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Théâtre de la Fenice
Venise : “Intolleranza 1960“

A la Fenice, Intolleranza 1960 de Luigi Nono : une histoire de notre temps

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 24 mars 2011

par Françoise-Hélène BROU

Créée en 1960, l’œuvre musicale de Luigi Nono (1924-1990) résonne singulièrement aujourd’hui, notamment à la lumière des révoltes populaires se déroulant au Magreb et au Moyen-Orient. Dans la meilleure tradition du théâtre d’avant-garde, cet opéra exprime une vibrante protestation contre les diverses formes d’oppression sociales.

« L’origine de mes travaux est toujours à chercher dans une provocation humaine : un événement, une expérience, une épreuve de la vie stimule mon instinct et ma conscience à témoigner comme homme et comme musicien. » (Luigi Nono)

Une histoire de notre temps
Action scénique en deux parties, l’opéra a été conçu d’après une idée d’Angelo Maria Ripellino et sur un livret-collage de textes et de voix (Henri Alleg, Bertold Brecht, Paul Eluard, Julius Fucik, Vladimir Maïakovski, Angelo Maria Ripellino, Jean-Paul Sartre). La matière linguistique, associée aux dimensions musicales, scéniques, visuelles et spatiales de l’œuvre, créent une sorte de manifeste pour un nouveau théâtre musical, œuvre totale ou Dramma mit Musik, que Nono voyait réalisée dans la « Glückliche Hand » de Schönberg et à laquelle il désirait donner suite.
La première représentation d’Intolleranza, dirigée par Bruno Maderna, eut lieu à Venise au Théâtre de la Fenice, le 13 avril 1961, à l’occasion du XXIV Festival international de musique contemporaine de la Biennale de Venise. Le spectacle provoqua un scandale énorme entre ses partisans et opposants qui s’invectivèrent, aux cris de « communistes » et « fascistes », durant le spectacle. Il est vrai que l’argument anti-conventionnel de l’œuvre, représentant l’éveil d’une conscience politique, s’oppose à la ritualité du théâtre bourgeois. La trame narrative évoque les conditions de vie d’un émigrant travaillant dans une mine, celui-ci, confronté à la misère et sans perspectives d’avenir, décide de retourner dans sa patrie. Au cours de son voyage, il assiste fortuitement à une manifestation populaire, la police intervient brutalement et il est arrêté. Il subit interrogatoires et tortures, puis est jeté dans un camp de concentration. Il s’en échappe avec un Algérien et reprend sa route pleine d’embûches, mais sa conscience s’est éveillée et désormais son désir de retour au pays s’est transformé en désir de liberté et de justice sociale.

« Intolleranza 1960 »
© Michele Crosera

Distribution
Le casting de la représentation vénitienne de 2011 est formé par le ténor Stefan Vinke dans le rôle de l’émigrant, de la soprano Cornelia Horak dans celui de sa compagne, de la mezzosoprano Julie Mellor dans le rôle de la femme, du baryton Alessandro Paliaga dans le rôle de l’Algérien et de la basse Michael Leibundgut dans celui du torturé. Les acteurs Roberto Abbati, Stefano Moretti, Raffaele Esposito et Cristiano Nocera interprètent les rôles des quatre policiers, enfin Stacey Mastrian a le rôle de la voix de soprano solo. Le chœur dirigé par Claudio Marino Moretti compte 70 choristes, un effectif particulièrement important et doté d’un rôle essentiel qui interagit avec les personnages d’une voix autonome, tel un personnage « collectif », commentant et amplifiant les sentiments des individus. Ce dispositif vocal particulièrement impressionnant est accentué par l’enregistrement sur bandes magnétiques des parties chorales, diffusées ponctuellement dans la salle par quatre groupes de haut-parleurs. Le chœur en outre, logé dans la fosse d’orchestre, est invisible, créant un effet de mystère qui, paradoxalement, renforce les sonorités émergeant de cette profondeur. L’ensemble est dirigé par le chef allemand Lothar Zagrosek, spécialiste du répertoire contemporain, son exécution dense et tonique met en relief les accents âpres et expressionnistes de l’oeuvre de Nono qui n’offre guère de douceur lyrique.

Audace
Une mise en scène audacieuse place le chef et l’orchestre en position proactive sur le plateau, assumant à la fois le statut d’interprètes et de décors. Les musiciens juchés sur un énorme échafaudage métallique, face au public, font résonner leurs instruments à pleine volée, conférant ainsi au matériel sonore une proximité physique saisissante. On notera la performance des percussionnistes qui, logés au dernier étage de l’imposante structure, se prêtent depuis cette hauteur vertigineuse à un réel exercice d’équilibristes. Les chanteurs solistes - comme le groupe d’acteurs - n’ont à cet égard pas moins de mérite ; ils sont, eux aussi, précipités dans cette « confusion » scénique électrisante, au service d’une musique et de textes d’égale valeur dramatique et de plasticité vocalique.

Pour Luigi Nono musique et conscience politique étaient inséparables, aussi l’action d’Intolleranza de 1960 qui ripostait aux grands sujets politiques de son époque : émigration, xénophobie, torture, révolte, désastres industriels et naturels, reste-t-elle en 2011 un message humaniste toujours aussi salutaire.

Françoise-Hélène Brou

Spectacles présentés les 28 janvier, 1, 3, 5 février 2011, au Teatro la Fenice de Venise