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Reims & Avignon : “Les Orages désirés“

Créé scéniquement à Reims, l’opéra de Gérard Condé a été repris à Avignon.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 24 avril 2009

par Pierre-René SERNA

Opéra de Gérard Condé sur un livret de Christian Wasselin, les Orages désirés racontent à leur manière, romancée et poétique, les douze à treize ans du jeune Berlioz. La création scénique s’est tenue au Grand-Théâtre de Reims, suivie dans la foulée d’une reprise à l’Opéra d’Avignon.

L’épisode napoléonien des Cent-Jours dessine la toile de fond de l’opéra, avec l’arrière-fond des Alpes, d’une Italie rêvée, des amours naissantes et de l’appel exalté de la musique. Christian Wasselin, dont les lecteurs de Scènes Magazine apprécient la signature, est un librettiste connaisseur comme peu de la vie de notre musicien, mais également un écrivain à la plume subtile, auteur d’ouvrages musicographiques (Berlioz ou le Voyage d’Orphée, le Soleil noir de Robert Schumann), de romans (Rue du bois de la lune) et de pièces dramatiques (la Ville inoubliée). Gérard Condé, à qui revient la musique, est un autre spécialiste incontesté, doublé d’un compositeur hors de sentiers battus qui ayant d’abord suivi l’enseignement de Max Deutsch, l’un des disciples de Schœnberg, prendra vite sa liberté vis-à-vis des techniques sérielles pour délivrer des ouvrages lyriques tout public au succès suivi (la Chouette enrhumée, Salima). Autant dire que nos deux auteurs savent leur affaire.

« Les Orages désirés »

Enthousiasme
Les Orages désirés avaient été étrennés de concert en novembre 2003 à l’auditorium de Radio France à Paris, après avoir subi la suspension pour cause de grèves d’une représentation prévue au festival de Montpellier. C’est donc ce 14 février dernier, au Grand-Théâtre de Reims, la création scénique de l’œuvre. Pour autant, la réalisation musicale se distingue de celle donnée à Paris, puisqu’une instrumentation ramenée à quinze pupitres succède à l’orchestre du concert. Il ne s’agit cependant pas d’un arrangement, mais bien plutôt d’un retour aux sources : cette orchestration en petit format étant celle originellement écrite. Une Ur version, en quelque sorte. Disons d’emblée, pour avoir assisté aux deux exécutions, que les timbres individualisés semblent sonner avec encore davantage de relief, d’acuité et de dynamique, que dans le souvenir que nous en gardons de leur assemblage plus fourni. Est-ce aussi le fruit des bienfaits de la direction souple, précise et allante de Jean-Luc Tingaud face à la formation restreinte de l’orchestre du Grand-Théâtre de Reims ? Toujours est-il que dans l’acoustique nette de ce ravissant théâtre, les instruments ainsi caractérisés s’accordent délicieusement, tout en se fondant parfaitement au chant des solistes.
Ceux-ci épousent pleinement leurs personnages et leurs tessitures, que ce soient Florian Westphal (le Père), Nathalie Espalier (la Mère, seule à être parfois mal assurée), Jean Goyetche (le Colonel Marmion), Jean-Michel Caunes (Corsino), Anne Le Coutour (Nanci), la coloratoure accomplie de Txelin Victores-Benavente (Estelle) et l’abattage incarné d’Anne Rodier (dans le rôle travesti d’Hector). La mise en scène de Sugeeta Fribourg sait se faire évocatrice, avec quelques praticables simples et un jeu bien senti. Et le public enthousiaste – dont nombre d’adolescents de l’âge du jeune héros de la soirée – réserve un triomphe, avec rappels répétés, à un spectacle efficace et d’une séduction immédiate.

Insolente provocation
Nous n’avons encore rien dit de la musique de Condé. Si le sujet évoque Berlioz, son traitement ne verse aucunement dans le pastiche, avec un langage qui rappellerait plutôt… Debussy (le chatoiement harmonique, le voluptueux alliage des couleurs, le raffinement de la ligne vocale). Mais il y a plus et mieux. La forme elle-même, comme sa traduction, étonnent et captivent. En maître absolu de ses moyens, et pour ces raisons mêmes, le compositeur n’hésite pas à la plus insolante des provocations en ces temps où musique contemporaine rime encore avec interdits. Car c’est d’un véritable retour à l’opéra qu’il s’agit. Non pas un crypto, un pseudo ou un contre-opéra… tels qu’ils ont fleuris sans lendemain sur de nombreuses scènes de notre triste époque. Mais bien une tradition enracinée, où le texte (ici, celui admirablement ciselé de Wasselin) retrouve sa prosodie, le chant ses droits, l’harmonie sa consonance et la mélodie son ampleur sans entraves. Condé ose ! avec cet opéra à numéros, à airs et ensembles fermés et structurés, qui nous ferait penser que le genre opératique connaîtrait enfin sa réincarnation.

Pierre-René Serna