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Festival de Zurich
Zurich : “Arabella“ & “Scènes de Faust“
Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 24 septembre 2007

par Eric POUSAZ

L’édition 2007 du Festival de Zurich, qui regroupe théâtre, danse, opéra et diverses musiques du monde, a commencé avec fracas à l’Opéra : pour les besoins d’une captation DVD, la cantatrice américaine Renée Fleming a accepté de se glisser dans une production d’Arabella pourtant vieille de sept ans…

La production, l’une des dernières qu’a signées Götz Friedrich avant de disparaître, transpose le demi-monde viennois voulu par les auteurs de l’intrigue dans le monde très ‘clean’ de l’Art Nouveau avec des décors et des costumes où dominent les noirs et les blancs. Dans le décor plutôt neutre de Gottfried Pilz, feu le directeur de la Deutsche Oper de Berlin signe une mise en scène qui se concentre sur les comportements et les attitudes des personnages. Véritable comédie de mœurs, l’intrigue d’Arabella devient ainsi prétexte à révéler les mensonges des codes sociaux d’une époque où le paraître comptait plus que l’être, et à ce titre, on ne saurait dire que le principe de base de cette réalisation soit dépassé ! La responsable de cette reprise, Claudia Bersch, a fourni un exceptionnel travail de précision qui donne à voir un spectacle aussi frais et spontané qu’au premier jour.
La distribution a été particulièrement soignée. Cornelia Kallisch et Alfred Muff campent un couple d’aristocrates vieillissants et ruinés d’une formidable pétulance scénique ; Julia Kleiter, en jeune sœur sacrifiée et condamnée au travesti, séduit dès la première minute avec son soprano clair, délié, d’une rondeur chaleureuse jusque dans les notes aigues qu’elle a aériennes et percutantes. Sen Guo est à la peine dans le rôle impossible de la Fiakermilli ; curieusement, ce ne sont pas les invraisemblables cavalcades dans le suraigu qui la gênent, mais plutôt les quelques incursions auxquelles le compositeur la condamne dans le registre grave, ici détimbré et presque laid tant il est ouvert. Les trois prétendants d’Arabella – Petrer Straka, Cheyne Davidson et Morgan Moody - sont par contre impeccables, comme il se doit, alors que le Matteo de Johan Weigel manque de puissance pour rendre justice aux quelques moments d’emphase que lui réservent ces moments où il sort de ses gonds.

Arabella, avec Renée Fleming . Copyright Suzanne Schwiertz

Mais c’est bien sûr sur le couple central que se fixait toute l’attention des spectateurs. Visiblement, ceux-ci n’avaient d’yeux que pour ‘la’ Fleming, et lui ont réservé à juste titre une de ces ovations mémorables dont les artistes aiment à parler longtemps après en avoir été les bénéficiaires. Il faut dire que tout est parfait chez cette artiste dont on eût pu craindre qu’elle se livre à un numéro privé de toute consistance dramatique. Loin s’en faut : son Arabella est espiègle et arrogante, capricieuse et aimante ; la voix, d’une douceur aérienne, caresse ses phrases mélodiques tout en sachant les rendre expressives car la diction est exemplaire et la maîtrise de l’allemand impressionnante de maîtrise. De plus, le jeu scénique est à la hauteur de l’exceptionnel art de la caractérisation musicale … et elle porte des robes d’une coupe magnifique avec un savoir-faire qui, en l’occurrence, cadre parfaitement avec le personnage imaginé par Hofmannsthal. Thomas Hampson aurait dû lui donner la réplique ; malade, il a été remplacé par un jeune baryton danois, Morten Frank Larsen, doté d’un timbre d’une rare puissance dont il a parfois tendance à abuser, - mais là aussi, cela cadre parfaitement avec le personnage d’ours un brin mal embouché qu’il est censé incarner. En cours de soirée, son chant et son jeu gagnèrent en naturel et on peut déjà parier que la scène internationale tient là un des grands Mandryka du futur.
A la tête d’un orchestre superbement disposé, Franz Welser-Möst dirige cette musique avec un sens parfait du timing : les nombreux passages de conversation se déroulent sur un rythme soutenu ; et lorsque surviennent les épanchements lyriques, le chef sait ne pas s’alanguir à l’excès, évitant par là tout parfum de vulgarité à un opéra dont on a souvent dit qu’il était une opérette déguisée. Comme l’étoffe instrumentale reste en plus d’une parfaite lisibilité tout au long de la soirée, sertissant le chant dans un écrin d’un infini chatoiement de teintes, on comprendra que ceux qui n’ont pu assister à cette soirée d’exception ne devraient pas trop tarder à acheter le DVD à sa sortie de presse ! (représentation du 19 juin)

