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A l’Opéra du Rhin
Strasbourg : “La Belle Hélène“

L’Opéra du Rhin offre une nouvelle production d’un chef-d’œuvre.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 14 juin 2007

par Eric POUSAZ

Les amateurs d’Offenbach - et ils sont nombreux ! - sont conviés en Alsace à une nouvelle production d’un des chefs-d’œuvre de l’amuseur public français no. 1 qu’a été Offenbach au XIXe siècle : “La Belle Hélène“.

Marianne Clément, qui signe là sa cinquième mise en scène d’opéra, a voulu changer radicalement la donne et réécrire le livret pour rendre les allusions mythologiques plus compréhensibles au public actuel qu’elle juge peu au fait des aventures galantes des dieux grecs. Elle a choisi la grande période du cinéma muet américain et imaginé le tournage d’une superproduction dans les studios de la Ménélas & Co. Or, les choses ne se déroulent pas selon le programme prévu car malheureusement l’argent vient à manquer ; Calchas - le metteur en scène maison - pique alors quelques colères homériques (!) d’autant plus que les inévitables intrigues de coulisses menacent de faire capoter tout le projet. Hélène, la femme du producteur, s’entiche d’un jeune acteur recruté au dernier moment pour jouer le rôle de Pâris, et ainsi de suite. Si l’aspect visuel séduit sans réserve (les décors de Julian Hansen, tout en noir et blanc, se métamorphosent à une vitesse quasi cinématographique, alors que les costumes sont un véritable régal pour l’œil), force est de reconnaître que l’intrigue elle-même ne gagne pas en clarté, contrairement aux souhaits de la metteuse en scène. En effet, les limites entre fiction et réalité s’estompent toujours plus : pourquoi, par exemple, conserver les noms grecs aux personnages et lieux de la région californienne ? Pourquoi certains vocables vieillis de l’original comme ‘esquif’, ou ‘augure’ ne sont-ils pas remplacés ? Et pourquoi certaines références classiques - du style ‘l’embarquement pour Cythère’ - ne sont-ils pas modernisés ? Au final, le spectateur se trouve confronté à une somptueuse réalisation scénique qui ne le fait que trop rarement rire. Or le rire est pourtant bien le but premier de tout spectacle construit autour de la musique d’Offenbach, non ?
Musicalement, le public est gâté. D’abord par les choix du chef Claude Schnitzler qui nous offre une version inhabituellement complète de cette partition miraculeuse ; on a ainsi droit à l’entier de la scène du Jeu de l’Oie (une partie de poker, en fait), à la berceuse enamourée de Pâris avant le duo de la séduction au II, lui aussi donné dans sa version intégrale… Plus important encore : l’Opéra du Rhin n’a pas lésiné sur l’engagement des chanteurs et offre une des distributions les plus équilibrées et les plus somptueuses qui se puisse imaginer. Stéphanie d’Oustrac dans sa prise de rôle est parfaite, car dotée de tous les atouts musicaux et avantages physiques que l’on associe à cet emploi. Yann Beuron, déjà présent dans l’inoubliable série de représentations de la mise en scène de Laurent Pelly au Châtelet à Paris, trouve toujours le ton juste pour rendre juste assez canaille le personnage de Pâris sans sombrer dans la vulgarité ; on lui pardonne ainsi d’autant plus volontiers quelques aigus tirés avec peine vers le haut… Le superbe Ménélas bien chantant de Rodolphe Briand, le brillant Calchas de Frank Leguérinel et l’Agamemenon plus grand que nature de René Schirrer forment un trio idoine pour la grande scène ‘tragique’ du III. Aguicheur comme il faut, l’Oreste canaille de Blandine Staskiewicz ; tonitruants mais vocalement peu assurés les deux Ajax de Roger Padullés et Carlos Aguirre ; agréablement retenu l’Achille d’Olivier Dumait… Dans la fosse, Claude Schnitzer entraîne avec verve sinon précision un Orchestre de Chambre de Mulhouse décidé à faire un sort à chaque plaisanterie musicale et imprime un rythme irrésistible à un ensemble qui rend parfaitement honneur à une musique pas si facile d’exécution qu’il y paraît.

Eric Pousaz