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Opernhaus, Zurich
Zurich : “La Passion grecque“

Si le sujet du dernier opéra de Martinu proposé à Zurich reste fort, la musique paraît pourtant surannée aujourd’hui.

Article mis en ligne le décembre 2008
dernière modification le 24 janvier 2009

par Eric POUSAZ

Tiré du roman de Kazantzakis intitulé Le Christ recrucifié, le sujet du dernier opéra de Bohuslav Martinu est construit sur l’opposition entre l’égoïsme des nantis et le désespoir des malheureux jetés sur les routes de l’exil. Sujet moderne s’il en est, mais malheureusement la musique n’est pas à la hauteur…

Composée dans les années cinquante pour honorer une commande du Covent Garden de Londres, la partition du compositeur tchèque n’eut pas l’heur de plaire à la commission musicale de l’institution et celle-ci refusa tout simplement que l’on mît l’ouvrage à l’affiche. Déçu, le compositeur délaissa son œuvre et alla même jusqu’à en donner quelques pages ! Sous l’impulsion du grand mécène suisse Paul Sacher, le théâtre de Zurich s’intéresse alors à l’opéra et s’engage à le mettre en scène après que le musicien s’est engagé à le retravailler. La création a lieu le 9 juin 1961 et remporte un vif succès. Depuis ce temps-là, plusieurs salles ont mis ce titre à l’affiche ; l’opéra londonien lui-même en a proposé une version scénique il y a cinq ans.

Partition disparate
Si le sujet reste fort, la musique paraît pourtant surannée aujourd’hui. Le compositeur n’est en effet pas regardant sur les moyens employés et se sert à tous les râteliers comme un compositeur de comédie musicale américaine dont le seul souci serait d’illustrer une intrigue avec le maximum d’efficacité. Quelques notes de musique ‘kletzmer’ avec accordéon obligé par ici, trois phrases de chant orthodoxe par là, des danses à la Smetana pour dépeindre un mariage, des dissonances à la Janacek pour souligner la dureté de cœur des habitants peu enclins à partager, et ainsi de suite. A l’arrivée, l’auditeur se trouve confronté à une partition de style disparate qui s’écoute facilement comme la bande son d’un film documentaire sur les us et coutumes de quelque peuplade slave vivant dans un endroit retiré…

« La Passion grecque », avec Roberto Saccà et Emily Magee
Copyright Hans Jörg Michel.

L’Opéra de Zurich a pourtant pris sa tâche au sérieux et offre une de ces distributions dont il a le secret : les chanteurs sont des vedettes confirmées et la mise en scène est confiée à un grand spécialiste du théâtre. Las ! on s’ennuie ferme...
Au centre de l’ouvrage se trouve la figure du berger Manolios, chargé d’incarner le Christ dans le spectacle monté tous les sept ans dans le village au moment de Pâques. Roberto Sacca habite le personnage de sa voix vibrante, et son jeu fruste, presque halluciné, double un art du chant hyper-expressif qui donne au pivot de l’intrigue tout le poids nécessaire. Emily Magee est à peine moins convaincante dans la réincarnation de Marie Madeleine : le timbre est large, chaleureux et possède un grave corsé qui permet à la cantatrice de ne pas avoir à grossir le trait pour passer le mur que dresse entre la fosse et la salle un orchestre gigantesque.
La distribution ne comprend pas moins de quinze rôles, tous tenus avec aisance et puissance par des habitués de la scène zurichoise qui ne peuvent recevoir ici qu’un éloge collectif. Le chœur de l’Opéra de Zurich, dédoublé en deux masses imposantes symbolisant les communautés en présence, s’acquitte également de sa tâche avec un aplomb rare alors que l’orchestre, placé sous la direction de Eivind Gullberg Jensen fait une fois de plus honneur à l’institution.
La mise en scène de Nicolas Brieger, bien connu des Genevois, est à la fois abstraite et naturaliste. Elle ne recule pas devant quelques tableaux vivants désarmants de naïveté (la crucifixion du berger, l’apparition de quelques animaux vivants) mais séduit surtout par le recours à des symboles forts, parlants malgré la stylisation des moyens requis, telles ces robes de mariage jetées sur le sol qui s’imbibent lentement de sang au moment de l’assassinat du jeune berger incarnant le nouveau christ. A la fois éloquente et simple, cette galerie d’images séduit l’œil et l’intelligence sans parvenir à rendre intéressante une partition qui lorgne trop souvent vers l’effet facile.
Le Grand Théâtre proposera en février 2012 Juliette du même compositeur. Il semble que ce soit le meilleur des treize ouvrages lyriques de Martinu…

Eric Pousaz

Cet opéra sera encore représenté le mercredi 3 décembre