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Zurich : “Die Fledermaus“ & “Boris Godounov“

Feu d’artifice à Zurich, où l’opérette de Strauss faisait référence au célèbre film de Polanski…

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 19 septembre 2008

par Eric POUSAZ

Die Fledermaus jouit actuellement d’une vague sans précédent en Suisse. Après Lausanne et avant Genève, la célèbre opérette de Strauss est à l’affiche de l’Opéra de Zurich dans une mise en scène faisant ouvertement référence au célèbre film de Polanski…

Un nouveau Bal des Vampires
La chauve-souris et le vampire sont parfois synonymes dans le langage courant. Partant de cette idée, le metteur Michael Sturminger imagine que le couple Eisenstein est convoité par une bande de vampires en quête de nourriture ; toute la scène du bal chez Orlovski n’est ainsi qu’une mise en scène macabre destinée à amener de la chair fraîche chez ce prince éternellement jeune, vampirisé avant d’avoir mué et par conséquent incapable de trouver le repos dans la mort. Autour de lui gisent des cercueils d’où émergent de nombreux hôtes, qui sont d’anciennes victimes du prince ; comme lui, elles sont altérées de sang frais. L’idée, fort drôle au départ, n’est pourtant pas exploitée avec conséquence et le spectateur a rapidement l’impression que ce nouveau travestissement de l’intrigue n’amène pas de sang neuf à l’histoire interprétative de ce chef-d’œuvre de l’opérette viennoise.

« Die Fledermaus », avec Sandra Trattnigg et Christoph Strehl.
© Suzanne Schwiertz

La distribution, heureusement, est à la hauteur des exigences de la partition et, tout en s’amusant follement, séduit par une série de prouesses vocales de la meilleure veine. Sandra Trattnig en Rosalinde offre un véritable feu d’artifice vocal, avec un luxe de nuances et de fioritures qui allègent quelque peu une ligne de chant qui aurait tendance à s’alourdir à l’excès par manque de grave, comme l’a cruellement mis à nu la csardas du 2e acte, où la voix devient souvent inaudible dans la partie inférieure de la tessiture. Oliver Widmer en Eisenstein, le mari infidèle qui se mue en homme du monde libertin, exploite avec délices les ressources d’un timbre puissant et large pour croquer un portrait irrésistible de drôlerie retenue. Michelle Breedt s’offre le luxe de chanter toutes les notes du rôle d’Orlovski sans recourir à l’effet de poitrine ou au parlando pour rendre son organe plus viril. Eva Liebau semble s’amuser de la hauteur stratosphérique de certaines notes du rôle d’Adèle, mais a parfois de la peine à donner suffisamment de volume à son chant pour passer la rampe. Sebastien Rheinthaler, enfin, caricature les tics des ténors avec une voix d’une ampleur magnifique qui prouve déjà, dans quelques mesures interpolées, que les emplois d’Otello ou de Florestan dans Fidelio ne devraient pas lui échapper encore longtemps. Excellents comparses, chœur magnifiquement présent et figuration à la hauteur d’un spectacle qui se veux luxueux et réussit à donner l’impression que l’on n’a pas lésiné sur les moyens pour cette réalisation scénique. A la direction, Ralf Weikert ne prend pas trop de gant pour empoigner cette musique avec une verdeur qui nuit parfois à l’élégance du débit ; les cordes, notamment, ne semblaient pas toujours à la fête.
(Représentation du 9 avril ; la production reste au progamme jusqu’au 3 juillet et sera reprise la saison prochaine)

Boris Godounov
Cette nouvelle réalisation de Boris Godounov remplace une mise en scène de David Poutney, vieille de dix ans et remarquable de cohérence, par un arrangement scénique plutôt maladroit, enrichi de visions futuristes d’un goût douteux. Tout se passe comme si le metteur en scène Klaus Michael Grüber et son décorateur Eduardo Arroyo avaient voulu fragmenter l’intrigue pour ne la présenter que sous forme de tableaux vivants, d’un indéniable charme esthétique, mais d’une indéniable vacuité de sens également. Que vient faire, par exemple, dans le contexte de cette vaste épopée russe, ce zeppelin stylisé et cette abeille géante devant le portique de la Cathédrale au 4e acte ? Pourquoi cette figure d’un ange déchu (ou d’un Christ ailé ?) pendant la scène du Couronnement ? De fait, les chanteurs et le chœur parcourent le plateau sans véritable dessein dramatique, la direction d’acteur s’inscrit systématiquement aux abonnés absents et le spectateur s’attend – en vain – à recevoir les clefs d’une suite d’énigmes visuelles qui restent sans écho au plan musical.
La musique, elle, est heureusement confiée à des avocats nettement plus convaincants du génie de Moussorgski. Vladimir Fedoseyev dirige avec ferveur un orchestre d’une souplesse étonnante qui donne magnifiquement corps aux intentions du compositeur et font s’interroger le spectateur sur la nécessité si longtemps ressentie de recourir au travesti de la réorchestration tombée de la plume de Rimsky-Kordsakov. Le chœur de l’Opéra, dûment renforcé, donne aussi là son interprétation la plus impressionnante de la saison en cours : chaque voix se détache avec netteté sans pour autant menacer la cohésion des ensembles. Et les passages a cappella, dans la scène de Pimen ou celle de la mort de Boris, ne sont pas les moins réussis de ces moments où cet ensemble se hisse sur les plus hauts sommets interprétatifs.

« Boris Godounov », avec Matti Salminen
© Suzanne Schwiertz

La distribution est dominée par le Boris imposant de l’infatigable Matti Salminen dont chaque nouvelle interprétation de cette figure centrale du répertoire russe paraît s’enrichir de facettes nouvelles. La voix a conservé une fraîcheur étonnante, alors que le jeu scénique de plus en plus halluciné de ce tsar malade fait courir le frisson dans le dos. Faces à ce monument déjà presque historique de l’opéra, les êtres plus ou moins ambitieux qui se pressent autour de son trône vacillant sont tous admirablement croqués par une pléiade d’artistes de premier plan ; Marina a la voix chaude et ensorcelante de Luciana D’Intino ; le moine paillard Warlaam est confié au gosier puissante, au chant subtilement débridé d’Andreas Hörl ; Chouïsky, alias Rudolf Schasching, a les inflexions subtiles d’un intrigant maléfique qui masque sous un chant toujours beau une irrépressible propension au mal ; Pimen, en chroniqueur de ces années obscures, est incarné par un Pavel Daniluk d’une autorité vocale indiscutable et dont le timbre profond fait preuve d’une fraîcheur réjouissante aux deux extrémités d’une tessiture extraordinairement large ; Vladimir Stoyanov, enfin, emprunte les traits du Jésuite Rangoni pour faire étalage d’un art du chant d’une infinie variété d’effets attestant un art consommé de l’inflexion maîtrisée jusque dans ses plus infimes nuances. Seul Reinaldo Macias peine à convaincre avec son Gregori aux aigus étranglés et au médium passant difficilement la rampe.
Les emplois plus épisodiques, y compris celui de la figure marquante du Fou, sont distribués à des chanteurs corrects, mais peu aptes à s’imposer comme inoubliables dans leurs courtes interventions. Malgré ces réserves, voici donc un Boris qui mérite le déplacement, d’autant plus qu’il comprend le fameux Acte polonais que les metteurs en scène moderne ont tendance à reléguer aux oubliettes parce qu’il rallonge inutilement la représentation, qu’il n’a pas été originairement voulu par le compositeur (ce qui est faux, ainsi qu’en attestent les esquisses préliminaires) et fait exploser les coûts de production…

Eric Pousaz