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Le Capitole de Toulouse
Toulouse : “I Quattro Rusteghi“

Belle réalisation au Capitole, où la mise en scène de Grischa Asagaroff se révèle du vrai théâtre, efficace.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 30 avril 2008

par Pierre-René SERNA

Fidèle à sa politique innovante, le Capitole de Toulouse apporte sa pierre à la réhabilitation – destinée à perdurer – d’un grand génie de l’art lyrique : Wolf-Ferrari. Avec une de ses œuvres emblématiques, I Quattro Rusteghi.

Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1946), est un compositeur hors normes. Déjà de par ses origines, mi-allemandes, mi-italiennes (tout comme Busoni, avec qui il présente certaines correspondances) ; et c’est ainsi que sa carrière se partagera entre ces deux pôles, et que ses œuvres seront créées à la Scala ou à Rome, mais aussi à Munich et à Berlin. Pour autant ses li-vrets d’opéras sont pour la plupart en italien, et Goldoni l’un de ses inspirateurs les plus constants.
Mais c’est par son langage qu’il se distingue essentiellement : contemporain de Strauss, de Schoenberg, de Puccini et de Debussy, il tourne le dos à toute l’esthétique post-romantique comme au vérisme et à l’impressionnisme, et comme au point commun qui les réunit : la dissolution de la musique dans l’alibi dramatique.

« I Quattro Rusteghi », avec Marta Moretto (Margarita) et Roberto Scandiuzzi (Lunardo).
Crédit photo : Patrice Nin

Impertinence
À une époque où la forme fermée n’est plus en vigueur, où les airs et ensembles sont exclus au profit d’un arioso qui les dissout, il remet à l’honneur la primauté du chant, dans une écriture savante qui ne pâlit pas, bien au contraire, face à celles de ses contemporains. L’après-guerre et ses oukases esthétiques ne lui pardonneront pas cette impertinence ; il n’est que de lire Adorno à cet égard. Mais notre époque récente, et tout dernièrement les plus grandes scènes lyriques, ont su lui donner la place qui lui revient : avec Stravinsky, et dans un autre registre son Rake’s progress (voir à ce propos, dans ce même numéro de Scènes Magazine, l’écho du spectacle au palais Garnier parisien), le digne représentant d’un art lyrique qui trace sa route hors des sentiers à sens unique (balisés par Wagner dans ce cas).

Imbroglio
Les quatre Rustres (1906) appartiennent à ses débuts lyriques, et marquent d’emblée les options qui seront celles de sa postérité, avec pour acmé la Vedova scaltra (vue il y a peu à Montpellier, autre scène imaginative). La musique suit fidèlement la trame de Goldoni, celle de quatre vieux barbons (notre temps dirait “ machos ”) qui s’obstinent à vouloir faire de leurs épouses de serviles servantes. Mais ces dernières l’emporteront, évidemment. Nous sommes donc dans le marivaudage ; mais comme chez Shakespeare, la légèreté est souvent ce qu’il y a de plus profond. L’imbroglio est prétexte à des ensembles échevelés et à un chant toujours souverain, mais serti d’une orchestration d’un complet raffinement : un Rossini du XXe siècle.
À Toulouse, dans l’acoustique favorable du Capitole, les ingrédients prennent. La mise en scène de Grischa Asagaroff est du vrai théâtre, avec des personnages vigoureusement campés (dans cette Belle Époque qui a vu la création de l’œuvre), le trompe-l’œil d’une Venise évocatrice et quelques images rêveuses (puisées à la Commedia dell’arte). Immédiatement efficace. Ajoutons l’abattage de chacun des intervenants, et la soirée passe comme un éclair. D’autant que vocalement, l’adéquation est pareillement de mise. Sous la férule d’un Roberto Scandiuzzi irrésistible de présence et d’émission, Paolo Rumetz, Carlos Chausson et Giuseppe Scorsin composent un quatuor de basses rustiques et caustiques. Mais leur réplique féminine ne leur cède en rien, par les voix fermes de Marta Moretto, Chiara Angella, Daniela Mazzucato et Diletta Rizzo-Marin. Les deux ténors, et bellâ-tres de l’histoire, s’en tiennent à des voix frêles qui ne mettent que mieux en valeur l’inconsistance de leurs personnages.
Du côté de l’orchestre, dirigé par Daniele Callegari, petite déception toutefois : manque ce quelque chose qui porterait la virevolte instrumentale, l’élan et la montée en sauce, et ce malgré de jolies couleurs comme lors les deux accords qui closent chacune des parties.

Pierre-René Serna