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Opernhaus Zurich
Zurich : “Elektra“

Daniele Gatti, successeur de Franz Welser-Möst, se présentait aux Zurichois le mois passé avec une reprise d’Elektra.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 21 mars 2010

par Eric POUSAZ

Le futur patron de l’Opéra de Zurich vient de nommer son nouveau Directeur Général de la Musique en la personne de Fabio Luisi, un chef bien connu des Genevois. Alexander Pereira, qui reste encore deux ans et demi en fonction sur les bords de la Limmat avant de partir pour le festival de Salzbourg, s’offre le luxe de faire occuper le poste que vient de laisser vacant Franz Welser-Möst par le chef italien Daniele Gatti.

Nommé pour trois ans, le nouveau responsable de la musique dirigera cinq premières dans les deux prochaines saisons et se présentait aux Zurichois le mois passé avec une reprise d’Elektra. A vrai dire, il a déjà dirigé deux fois le Requiem de Verdi, mais cette soirée du 23 janvier marquait véritablement le début de son association avec les musiciens de l’Opéra.

Des débuts remarquables et remarqués
Spécialiste du répertoire allemand, qu’il a beaucoup dirigé à travers le monde, Daniele Gatti offre de la partition monstrueuse de Richard Strauss une lecture agréablement dégraissée. Non que la puissance manque au rendez-vous, mais la transparence reste le mot d’ordre premier de ce chef qui parvient à rendre le jeu de ses instrumentistes délié et soyeux jusque dans les paroxysmes les plus débridés, – et il y en a un bon nombre dans cette partition… Plus intéressante encore s’avère sa tentative de rendre audibles les rythmes de danse qui irriguent l’ensemble du discours : même la scène de la confrontation avec Clytemnestre n’est pas exempte de charme car l’orchestre sait s’y montrer d’un raffinement extrême aussi bien dans les solos des vents que dans ces bribes de mélodie que caressent les cordes avec une sensualité inédite. Débarrassée de ses scories ébouriffantes, la musique n’en paraît que plus riche en dissonances déchirantes et affiche une modernité d’écriture riche en trouvailles exceptionnelles. Il est vrai que ce procédé d’allègement du matériau se fait parfois au détriment de la cohésion des scènes que l’auditeur perçoit souvent comme morcelées en divers épisodes à la façon d’une gigantesque rhapsodie ; néanmoins, les gains sont appréciables tant au niveau de la compréhension du texte que du raffinement des effets obtenus.

« Elektra » de Strauss, avec Eva Johansson et Agnes Baltsa
© Hans Jörg Michel

Les chanteurs profitent bien évidemment de cette sourdine mise à l’orchestre et passent la rampe avec aisance en toute occasion. Cela est surtout vrai pour Eva Johansson, une Elektra certes formidable mais qui lutte de toutes ses forces pour parvenir au terme de son marathon tant il est patent qu’elle ne possède pas les moyens naturels qui lui permettraient de fouiller ce rôle jusque dans ses derniers recoins. Emily Magee n’a pas ces problèmes : la voix est large, généreuse et se coule avec délectation dans un déferlement de mélodies exaltées qui lui convient à merveille. Martin Gantner en Oreste est tout aussi surprenant tant le timbre est sombre mais toujours facile. Agnes Baltsa en Clytemnestre fait étalage de fort beaux restes vocaux : le timbre est rocailleux (ce qui, dans cet emploi, est plutôt bienvenu !) mais n’a rien perdu de sa puissance ; quant au jeu scénique, il a toutes les qualités de celui d’une grande interprète dramatique. Comblé, les spectateurs ont fait fête à l’ensemble de la distribution et à un chef qui ne pouvait espérer débuter ici sous de meilleurs auspices. La mise en scène de Martin Kusej, en effet, quoique surprenante dans son décor de maison close pour gens de la haute enclins au sadomasochisme, démontre une élégance de touche qui s’accorde parfaitement avec une direction d’orchestre elle aussi désireuse de faire passer le raffinement de l’écriture avant l’implacable logique musicale de ce drame sanguinaire.
(Représentation du 23 janvier)

Eric Pousaz