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Opéra du Rhin, Strasbourg
Strasbourg : “Iphigénie en Aulide“ & “Die Walküre“

L’Opéra du Rhin a mis à l’affiche Iphigénie en Aulide de Gluck, et poursuit sa nouvelle production de la Tétralogie avec La Walkyrie.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 17 décembre 2011

par Eric POUSAZ

L’Opéra du Rhin a eu l’heureuse idée de mettre à l’affiche Iphigénie en Aulide, un titre bien moins joué qu’Iphigénie en Tauride. Les espoirs étaient à la hauteur de l’originalité du projet ; malheureusement, une mise en scène indigente et une distribution calamiteuse ont eu raison de ce qui reste pourtant un des grands chefs-d’œuvre méconnus de Gluck.

La perfection glacée du rideau de scène d’André Barbe, superbement éclairé par les projections mouvantes de Guy Simard, justifie, au départ, toutes les attentes. Dès sa disparition dans les cintres, c’est la douche froide. On retrouve les inévitables soldats en tenue de combat tout droit issus du conflit bosniaque, l’oracle en complet-veston affublé du non moins inévitable attaché-case et ces choristes et figurants aux mouvements convenus censés éclairés l’action scénique de commentaires sur les motivations des personnages. Ainsi, sur la musique joyeuse du triomphe final – dans cette version, Iphigénie est sauvée in extrémis du sacrifice par l’intervention de la déesse - , le spectateur assiste médusé au carnage d’Achille tué par un Troyen, d’Agamemnon trucidé par Clytemnestre et de cette dernière égorgée par Oreste, ici âgé de douze à treize ans. Dans le genre stupide, on fait difficilement mieux !

« Iphigénie en Aulide »
© Alain Kaiser

Le chant ne nous dédommage pas de ce ratage scénique : l’Iphigénie criarde de Cassandre Berthon n’aurait même pas assez de voix pour rendre justice à un petit rôle de soubrette dans une opérette française alors que la Clytemnestre d’Annette Seiltgen manque de style, de classe et de coffre. Chez les hommes, les choses s’arrangent un peu si l’on excepte l’Achille égosillé, sans aigus ni graves, de Avi Klemberg et le Patrocle grasseyant de Manuel Betancourt. Patrick Bolleire incarne en effet un Calchas posé, à la vocalité assurée et à la diction toujours parfaitement compréhensible. Andrew Schroeder est, quant à lui, un Agamemnon de choix qui compense la relative aridité de son timbre par une magnifique fourchette de nuances capables d’irriguer le texte de superbes prolongements dramatiques, comme le prouve sa longue scène où il ne peut se résoudre à sacrifier sa fille. Le chœur, en sous effectif, fait de son mieux pour donner du poids aux scènes d’ensemble alors que l’orchestre, sous la direction passe-partout de Claude Schnitzler, manifeste une coupable indifférence au style et à la dynamique sonore d’un accompagnement ici taillé à la hache dans un continu et ennuyeux mezzo forte.

Die Walküre
L’Opéra du Rhin construit patiemment sa nouvelle production de la Tétralogie de Wagner au rythme d’une mise en scène par année. Avec La Walkyrie, l’entreprise est à mi-chemin et laisse déjà entrevoir le parti pris du metteur en scène anglais David McVicar : dans les décors simples, d’une esthétique assez moderniste, de Rae Smith, il entreprend de transcrire les grands traits du scénario à la façon d’un manga d’atmosphère fantastique, impression encore renforcée par les costumes japonisants que portent les chanteurs.
Ennemie de toute relecture engagée, cette approche séduit par sa grandeur, mais déçoit par sa trop grande propension au plagiat : le rocher de la Walkyrie évoque en effet sans complexe le masque mortuaire utilisé par Syberberg pour sa grandiose réinterprétation cinématographique de Parsifal (avec l’inoubliable Armin Jordan dans le rôle d’Amfortas) alors que le meurtre ignominieux de Siegmund rappelle directement l’effroyable boucherie mise en scène par Parice Chéreau dans son Ring du centenaire à Bayreuth. Et l’on pourrait continuer longuement avec le mur de métal argenté qui barre la scène comme c’était déjà le cas dans la version du Parsifal voulue par Kupfer à la Staatsoper de Berlin ou le plan incliné du 2e acte qui, lui, se réfère au plateau tournant de Götz Friedrich pour son Ring londonien à Covent Garden. Ajoutez à cela quelques irrésistibles touches de kitsch, comme ces figurants à torse nu affublés d’une tête de cheval métallique et de prothèses à ressorts qui encombrent bruyamment la scène pendant tout le début du 3e acte, et vous aurez une idée de cette réalisation qui pêche avant tout par son refus d’adopter un parti pris de relecture clair et lisible en chaque instant.

« Die Walküre »
© Alain Kaiser

La musique, elle, est royalement servie par un orchestre rutilant que dirige Marko Letonja, un chef qui a été pendant cinq ans le directeur général de la musique à l’Opéra de Bâle. Plus intéressé à la mise en perspective subtilement différenciée du détail que par les grands effets de manches, le chef slovène anime le drame de tensions sous-jacentes qui irriguent les longs récits d’une impulsion savamment calculée. Néanmoins, la lenteur des tempi choisis menace à chaque instant de la faire retomber aux moments inopportuns, comme par exemple dans la longue séquence de l’annonciation de la mort de Siegmund qui se mue ici en un interminable arc mélodique d’une désespérante monotonie.
La distribution est constituée de chanteurs encore jeunes qui peinent à économiser leurs forces. Au cours de cette sixième représentation de la série, les dieux avaient l’air bien fatigués, à commencer par le Wotan de Jason Howard, puissant, mais inégal, et dépassé par les terribles exigences vocales de ses adieux à Brünnhilde. Cette dernière, incarnée par une ardente Jeanne-Michèle Charbonnet (qui fut Isolde à Genève dans l’inoubliable mise en scène d’Olivier Py), peine également à rendre justice à la jeunesse du personnage avec un timbre qui enfle certes avec une rare facilité, mais perd de sa stabilité dans les moments où la tendresse l’emporte sur l’envolée héroïque. Il en va de même pour la Sieglinde au timbre ingrat de Orla Boylan qui se réfugie dès que faire se peut dans un fortissimo d’une remarquable intensité, certes, mais camoufle à grand peine un vibrato devenu incontrôlable dans la scène d’amour au 1er acte. Grandiose, par contre, le Siegmund de Simon O’Neill dont le timbre clair de ténor se charge d’une couleur sombre dans le grave qui lui permet de passer la rampe avec une facilité déconcertante. Clive Bayley est un Hunding menaçant, d’une noirceur idoine dans ce rôle monolithique, alors que Hanne Fischer impressionne autant par la clarté de sa diction que par la puissance d’un timbre qui ne connaît aucune défaillance. Excellent, l’octuor des Walkyries fait de son mieux pour noyer le bruit de sabots gênant des figurants caracolant dans leurs dos et y parvient avec un brio certain. La suite de l’entreprise est annoncée pour le début de l’an prochain…

Eric Pousaz