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Spécial Grand Théâtre
Richard Strauss / Hugo von Hofmannsthal

Quelques commentaires au sujet d’Elektra.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 20 juin 2010

par Claire BRAWAND

Premières impressions du compositeur : Lorsque je vis pour la première fois le génial poème de Hofmannsthal au Deutsches Theater avec Gertrud Eysoldt, je me rendis immédiatement compte qu’on pourrait en faire un livret merveilleux.

A la recherche d’un sujet : Elektra, oui ou non ?


Extraits de correspondance

Cher Monsieur von Hofmannsthal,
Berlin, 11 mars 1906
Mon envie de travailler sur Elektra est toujours d’actualité […]. Mais il y a une question à laquelle je n’ai pas encore fini de répondre : ai-je encore la force, après Salomé, de m’attaquer à un sujet à divers égards tellement similaire ou bien ne ferais-je pas mieux d’aborder cette œuvre dans quelques années ? Je me serai alors éloigné du style de Salomé. C’est pourquoi j’aimerais bien savoir, si vous n’avez pas autre chose pour moi sur le champ […]. Dans tous les cas, je vous demande instamment de me laisser la prérogative pour tout ce qui relève de la composition. Votre manière correspond tant à la mienne, nous sommes nés l’un pour l’autre et nous ferons certainement quelque chose de beau ensemble, si vous me restez fidèle.

Caricature mettant en scène Strauss et Hofmannstahl

Cher Monsieur,
Rodaun, 27 avril 1906

[…] Je dois vous dire que je serais très heureux, telles que je vois maintenant les choses, si vous estimiez possible de garder l’idée d’Elektra dont la ressemblance avec Salomé me paraît, après examen, insignifiante. (Soit, il s’agit dans les deux cas de pièces en deux actes, qui ont un nom de femme pour titre et pour époque l’Antiquité […] : mais je crois que la ressemblance s’arrête là.) Car le mélange de couleurs, l’atmosphère me semble dans les deux cas essentiellement différente. Dans Salomé, il y a tellement de pourpre, pour ainsi dire de violet, l’air y est lourd. Tandis que dans Elektra, c’est une combinaison de nuit et de jour, de noir et de clair. […] Mais loin de moi l’idée de vous rendre attrayant ce qui, l’espace d’un instant, a pu vous séduire. Je ne vois sinon pas quelle autre pièce je pourrais vous proposer qui vous donnerait matière à composer.

Anecdotes : Strauss raconte…
Lors d’une des premières répétitions d’orchestre, Schuch [le chef], qui était très sensible aux courants d’air, remarqua qu’une porte avait été laissée ouverte par une nettoyeuse à la troisième galerie du théâtre resté vide. D’un ton furieux il crie : « Que cherchez-vous là-bas ? » Je réponds du parterre : « Un accord parfait ! ».
Après une représentation à Bâle, on demanda à un brave Suisse si l’opéra lui avait plu. « Oh ! magnifique » – « Et la musique ? » – « La musique, je ne l’ai presque pas entendue ! » J’apprécie davantage ce genre d’auditeur que ces dilettantes toujours prêts à dénigrer et qui, finalement, n’ont quand même pas compris la musique.

Style chanté : Strauss versus Wagner
Seul le choix de Clytemnestre (qui n’était autre que la fameuse chanteuse wagnérienne Mme Schumann-Heinck) se révéla être un impair. Je déteste les vieilles stars, – et déjà à cette époque je me rendais compte combien mon style chanté diffère dans son essence même de celui de Wagner. Mon style chanté a le tempo du drame récité et entre souvent en conflit avec les figures et la polyphonie de l’orchestre. Seuls les chefs de premier ordre, qui connaissent suffisamment les lois du chant, savent harmoniser les différences dynamiques [de nuances] et motrices existant entre les acteurs et la baguette du directeur. La lutte entre la parole et le son a été dès le début le grand problème de ma vie et s’est terminée dans Capriccio par un point d’interrogation !

Jeanne-Marie Charbonnet sera Elektra dans la production de novembre 2010
© GTG

Témoignage d’Ernestine Schumann-Heinck : La chanteuse se souvient de la création de l’opéra le 25 janvier 1909 à Dresde.
C’était à Dresde et je me laissai convaincre de chanter le rôle de Clytemnestre dans Elektra : plus jamais ! Ce fut simplement horrible. Nous étions là, sur la scène, autant de femmes folles, oui vraiment, c’est le mot. […] Je l’ai dit à Strauss en personne. Sa musique ne peut que rendre fou un être humain normalement constitué. Il peut commencer une belle mélodie par exemple, pendant 4-5 mesures ; ensuite, c’est comme si cela lui faisait de la peine d’avoir écrit quelque chose de doux et charmant. Alors il introduit une dissonance, qui anéantit tout ce qui précède. En fait, il n’a pas besoin des chanteurs, car tout, la couleur, la texture, le tracé mélodique, est donné par l’orchestre.

Elektra dans l’œuvre de Strauss : bilan
Elektra est devenu un pilier dans la cathédrale, une somme – je voudrais presque dire : elle est à Salomé ce que Lohengrin, œuvre plus parfaite et d’un style plus harmonieux, est à l’essai génial qui se nomme Tannhäuser. Parmi mes ouvrages, ces deux opéras ont une place à part : j’ai exploré par leur truchement les confins les plus extrêmes de l’harmonie, de la polyphonie psychique (songe de Clytemnestre), de la réceptivité de notre ouïe moderne.

Claire Brawand