Schumann : Scènes de Faust
Le thème dominant du volet musical du Festival est l’interprétation presque exhaustive des ouvrages de Robert Schumann. Aussi l’Opéra a-t-il pris le risque de programmer une version scénique de ses Scènes de Faust qu’il est rare de rencontrer même en salle de concert. La mise en scène a été confiée à un artiste autrichien à la réputation sulfureuse, Hermann Nitsch, connu pour ses orgies théâtrales provocatrices. Rien de tout cela, pourtant, en cette occasion. S’inspirant de la théorie des couleurs chère à Goethe, il propose une version très statique de l’ouvrage : les acteurs sont tous habillés de tuniques multicolores, alors que la scène est enserrée de trois écrans gigantesques sur lesquels on projette des photos constamment remaniées par l’insertion de filtres qui en modifient les rapports de couleur. Sur scène, il ne se passe pas grand’ chose, si l’on excepte le dépeçage sanguinolent d’un porc et quelques scènes de crucifixion d’un goût assez douteux. Les chanteurs sont immanquablement attirés vers le devant de la scène alors que le chœur prend des poses adéquates en arrière plan pour favoriser au maximum la projection des divers registres.
Si la scène laisse le spectateur sur la faim, l’amateur de Schumann est, lui, comblé, car l’interprétation est une des plus saisissantes qui se puissent imaginer. Simon Keenlyside habite le rôle de Faust et du Dr Marianus avec une véhémence qui ne met jamais en péril une émission d’une franchise et d’une santé impressionnantes. Les transitions entre les divers registres de la voix, fort sollicités par l’écriture torturée du compositeur, s’effectuent sans modification de teintes dans l’étoffe vocale et les quelques moments d’emphase sont abordés avec une chaleur et une aisance technique qui forcent l’admiration. On en dira autant de Günther Groissböck dans ses incarnations du Mal : voilà une basse dont le timbre reste net et tranchant jusque dans le grave, ce qui confère à ses interventions une fougue percutante de la meilleure veine. Malin Hartelius en Gretchen reste plus en retrait car le timbre manque de pugnacité, mais son aigu est immaculé tandis que le médium, d’une assise parfaite, passe facilement la rampe. De l’importante distribution secondaire se détachent l’Ariel suprême d’aisance vocale de Roberto Saccà, le soprano clair d’Eva Liebau dans le rôle du Souci et le Pater Seraphicus sonore de Ruben Drole. A la tête de son orchestre, dont il est encore le Directeur général pour un an avant de partir pour Vienne, Franz Welser-Möst offre une lecture un brin hallucinée de Schumann, retenue dans les grandes fresques des fins de partie mais incroyablement précise dans l’analyse d’un art de l’orchestration dont on a trop souvent dit qu’il était ingérable en salle parce que trop maladroit. Sous la direction fiévreuse du chef, l’auditeur avait au contraire l’impression d’entendre une œuvre prémonitoire dont les audaces allaient bien des fois au-delà de ce que les énormes partitions postromantiques nous proposeront cinquante ans plus tard.

Eric Pousaz