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Opéra du Rhin
Strasbourg : “Ariadne auf Naxos“

Déception : l’orchestre n’est pas à la hauteur, et la mise en scène laisse à désirer.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 23 mai 2010

par Eric POUSAZ

Comment a-t-on pu avoir l’idée de programmer une partition aussi délicate au plan instrumental en la confiant à l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, un ensemble fort médiocre aux cordes acides et revêches que le chef suisse Daniel Klajner, qui
en est pourtant le directeur artistique, ne parvient même pas à faire jouer avec enthousiasme ?

Strauss paraissait en tous les cas un bien piètre coloriste en cette triste soirée où couacs et dérapages divers entre les pupitres étaient monnaie courante. Sur le plateau, les choses s’arrangeaient pourtant, si l’on excepte un catastrophique trio criard de naïades aux timbres mal accordés.

Christiane Libor est une Ariadne au timbre voluptueux dont le grave ne devrait pas tarder à s’épaissir quelque peu pour passer plus facilement la rampe ; mais elle dispose déjà d’aigus puissants et soyeux et sait enrichir son chant de ces nombreuses moirures qui caractérisent les grandes interprètes de ce rôle en or. Michael Putsch domine avec une aisance enviable l’impossible rôle de Bacchus grâce aux qualités impressionnantes d’un timbre large et puissant mais jamais gras. Le Compositeur d’Angélique Noldus est lui aussi de tout premier ordre : le timbre est inhabituellement clair et ‘sopranisant’ dans cet emploi, mais le jeu scénique ardent et juvénile de cette artiste d’exception ainsi que son art du chatoiement vocal lui permettent de rendre le travesti crédible malgré cet excès de féminité. Indisposée, Julia Novikova a dû être doublée par Mélanie Boisvert dans le redoutable rôle de Zerbinetta. Présente sur scène, la titulaire aphone a offert une démonstration de sérieux professionnel en jouant et mimant le personnage avec un tel accent de vérité que le spectateur en oubliait la chanteuse qui lui prêtait sa voix ; Mélanie Boisvert, appelée à la rescousse le jour même, n’a pourtant fait qu’une bouchée de ce rôle terrifiant en gratifiant le public d’un feu d’artifice vocal dans le suraigu qui la projette déjà au panthéon des grandes interprètes de cet emploi.
Le bon quatuor de comédiens italiens, composé de Thomas Oliemans, Xin Wang, Andrey Zemskov et Enrico Casari, était complété par le Maître de Musique bien en voix de Werner Van Mechelen et le non moins convaincant Maître à danser croqué avec un art consommé de la comédie par Guy de Mey.

« Ariadne auf Naxos » avec Christiane Libor, Julia Novikova et le quatuor.
Photo Alain Kaiser

La mise en scène d’André Engel convainc dans le Prologue, si l’on excepte l’idée bizarre de confier le rôle du Majordome à une actrice qui se croit obligée de hurler ses répliques pour marquer le mépris que lui inspire le monde des artistes. Sinon, le va-et-vient des chanteurs et du personnel de maison est réglé avec un art consommé du coup de théâtre et mérite tous les éloges. Hélas ! Dans l’opéra à proprement parler, le metteur en scène s’empêtre dans une triple mise en abîme rendant incompréhensible l’action scénique au point que le commanditaire de l’ouvrage, présent sur scène en début de représentation, quitte avec raison les lieux avant le voluptueux duo d’Ariadne et Bacchus…

Le spectacle se donne comme une répétition où les acteurs portent tantôt leurs costumes de scène, tantôt leurs habits de ville. L’intrigue est systématiquement reléguée à l’arrière-plan au point de rendre ennuyeuses, voire inutilement vulgaires, les interventions des comédiens italiens. Ce calamiteux aveu d’impuissance de la part d’un metteur en scène par ailleurs respecté gêne d’autant plus que ce dernier, dans le programme, se fend d’une analyse alambiquée du projet artistique de Strauss ! Le procédé eût dû mettre la puce à l’oreille au spectateur averti : les exégèses complexes dans les programmes de soirée camouflent souvent une indigence de vue qui se venge cruellement sur le plateau…

Eric Pousaz