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Opéra du Rhin
Strasbourg : “Lucia di Lammermoor“

L’Opéra du Rhin a mis dans le mille avec sa nouvelle production de Lucia di Lammermoor.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 20 juillet 2007

par Eric POUSAZ

L’Opéra du Rhin a mis dans le mille avec sa nouvelle
production du chef-d’œuvre de Donizetti : la distribution est quasiment parfaite alors que la mise en scène, d’une austérité savamment calculée, met l’accent sur l’essentiel sans jamais tomber dans le décoratif pur. A la fin du spectacle, le public, vivement ému, a eu l’impression d’avoir redécouvert un ouvrage qu’il croyait pourtant connaître par cœur…

Stein Winge est un metteur en scène qui ne craint pas de bousculer les habitudes. On se souvient de sa Walkyrie ou de son Boris Godounov genevois, deux œuvres qu’il avait magnifiquement rendues à leur grandeur première. Ici, il se contente d’un énorme panneau pivotant qui sculpte l’espace en le structurant de façon sans cesse renouvelée ; noir d’un côté, brillant tel un miroir de l’autre, il implique subtilement le public en le renvoyant à sa condition de voyeur lorsque ce dernier se découvre présent en toile de fond de ce drame qui n’a plus d’écossais que les noms des protagonistes. Les costumes modernes achèvent d’actualiser un propos qui n’a rien perdu de sa vigueur en un temps où l’oppression de la femme par une société machiste fait encore trop souvent la une de la chronique des faits divers sordides. On ne peut que regretter la faute de goût de la responsable des costumes qui a affublé les dames du chœur de fripes d’une indicible laideur…

Giuliano Cavella dirige avec rapidité et une certaine brusquerie un Orchestre Symphonique de Mulhouse bien disposé mais aux sonorités, il est vrai, assez frustes. Il a choisi une version totalement intégrale de la partition et a même respecté le vœu du compositeur qui demandait l’utilisation d’un harmonica de verre aux sons si étranges (et non de la flûte, comme on l’entend trop souvent dans les théâtres d’aujourd’hui, récalcitrants à utiliser un instrument si exotique), pour accompagner le long air de la folie de Lucia.

La distribution, encore relativement jeune, compense un (tout) relatif manque d’expérience par un engagement tant vocal que scénique du meilleur aloi. Ainsi Tatiana Lisnic manque-t-elle encore d’assurance dans le suraigu, mais sa superbe voix lyrique et son jeu finement différencié font de sa Lucia une des héroïnes les plus touchantes qui se puisse imaginer. Le chant conquérant et puissant de Joseph Calleja fait d’Edgardo un amant malheureux plus violent que de coutume, mais cela s’intègre parfaitement dans ce concept de mise en scène ; le timbre est corsé, l’aigu facile et une excellente technique donne à son médium et à son grave un poids suffisant pour doter le personnage d’une assise impressionnante. Le baryton impérieux de Marc Laho dans le rôle ingrat du frère castrateur et la basse prenante de Giuseppe Giuseppini en Prêtre faussement onctueux complètent idéalement ce plateau festif.

Les chœurs, scrupuleusement préparés par Michel Capperon, font de leur mieux pour éviter le piège de la figuration gratuite et y parviennent sans peine par la qualité et l’homogénéité des timbres dans chacun des registres. A l’arrivée, le public a ovationné à juste titre une superbe représentation d’un ouvrage dont même les grandes maisons d’opéra n’arrivent pas toujours à offrir une interprétation aussi décapante et adéquate sur tous les plans.

Eric Pousaz