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Sur les scènes lyriques viennoises
Vienne : “Tancredi“ & “Lady Macbeth“

Escale lyrique qui nous fait découvrir le Tancredi d’anthologie de Vivica Genaux, et la Katerina incandescente d’Angela Denoke.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 21 janvier 2010

par Eric POUSAZ

Depuis quelques années, Vienne dispose d’un troisième Opéra, le Theater an der Wien, dont les programmes complètent heureusement ceux du Komische Oper
(qui se consacre en principe à l’opérette ou à l’opéra-comique avec quelques incursions remarquées dans un répertoire plus lourd) et le Staatsoper mondialement connu.

Rossini : Tancredi
Dans cette troisième salle entièrement rénovée, qui a vu la première de La flûte enchantée de Mozart et où Beethoven a entendu la création de plusieurs de ses œuvres, les programmateurs construisent une saison autour d’une douzaine de titres lyriques encore rarement, voire jamais joués à Vienne ; divers concerts, récitals et manifestations musicales diverses complètent l’offre de cette salle dont l’activité n’est finalement pas loin d’égaler celle de ses rivales plus connues.
Le théâtre ne possède pas d’orchestre ; c’est pourquoi il avait été fait appel à l’Orchestre des Champs Elysées de Paris et à l’Arnold Schoenberg Chor pour monter ce Tancredi de Rossini confié au metteur en scène Stephen Lawless. Dans ce qui menace de devenir une tradition tenace, le responsable du spectacle transpose l’intrigue dans l’Italie fasciste de l’Entre-deux-guerres. Les méchants Maures font irruption avec leurs kalachnikovs tels des adeptes d’Al-Qaïda alors qu’Argirio aime à se donner des airs de Duce pour assister à diverses manifestations de démonstration athlétiques qui sont autant de prétextes à admirer la belle plastique de gymnastes émérites. Pourquoi pas, au fond ? Encore faudrait-il que la mise en scène conserve sa cohérence au fil des heures. Mais on a vite l’impression d’assister à un concert en costumes dont le responsable technique s’est simplement trompé de malles dans le magasin d’accessoires, tant la gestique reste traditionnelle jusqu’à la caricature.

Aleksandra Kurzak assumait le rôle d’Amenaide dans « Tancredi »

Le chant, heureusement, nous dédommage de cette piètre démonstration scénique. Vivica Genaux est un Tancredi d’anthologie qui ferait tomber nos dernières réserves si son émission était plus claire, c’est-à-dire moins nasale. Aleksandra Kurzak maîtrise l’impossible rôle d’Amenaide avec un aplomb stupéfiant et une voix qui, trop légère en début de soirée, se corse agréablement au fil des minutes. Le ténor de Colin Lee convient idéalement au personnage d’Argirio, curieux mélange de sévérité tyrannique et de faiblesse paternelle : son timbre aigu et rond lui permet ainsi d’aborder les invraisemblables retournements de situation qu’induit son incapacité foncière à se décider avec une élégance et un panache qui le placent aux côtés des meilleurs interprètes rossiniens actuels. L’excellent Konstantin Wolff reste un belcantiste d’une ahurissante sûreté de goût dans le rôle du méchant Orbazzano qu’il débarrasse de tout surcharge interprétative. Les emplois secondaires et les hommes du Arnold Schoenberg Chor se tirent d’affaire avec une certaine distinction alors que René Jacobs, malgré tout le soin qu’il met à diriger un Rossini suave et racé, ne parvient pas à nous convaincre que sa baguette est réellement faite pour ce répertoire : il y a tout simplement trop peu de nuances et trop peu de vie dans son accompagnement instrumental d’une sagesse polie qui frise la banalité.

Chostakovitch : Lady Macbeth
Le Staatsoper va changer de direction dans deux ans et demi lorsque Dominique Meyer en reprendra les rênes. Ioan Holender, l’actuel directeur de l’institution, n’a jamais montré une prédilection particulière pour le répertoire du XXe siècle et s’est contenté jusqu’ici de proposer au compte-gouttes les titres incontournables du siècle passé, tels Wozzeck ou Moïse et Aron. Lady Macbeth entre bien sûr dans cette catégorie ; c’est pourtant la première fois que la version originale de 1934 faisait son entrée sur cette scène prestigieuse à l’occasion de cette nouvelle production qui a heureusement bénéficié d’une interprétation en tous points remarquable …
Matthias Hartmann, l’ancien directeur du Schauspielhaus de Zurich et nouveau patron du Burgtheater de Vienne, signe une mise en scène dépouillée mais efficace de ce chef-d’œuvre d’une violence dérangeante aujourd’hui encore. Quelques accessoires scéniques (dont un buste détruit d’une statue de Staline qui se veut un clin d’œil à la réception mouvementée de l’ouvrage en Russie après que le dictateur l’eut jugée pornographique et décadente) et deux parois de matériau léger suffisent à suggérer les divers lieux de l’action. Les personnages, dirigés de main de maître, imposent leur présence avec aisance même s’ils restent muets et restent crédibles é chaque instant tant le metteur en scène sait charger chaque mouvement d’une signification dont la vérité dramatique s’impose d’emblée.

Angela Denoke était la Katerina incandescente de « Lady Macbeth »
© DR

La distribution est dominée par la Katerina incandescente d’Angela Denoke, une chanteuse qui passe le mur de l’orchestre sans peine tout en conservant un timbre moelleux et lumineux dans les passages les plus exposés. Elle est rejointe à ce niveau d’excellence par un Kurt Rydl au chant somptueux qui confère un brin de dignité à son personnage de beau-père tyrannique et dépravé. Misha Didyk en amoureux cupide et calculateur fait valoir les qualités d’un ténor solide, clair et charmeur, pour rendre plausible l’aveuglement de sa victime jusque dans l’ultime scène de tromperie au bord du fleuve glacé. Le reste de la distribution est tout simplement parfait et atteste l’excellente santé d’une troupe qui semble pouvoir disposer d’inépuisables réserves en jeunes talents. Le chœur lui-même impressionne par son équilibre vocal autant que par sa maestria dans l’approche d’un style musical plutôt hétérogène. Le grand triomphateur de la soirée reste néanmoins le chef Ingo Metzmacher qui faisait ce soir-là ses débuts au Staatsoper car il avait été appelé à la rescousse en dernière minute pour remplacer Kirill Petrenko tombé subitement malade. Sa direction est tout simplement grandiose : elle rend brillamment justice aux aspects les plus hybrides d’une écriture qui évoque aussi bien les violences dissonantes d’un Prokofiev que les languides harmonies des valses symphoniques d’un Ravel ou d’un Strauss.

Eric Pousaz