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A Strasbourg
Strasbourg : Musica

Édition en demi-teinte pour le récent Musica.

Article mis en ligne le novembre 2008
dernière modification le 12 décembre 2008

par Pierre-René SERNA

Les grandes créations maison se sont faites rares, greffées de situations ambiguës : foin de la collaboration avec l’Opéra du Rhin ! dont l’opéra de Benoît Mernier, Frühlings Erwachen, se retrouve hors programmation (et même annulé, pour d’autres motifs, lors sa dernière représentation à Mulhouse ; mauvais signe !), et une fin de festival un peu en queue de poisson, où est donnée subrepticement dans l’après-midi la pièce d’Heiner Goebbels, I went to the house but did not enter, alors que le récital d’un chanteur de rock trône en soirée. Ou, quand la musique contemporaine s’égare…

Au chapitre de l’ultime jour de Musica, outre l’incursion dans la variété précitée, les manifestations se succèdent presque sans discontinuer. De ce point vue, Musica tient le cap avec ces journées marathon. Petit concert en matinée avec les jeunes espoirs de la musique d’aujourd’hui par l’Académie Opus XXI du Conservatoire de Lyon sous la baguette assurée de Fabrice Pierre. Peu à retenir, si ce n’est les noms de la Lithuanienne Ruta Paidere, pour une page d’un sage chatoiement, et de l’Allemand Jan Feddersen, pour un Sextett post-spectral. Le début d’après-midi est plus gratifiant avec un hommage à Gérard Grisey, pour le dixième anniversaire de sa disparition ; Talea et Vortext Temporum sont deux classiques du langage dit spectral, œuvres à la fois profondes et d’une vraie séduction sonore. Tombeau in memoriam Gérard Grisey, de Philippe Hurel, constitue un judicieux complément de programme, où à travers l’hommage du disciple au maître perce une personnalité neuve digne de la référence. Excellente participation de l’Ensemble In Extremis, pour ces œuvres qui exigent virtuosité et sentiment, sous la direction de Tito Ceccherini.

I Went to the House…
Mais le morceau de choix est réservé pour la dernière pièce d’Heiner Goebbels, en création française après Édimbourg et Amsterdam. Comme toujours chez Goebbels, la surprise est de la partie. Voilà un artiste qui sait se renouveler, quand bien même sa touche demeure reconnaissable. I went to the house but did not enter raconte… ou plutôt ne raconte rien. Il s’agit de la juxtaposition de quatre textes, de T. S. Eliot, Maurice Blanchot (auteur dans la lignée structuraliste chère à Derrida), Kafka et Beckett. Quatre écrivains d’esthétiques et d’époques dissemblables, seulement réunis, ici, par une narration aussi précise que dépourvue d’expression.

« I Went to the House but Did Not Enter » de Heiner Goebbels.
Festival MUSICA 2008. Copyright : Philippe Stirnweiss

Comme il est de règle, Goebbels conçoit tout : la trame, la musique et la mise en scène. Défilent trois moments et trois décors : un salon (ou une antichambre ?) sommairement meublé, une maisonnette de banlieue au bord d’une route (toute simple et toute de brique, comme il s’en trouve dans le Nord de l’Europe) et une chambre d’hôtel stéréotypée (à la montagne ?). Évoluent, ou plutôt errent dans des occupations incertaines, quatre personnages masculins : les représentants en costume de ville du Hilliard Ensemble (plus habitué aux musiques médiévales et Renaissance). Les textes qu’ils servent sont chantés a capella, en solo ou en quatuor vocal, ou dits d’une voix indifférente. Le temps s’écoule, entre absurde et angoisse, où le non-dit n’aboutit à rien de formel. Le rideau se baisse une dernière fois, sans qu’une action ait été amorcée, sans autre message que la description scrupuleuse d’instants croisés au-dessus d’un vide existentiel.
Dit ainsi, cela semble d’un ennui mortel. On ne s’amuse guère, il est vrai (si ce n’est pour quelques spectateurs, dont le rire déplacé masque le désarroi). Mais il faut savoir, en ces temps télévisuels, ne pas tout prendre au dérisoire. C’est ce que fait Goebbels, qui propose une méditation sur l’intimité de gens et de gestes ordinaires. Une sorte de temps suspendu, qui invite à réfléchir tout en portant à rêver.
Car il faut compter sur une mise en place d’une absolue rigueur, parsemée de traits propres à susciter l’imagination : des lumières blafardes et grises comme leurs décors, des poses et gestes méticuleux, des bruits parasites divers mais discrets, extérieurs ou intérieurs : un aspirateur ou des pétarades lointaines de motocyclettes, ou même un souffle de ventilation quand la porte des toilettes de chambre d’hôtel s’entrouvre (véritable trouvaille de génie ! symptomatique de ces bruits sous-jacents et envahissants de notre époque). Ce climat sonore électroacoustique vient en appoint des passages parlés ou chantés, d’une écriture musicale lancinante, traduits avec le savoir-faire vocal sans pareil du Hilliard.

Pierre-René Serna

Spectacle repris du 9 au 22 mars 2009 au Théâtre Vidy-Lausanne.