo en Pizarro et Roberto Saccà en Florestan restent des apparitions exotiques dans un répertoire qu’ils dominent mal par la faute d’une émission trop forte ou trop large et d’une prononciation pour le moins fleurie. Alfred Muff, par contre, est un Rocco idéal qui trouve le parfait équilibre entre une bonhomie bien chantante et une noirceur grinçante ajoutant une touche de duplicité au personnage ambigu du geôlier. Don Fernando, Jaquino et les deux Prisonniers restent plutôt pâles, tout comme un chœur aux effectifs anémiques dans le voix aiguës.
La mise en scène de Katharina Thalbach se veut fidèle au livret. Elle séduit l’œil au lever du rideau grâce au beau décor d’Ezio Toffolutti mais ennuie rapidement car elle ne propose rien à se mettre sous la dent à un spectateur du début de ce siècle qui se demande peut-être pourquoi on s’acharne encore à monter un tel ouvrage après deux siècles où les tyrannies ont démontré jusqu’à plus soif que nul idéal ne parviendra jamais à les terrasser !
Représentation du 5 octobre.

Eric Pousaz