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Teatro Regio, Turin
Turin : “Lucrezia Borgia“

Le Teatro Regio proposait une belle production de Lucrezia Borgia, chaleureusement accueillie par le public.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 5 août 2008

par Jacques SCHMITT

Cette production du Teatro Regio pose la question de l’opportunité actuelle de monter des opéras de pur belcanto avec les exigences vocales particulières d’une œuvre aussi exigeante que Lucrezia Borgia de Donizetti. Par le passé, même récent, cet opéra a été chanté par les plus grandes pointures du théâtre lyrique. Si la distribution turinoise s’avère d’un niveau vocal des plus honnêtes, on reste cependant loin des Leyla Gencer, Monserrat Caballé et autre Joan Sutherland, ces divas qui ont marqué l’œuvre de Donizetti. Avec un monde lyrique actuel manquant cruellement de voix capable de soutenir de tels opéras, faut-il pour autant renoncer à les présenter ?

Qui ne tente rien n’a rien ! Sous cet aspect, la prise de risque du Teatro Regio est à complimenter. Ceci d’autant plus que certaines cantatrices prévues au moment de la présentation de la saison 2007-2008 ont déclaré forfait lorsqu’elles se sont frottées de plus près à cette partition. Ainsi dans le rôle-titre, la soprano italienne Fiorenza Cedolins s’est retirée de la course pour laisser la place à sa compagne grecque Dimitra Theodossiu, alors que, de son côté, la mezzo-soprano américaine Kate Aldrich remplace l’Italienne Laura Polverelli originalement prévue pour tenir le rôle très particulier de Maffio Orsini. Lucrezia Borgia est un opéra épuisant pour le rôle-titre.
Sur scène pratiquement du début à la fin, la cantatrice doit posséder, outre une excellente condition physique, des qualités de soprano dramatique doublées d’une grande agilité de vocalises. Une wagnérienne qui chanterait Rossini ! Il faut reconnaître à la soprano Dimitra Theodossiou (Lucrezia Borgia) d’évidentes qualités vocales pour le rôle. Après des débuts un peu timide, chantant dans la retenue, elle se révèle sous de biens meilleurs auspices émotionnels dès la violente scène où elle s’oppose à Don Alfonso qui condamne à mort Gennaro, qu’il ne sait pas être le fils de Lucrezia. (Acte I, scène 6). Si la soprano grecque ne manque pas des atouts nécessaires à cette partition, un peu plus de métier bien conduit la portera certainement aux sommets d’une espèce de cantatrices jusqu’ici en « voix » de disparition.

« Lucrezia Borgia »
© Ramella & Giannese / Fondazione Teatro Regio di Torino

Opéra centré sur l’expression vocale, c’est la manière de chanter fait les personnages plus encore que le costume ou la mise en scène. Or, comment comprendre que Gennaro est le fils de Lucrèce autrement que dans l’expression vocale si les chanteurs sur le plateau ont sensiblement le même âge ? A Turin, l’erreur de distribution est flagrante. Sans que les qualités du ténor espagnol José Bros (Gennaro) soient mises en cause, (même si les aigus souvent trop poussés ont la fâcheuse tendance à détimbrer son instrument) il faut bien avouer que sa voix est trop baritonale pour personnifier le fils de cette Lucrèce Borgia.

Superbe interprétation
L’heureuse surprise de ce plateau turinois vient cependant deux personnages superbement interprétés : le Don Alfonso de la basse Michele Pertusi et le Maffio Orsini de la mezzo Kate Aldrich. Avec le premier, le chant donizettien prend une hauteur émotive d’exception. Michele Pertusi, en grande forme, chante avec un sens du phrasé belcantiste et un legato digne des plus grandes basses de ce répertoire. Très à l’aise sur tout le registre, sa seule voix assure sa présence scénique. Quant à elle, la mezzo-soprano Kate Aldrich (Maffio Orsini) propose son rôle travesti avec une audace vocale étonnante. Sa capacité d’offrir de la puissance dans le registre grave de son spectre vocal en fait une interprète idéale de ce garçon véhément et révolté.

Dans sa mise en scène, Francesco Bellotto favorise le récit. L’expression vocale devant s’en charger, il n’explore que peu l’aspect psychologique de ses personnages. Dans son choix scénique sans grande inventivité mais respectueux de l’esprit de l’intrigue, on pourra lui reprocher le ballet d’une troupe de gardes féminines maniant l’épée comme des aiguilles à tricoter pour être sinon crédibles, du moins efficaces dans les scènes d’arrestation ou de protection de leurs maîtres. Le décor (Angelo Sala) de grands murs et de colonnes carrées en briques rouges dépeint efficacement l’austérité architecturale médiévale sur laquelle on aurait néanmoins aimé que les éclairages (Andrea Anfossi) soient un peu plus contrastés. Si les costumes (Cristina Aceti) sont beaux et souvent bien dessinés, en revanche, celui de Lucrèce Borgia aurait mérité d’être mieux enluminé des attraits qu’on espère à ceux d’une reine.

Cette belle production a été très chaleureusement accueillie par le public turinois. Il a fait un triomphe particulier au chef Bruno Campanella qui, une fois de plus, a démontré sa parfaite connaissance de l’opéra italien en donnant des couleurs chatoyantes à un Orchestra del Teatro Regio en bonne forme quoique parfois un peu trop discret.

Jacques Schmitt

Représentation du 3 avril 2008