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Opéra du Rhin
Strasbourg : “Le Crépuscule des dieux“

Un final de Tétralogie wagnérienne en point d’orgue.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 28 août 2011

par Eric POUSAZ

Il aura fallu cinq ans à l’Opéra du Rhin pour construire sa Tétralogie wagnérienne. L’apothéose finale qu’est Le Crépuscule des dieux, annoncée comme telle par l’affiche du spectacle, a pourtant franchement déçu.

L’esthétique des décors de Rae Smith donne dans le modernisme des Années cinquante ; les lieux scéniques sont ‘définis’ par des pans de murs craquelés placés de guingois sur un sol bosselé alors qu’un cyclorama omniprésent sert de support à diverses projections manquant de netteté ; de plus, l’utilisation constante de masques à l’esthétique puérile ajoute à la confusion visuelle sans faire réellement sens. Même les coups de théâtre visuels attendus se font rares : l’embrasement du final fait ainsi sourire avec ses quelques fumigènes vaguement éclairés de rouge qui noient dans la brume des débris de masques jonchant le sol. La mise en scène de David McVicar se montre soucieuse de raconter clairement le drame à un public qui n’en connaîtrait pas les divers épisodes, mais faut-il que cela se fasse sur un mode aussi minimaliste ?

« Le Crépuscule des dieux », Acte I
© Alain Kaiser

La direction d’acteurs est pâle et manifeste sa plus grande originalité dans l’obligation où elle met les acteurs d’arpenter le plateau en tous sens le plus souvent possible. La grande scène chorale et le trio de la fin du 2e acte restent incompréhensibles à qui n’est pas familier de la situation car les personnages se regardent peu et les constants accès d’hystérie de Brünnhilde finissent par perdre toute signification. Le chœur des hommes de Hagen, accompagnés d’un ballet de moines chinois de Shao-Lin armés de lourds bâtons qui martèlent la musique d’un bruit d’enfer, révèle crûment le manque d’inspiration d’un metteur en scène qui ne se soucie même pas de confier aux choristes le rôle marquant que demande la situation en les réduisant à faire de la figuration à l’arrière-scène sous un costume qui gomme jusqu’à la forme de leurs corps. On l’aura compris : ce n’est pas à Strasbourg qu’il faut se rendre pour découvrir de nouveaux angles de lecture de cette somme dramatique qu’est le Ring : le spectateur doit se contenter d’une illustration naïve et accepter une esthétique dépassée depuis longtemps.

Exigences vocales
Les formidables exigences vocales et instrumentales de ces quatre heures et demie de musique sont diversement satisfaites ; l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, sous la direction un brin molle de Marko Letonja, a bien de la peine à trouver ses marques : faux départs, textures dangereusement relâchées, attaques approximatives et parfois détonantes des vents et des cuivres donnent à penser que cet ensemble n’était pas à son affaire en ce soir de première et aurait eu besoin de quelques répétitions supplémentaires..Le chef porte toute son attention aux grands moments mais néglige la fluidité du discours dans les dialogues qui sont souvent enrichis de pauses dont la légitimité musicale ne saute pas aux yeux. Sa prestation est dans l’ensemble honorable mais rend assez peu compréhensibles les tonnerres d’applaudissements qui ont salué son arrivée sur scène enfin de spectacle.

« Le Crépuscule des dieux » , Acte III
© Alain Kaiser

A Jeanne-Michèle Charbonnet, l’Elektra genevoise de l’automne passé, échoit le redoutable honneur d’endosser l’habit de Brünnhilde, un des rôles les plus éprouvants de tout le répertoire par sa longueur et par la vaillance vocale requise. Elle s’en sort avec les honneurs, au prix parfois, il est vrai, de passages détimbrés ou de notes hautes conquises de haute lutte avec quelques dérapages d’intonation à la clef. Quand le chant devient aussi souvent cri que ce soir-là, il est légitime de se demander si l’artiste ne présume pas trop de ses forces. Lance Ryan en Siegfried ne connaît pas ces problèmes : le chanteur dispose en effet d’un timbre infatigable, éclatant de bout en bout, et son interprétation culmine sur le sans-faute impressionnant du long récit qui précède l’ultime évocation à Brünnhilde. Daniel Sumegi est un Hagen aux graves insondables et au chant idéalement fruste, Bork un Günther plus effacé mais remarquablement subtil dans les nuances qu’il sait donner à son rôle complexe de lâche prêt à tous les compromis ; Nancy Weissbach prête à Gutrune son timbre curieusement sombre qui ajoute un poids dramatique certain à ce personnage capital mais qui reste en marge des grands moments musicaux ; Hanne Fischer, une Waltraute plutôt trémulante et Oleg Bryjal, un Alberich au potentiel vocal formidable complètent cette distribution où les trois Filles du Rhin et les trois Nornes tirent leur épingle du jeu dans marquer les esprits. (Représentation du 25 février)

Eric Pousaz