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Salzbourg : “Benvenuto “ embrouillé
Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 28 septembre 2007

par Pierre-René SERNA

Le dernier festival de Salzbourg sort des sentiers battus. Et c’est ainsi que Benvenuto Cellini, Eugène Onéguine et Armida font une entrée remarquée, mais avec des succès divers.

Événement sans précédent, la première à Salzbourg de Benvenuto Cellini (donné pour six représentations à guichet fermé) s’est avérée, au bout de compte et de façon désolante, frustrante. La faute en revient essentiellement à une mise en scène d’une turpitude et d’une inanité affligeantes, mais aussi certainement au manque patent de préparation musicale. Et l’une comme l’autre, l’une pesant sur l’autre, ont abouti à une réalisation contestable.
Entre un aller-retour de Madrid à Saint-Pétersbourg, et de Saint-Sébastien à Stockholm (pour un autre Benvenuto !), Valery Gergiev débarque de deux avions pour diriger les représentations des 10 et 15 août. Des répétitions insuffisantes, en raison des circonstances, depuis les voyages du maestro à ceux des pupitres interchangeables de la Philharmonie de Vienne, conduisent aux flottements qui ont alors émaillés ces exécutions. À la charge aussi de cette impréparation, les choix incertains dans une partition qui, entre toutes, réclame un méticuleux travail de réflexion préliminaire. Le texte de référence s’apparente ici grosso modo à la version dite “Paris 1”, telle que l’édition Bärenreiter l’a consacrée, c’est à dire l’état achevé par Berlioz en mars 1838. Option judicieuse a priori. Mais c’est sans compter sur d’horribles mutilations, surtout dommageables au premier tableau du second acte.
Évoquons vite une mise en scène (signée Philipp Stölzl) où la boursouflure le dispute à la vulgarité, accumulation d’effets gratuits (robots, hélicoptère, papamobile… et autres gadgets mal ressortis de quelque superproduction hollywoodienne) dans un galimatias d’où aucun fil dramatique ne ressort. À sauver du désastre, de rares idées (la complicité ambiguë entre le pape et Cellini) et la scène de grève ouvrière assez prenante. D’une représentation à l’autre, la restitution musicale s’embourbe, des couacs de l’orchestre aux décalages du chœur (de l’Opéra de Vienne), ne trouvant souffle et unité que passé l’entracte ; la distribution vocale, elle, va mieux s’affirmant : Cellini de bonne facture (Burkhard Fritz), excellent Ascanio (Kate Aldrich) et Teresa d’envergure (magnifique Maija Kovaleska), en complicité avec des comparses crédibles jusqu’au moindre rôle. Reste que l’on attendait plus et mieux de Gergiev, un chef tout indiqué pour Berlioz, compositeur pour lequel il s’est pris d’engouement, au point de colporter Benvenuto sur tous les horizons – sa venue est annoncée pour la saison 2008-2009 à l’Opéra de Paris.
Dans ce même Grosses Festpielhaus, tout autre surgit Épisode de la vie d’un artiste (la Symphonie fantastique et sa suite Lélio, monodrame lyrique associant pages musicales et texte déclamé). Et tout autres sont Riccardo Muti et l’Orchestre philharmonique de Vienne – si tant est qu’il s’agisse bien de la même phalange, puisque nombre d’instrumentistes diffèrent de ceux de la fosse de Benvenuto. Précision des attaques, délié d’ensemble, couleur générale (les cordes !), Berlioz tient ici sa revanche. Derrière la transparence d’un rideau de tulle, et avec l’appoint de deux excellents chanteurs (Michael Schade et Ludovic Tézier) et du parfait (cette fois) Chœur de l’Opéra de Vienne, les enluminures musicales de Lélio prennent une teinte mordorée, songe merveilleux et luxueux. Et n’était un Gérard Depardieu bafouilleur, rarement le spectacle de ce captivant diptyque aura rencontré plus éloquente illustration.

Onéguine ingénieux
La Philharmonie de Vienne, décidément douée d’ubiquité, est pareillement dans la fosse d’Eugène Onéguine, qui fait également son apparition à Salzbourg. Mais ici, aux ordres de Daniel Barenboïm, la célèbre formation se fait douce caresse ou emportement souterrain, dans une couleur éminemment chantante. Le plateau vocal n’est pas en reste, du toujours captivant Peter Mattei (Onéguine) à la pleinement lyrique Anna Samuil (Tatiana), en passant par la pertinente Ekaterina Gubanova (Olga). Andrea Breth signe une régie soignée, qui transpose intelligemment l’action dans la Russie de l’après soviets, avec des situations impeccablement réglées. Le drame de Tchaïkovski est là, nu et désespéré, et sa vérité n’en est que plus éternelle.

Armida. Copyright Monika Rittershaus

Armida
C’est la première fois qu’un opéra de Joseph Haydn est donné dans la patrie de Mozart. Quoi qu’il en soit, la réussite est indéniable, même si Armida paraît bien plus convenu que les opéras pareillement débités à la chaîne du contemporain Haendel. Le livret inspiré du Tasse, et qui en inspirera d’autres, de Gluck au même Haendel, égraine les éternels ressorts (rivalité amoureuse sur fond de conflit entre Chrétiens et infidèles), pour enfiler une suite d’arias da capo. Mais ces derniers sont parfaitement lancés par Annette Dasch, Armida d’une belle vaillance et même si certains ornements lui échappent, Elena Tsallagova, Zelmira aux jolies notes filées, et Michael Schade, Rinaldo de judicieuse technique mixte. Ivor Bolton conduit l’Orchestre du Mozarteum avec constance, si ce n’est diversité. La mise en scène de Christof Loy joue intelligemment de plans inclinés sur la petite scène du Manège.

Concerts
Le même Mozarteum Orchester se retrouve tout transfiguré, précis, coloré et mouvant, sous la baguette de Jesus Lopez Cobos. La zarzuela est à la fête au Grosses Festpielhaus, à travers des airs chantés avec une technique confondante par un toujours jeune Placido Domingo, dont les vertus vocales inentamées font un peu d’ombre, il est vrai, à celles encore vertes de la soprano Ana Maria Martinez.
Autre concert, en hommage au compositeur Scelsi dans la merveilleuse salle de la vieille université, avec trois instrumentistes talentueux, témoigne de l’ouverture du festival aux pages essentielles de la fin du siècle précédent. Comme le concert du quintette réuni par le violoniste Leonidas Kavakos, dans la non moins délicieuse salle du Mozarteum, avec le Quintette avec piano de Schnittke, qu’accompagne pour l’occasion le rare et sublime Quintette à cordes de Bruckner.

Pierre-René Serna