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Opernhaus, Zurich
Zurich : “Genoveva“ de Schumann

Nikolaus Harnoncourt a réalisé un souhait en dirigeant une production scénique de Genoveva.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 2 mai 2008

par Eric POUSAZ

Nikolaus Harnoncourt est persuadé que Genoveva de Schumann est un des plus grands ouvrages lyriques de la seconde moitié du 19e siècle. Après en avoir dirigé plusieurs exécutions en concert, il a enfin obtenu de l’Opéra de Zurich une production scénique de cet ouvrage qui, selon lui, devrait impérativement retrouver une place de choix dans le répertoire.

De fait, il y a fort à parier que pas grand-chose ne change après cette production qui se veut très intelligente (comme le prouvent les notes dans le programme de la soirée) mais qui prive le spectateur non averti de toute référence à une logique immédiatement intelligible. Il est bien beau de voir en chaque personnage une facette différente de la même personnalité, de faire cohabiter le bien et le mal, la cruauté et la tendresse dans le même individu. Mais cela ne suffit pas à transformer le spectacle en un moment de théâtre captivant.

Dramaturgie
Dans le décor blanc et aveuglant de Rolf Glittenberg – une chambre meublée d’un seul fauteuil et munie d’un lavabo surmonté d’un miroir – errent les quatre protagonistes du drame. Ils se côtoient et se frôlent sans se voir, sauf lorsque la partition prévoit l’ébauche d’un duo ou d’un ensemble. Le chœur est relégué sur le côté de la scène ou reste en coulisses et joue les voyeurs sans prendre part à l’action. Chaque geste, chaque déplacement trouve bien évidemment une signification dramaturgique évidente pour qui est prêt à se plonger sans les méandres révélateurs de cette mise en scène conceptuelle ; mais il n’empêche que, crument dit, un tel spectacle plonge le spectateur moyen dans une mer d’ennui car rien ne se passe pendant les trois heures de la représentation qui puisse être intuitivement saisi sans nécessiter une gymnastique intellectuelle fatigante car gratuite à la longue.

« Genoveva », avec Tomasz Slawinski, Matthew Leigh, Juliane Banse, Martin Gantner
Copyright Hans Jörg Michel

Dans la fosse, Harnoncourt irrigue le discours schumannien de tensions vives : les dissonances sont nombreuses, alors que les violentes oppositions de timbres agressent l’oreille et font comprendre le rejet du public contemporain du compositeur, dérouté par la modernité d’un langage bien en avance sur son temps. Aussi le chef veille-t-il à mettre les musiciens – qui ont parfois de la peine à réaliser ses intentions – constamment sous pression pour donner un maximum de mobilité à un discours orchestral qui se mue en véritable narrateur de l’action.

Chanteurs d’exception
Sur le plateau, les chanteurs n’incarnent pas des personnages mais prêtent leurs voix à l’expression d’états d’âme plutôt passifs. L’action les laisse pour ainsi indifférents, comme dans l’impressionnante scène de l’exécution de Genoveva livrée aux bourreaux, qui voit la chanteuse perdue dans son monde d’innocence tandis que les sévices physiques les plus cruels lui sont infligés. Juliane Banse incarne cette figure angélique avec une voix d’un magnifique métal, à la fois percutante et souple, capable de pianissimi aériens et d’éclats d’une parfaite rondeur ; le Siegfried vocalement raide de Martin Gantner s’oppose au ténor torturé de Shawn Matthey incarnant un Golo pathétique, tiraillé entre ses pulsions et son amour véritable pour celle qu’il travaille à détruire. Les deux voix ne sont certes pas parmi les plus belles qui soient, mais jusque dans l’exploitation de leurs limites, les deux chanteurs parviennent à tirer le maximum d’expressivité d’une musique qui leur refuse tout recours à des artifices théâtraux spectaculaires. Le timbre maintenant déjà assez acide de Cornelia Kallisch dote le portrait de la magicienne d’un profil acéré qui en magnifie la méchanceté autant que la poltronnerie.
Ces quatre chanteurs d’exception sont entourés de Ruben Drole, un Hidulfus sonore et extraverti, d’Alfred Muff, un excellent Drago au timbre chaleureux, et de Tomasz Slawinski en Balthasar et Matthew Leigh en Caspar, deux bourreaux qui se profilent avec un maximum de punch dans une musique qui allie avec élégance tournures populaires et savantes. Le chœur s’avère précis et concerné malgré le rôle plus que secondaire que lui réserve la mise en scène. A l’arrivée : une redécouverte fascinante mais qui n’a pas réussi à convaincre de la viabilité d’un projet artistique entaché de trop de cérébralité…

Eric Pousaz