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Grand Théâtre de Genève
Portrait : Vesselina Kasarova

Portrait d’une “voix bulgare“ d’exception !

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 13 juillet 2010

par Christian WASSELIN

Née en Bulgarie, non loin du lieu magique où est né le mythe d’Orphée, Vesselina Kasarova s’est fait connaître en chantant Rossini et Mozart.

Vesselina Kasarova, à deux pas d’Orphée
Vers 1975 eut lieu un séisme : l’exhumation, grâce à l’interprétation sur instruments historiques, d’une Atlantide musicale qu’on choisit de baptiser « musique baroque ». Quinze ans plus tard, moins fondamental sur le plan strictement musicologique, fut révélé à nos yeux et surtout à nos oreilles un autre continent qui devait toutefois beaucoup nous apporter : celui des voix venues de l’Est qui, à la faveur de la chute du Mur de Berlin, pouvaient désormais circuler et rayonner sans entrave. C’est ainsi que des voix comme celles d’Olga Borodina, Magadalena Kozena, Anna Netrebko et bien d’autres prirent le relais de celles que les régimes soviétiques, au gré des visas qu’ils octroyaient et des vexations qu’ils imposaient à leurs artistes, nous avaient permis jusque-là d’entendre.

Débuts de chanteuse
Vesselina Kasarova fait partie de ces voix révélées il y a deux décennies. Elle est née au cœur de la Bulgarie, à Stara Zagora. D’abord pianiste, c’est au clavier qu’elle fait sa première apparition en public en interprétant Mozart. Mais très vite elle se rend compte que sa voix est d’une étoffe particulière, et se lance dans l’étude du chant. Bien lui en prend car son timbre, qu’on a parfois comparé au son de la clarinette, lui ouvre les portes d’une tout autre carrière.
Ses débuts de chanteuse ? A l’Opéra de Sofia, dans le rôle de Rosina du Barbier de Séville et, au disque, avec le regretté Emil Tchakarov dans La Dame de pique. Les choses vont très vite : Karajan en personne, qui a pu entendre un de ses enregistrements, l’invite à chanter à l’Opéra de Vienne – mais il meurt huit jours plus tard. S’il avait vécu, aurait-il réussi ? Car la police bulgare ne voulait pas laisser sortir la jeune Vesselina du pays, prétextant son trop jeune âge : « J’ai grandi dans des conditions difficiles. C’est toujours drôle quand la police prend des décisions artistiques ! »

Vesselina Kasarova
© Marco Borggreve

Salzbourg, la grande porte
Deux ans plus tard, en 1991, elle se fait connaître du public occidental en interprétant Mozart au Festival de Salzbourg. Au programme : deux concerts, ainsi que le rôle d’Annio de La Clémence de Titus, sous la direction de Colin Davis. On l’entendra souvent chanter Mozart par la suite à Salzbourg. Elle y sera Zerlina, Sesto, Farnace de Mitridate (avec Roger Norrington), mais aussi Tancredi, et Marguerite de La Damnation de Faust (sous la direction de Sylvain Cambreling).
Mozart lui tient à cœur : Cherubino et Dorabella font partie de ses rôles de prédilection, et c’est dans Idamante d’Idomeneo, en 1997, qu’elle fait ses débuts américains (au Lyric Opera de Chicago). On la voit aussi à Glyndebourne et à Pesaro, Rossini (Isabella, Angelina) étant lui aussi l’un de ses compositeurs chéris.
Vienne, une étape manquée ? Qu’à cela ne tienne : Vesselina Kasarova passe deux ans dans la troupe de l’Opéra de Zurich où elle est notamment Anna des Troyens. La diction française ne suit pas toujours l’opulence du timbre, mais des rôles comme Charlotte ou Carmen conviennent à ses moyens vocaux. Charlotte lui tient particulièrement à cœur : «  Charlotte et Werther ne vivaient pas à la bonne époque. Charlotte est fiancée à Albert, ce qui fait d’elle la victime. Aujourd’hui, la situation serait très différente, car la place des femmes dans la société a changé. » Ce thème lui paraît essentiel : «  Il y a une tradition qui consiste à faire de Carmen une prostituée, mais rien ne l’indique dans le livret ou la musique. Carmen est l’une des premières femmes émancipées, voilà tout. »

Vesselina Kasarova en « Carmen » dans la production zurichoise de 2008
© Suzanne Schwiertz

On a cité La Damnation de Faust et Les Troyens, mais il faut savoir que Vesselina Kasarova éprouve une tendresse insigne pour le rôle d’Orphée, tel qu’il fut conçu par Gluck et adapté par Berlioz pour une voix de mezzo soprano : « Connaissez-vous la grotte d’Orphée, au sud de la Bulgarie ? » C’est en effet dans le Rhodope bulgare, aux confins de la Grèce, qu’est né le mythe. Un lieu où Vesselina Kasarova est allée guetter les échos de l’éternité : « Il y faisait très froid et très sombre. On y ressentait la dimension tragique du mythe. Dans cette atmosphère, je pouvais m’imaginer que je ne reverrais jamais Eurydice. »

Voix bulgares, mais oui
Beaucoup des prestations de Vesselina Kasarova ont été enregistrées, l’une de ses plus marquantes restant son incarnation de Pénélope dans Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi sous la direction de Nikolaus Harnoncourt (on citera aussi, enregistré avec Frédéric Chaslin, son disque d’airs d’opéra français « Nuit resplendissante »). On sait aussi la publicité parfois outrancière qui sert à promouvoir concerts et disques des « Voix bulgares », comme s’il s’agissait là d’un phénomène en soi. Mais Vesselina Kasarova ne craint pas le cliché s’il lui permet de prouver, justement, que quelque chose se cache derrière le slogan. C’est ainsi qu’elle s’est emparée de ce thème frelaté pour le renouveler et incarner dans un disque, sans complexe et avec une réussite il faut le dire incontestable, « l’âme bulgare ».
Mais c’est au théâtre ou au concert, évidemment, qu’il faut l’entendre. Vesselina Kasarova aime le frisson qui s’empare du chanteur lorsqu’il entre sur le plateau : «  J’ai toujours des idées sur ce que je veux faire, mais ce que je réussis réellement, au bout du compte, dépend de ce qui se passe sur la scène. Il y a toujours une part d’improvisation dans ce que nous faisons, chaque soirée est différente. »
La solution, alors ? Elle est simple : aller écouter Vesselina Kasarova plusieurs fois !

Christian Wasselin

23 juin  : Récital Vesselina Kasarova, mezzo-soprano. Charles Spencer, piano. Grand Théâtre à 20h (loc. 022/418.31.30)